Les 450 mineur·es de la Gaîté lyrique restent sans solution

Un mois et demi après l’expulsion des mineur·es qui occupaient le lieu culturel, aucune solution pérenne n’a été apportée. Mardi 6 mai, un rassemblement était organisé devant le lycée Jacques-Decour pour douze de leurs élèves sans hébergement.

Élise Leclercq  • 7 mai 2025 abonné·es
Les 450 mineur·es de la Gaîté lyrique restent sans solution
Mardi 6 mai, une quarantaine de personnes s’est rassemblée devant le lycée Jacques-Decour, à Paris, demandant une solution durable d’hébergement pour 12 élèves.
© Élise Leclercq

La sonnerie de fin des cours retentit. Les portes de la cité scolaire Jacques-Decour dans le IXe arrondissement de Paris s’ouvrent. Il est 16 h 15. Sur le parvis, quelques personnes accrochent des banderoles. Sur l’une d’elles on peut lire : « Un toit, une école, pour tous les mineurs d’ici ou d’ailleurs ». Douze mineur·es non accompagné·es sont scolarisé·es dans l’établissement, dont certain·es du collectif des jeunes du parc de Belleville. Depuis le 18 mars, jour de l’expulsion de la Gaîté lyrique, ils et elles sont laissé·es sans solution d’hébergement satisfaisante.

Sur le même sujet : Gaîté lyrique : l’expulsion de la honte

« Dans ma classe, on est cinq à être à la rue », raconte Aïcha en tenant une banderole. Elle a 17 ans et est en classe MLDS (Mission de lutte contre le décrochage scolaire). Elle vit dans un hôtel en Seine-et-Marne grâce à une association. Mais pour la plupart des jeunes, la solution a été trouvée ailleurs. Depuis quelques mois, l’équipe pédagogique du lycée ainsi que les parents d’élèves se sont organisé·es. Ils et elles ont créé une association, lancé une cagnotte rassemblant 14 000 euros en cinq jours. Quelques parents ont aussi ouvert leurs portes à des jeunes au sein de leur foyer, le temps de trouver mieux.

Tu te réveilles et tu vas en cours alors que tu n’as pas mangé, que tu ne t’es pas douché.

Alhassane

Élisabeth Peronnin fait partie de ces parents. Mère d’un élève au collège, elle a été informée par le directeur de la situation. C’est alors « naturellement » qu’elle a proposé sa chambre de service inutilisée à un jeune mineur, à la rue depuis la fin de la trêve hivernale il y a un mois. « Si on peut le faire, on le fait », sourit-elle, « l’important pour moi c’est qu’il se sente chez lui et ça se passe super bien ». Toutes et tous se disent impressionné·es par une telle solidarité.

Sylvan Lemaire, chargé de la mission de lutte contre le décrochage scolaire, relativise pourtant très vite la situation : « C’est super qu’on ait trouvé des solutions, mais on a peur qu’à la rentrée prochaine ce soit la même chose. Notre demande c’est que le rectorat se mouille enfin ».

Une précarité grandissante

Dans sa classe, cette année, « et comme chaque année », de plus en plus de jeunes sont en situation de grande précarité, « parfois près de la moitié ». « Après l’expulsion de la Gaîté Lyrique, des élèves nous ont dit que désormais ils dormaient dehors », confie l’enseignant.

Sur le même sujet : Jeunes du parc de Belleville : « Nous sommes abandonnés par l’État »

C’est le cas d’Alhassane, délégué du collectif des jeunes du parc de Belleville : « J’ai passé plusieurs semaines dehors. Tu te réveilles et tu vas en cours alors que tu n’as pas mangé, que tu ne t’es pas douché. » Lui, comme beaucoup d’autres, attend son audience pour la reconnaissance de minorité. La sienne est en juin. Tous ceux qui sont passés devant le juge ont été reconnus comme mineurs. Mais cela demande du temps. Et du temps, ils n’en ont pas.

Les places manquent et les recours prennent des mois. « Aujourd’hui, on en est là. Maintenant, il faut penser à une formation, et il y a peu de temps, parce que la majorité est proche », souffle Hélène Amoroso, documentaliste au lycée venue elle aussi soutenir l’action.

J’aime ce pays mais je ne m’attendais pas à être dehors.

Kone

La situation est intenable. Kone, un autre jeune, doit attendre jusqu’à octobre. Mais le jeune garçon de 17 ans est aussi présent aujourd’hui « pour dire merci » aux parents d’élèves qui l’accueillent depuis deux mois. Ahmed prend la parole dans le micro, ému : « Pour moi c’est le meilleur lycée de toute la France, je m’en souviendrai toute ma vie, il m’a sauvé la vie. » Mais si l’équipe qui s’est constituée en association a pu leur trouver des solutions temporaires, cela n’efface pas le reste. « Moi vous savez pourquoi je voulais venir en France ? J’aime ce pays mais je ne m’attendais pas à être dehors. Ce n’est pas logique », continue l’adolescent.

Sur le même sujet : Mineurs étrangers isolés sans école : « Une discrimination raciale »

Lui comme Alhassane pensent aux autres jeunes : « Nous avons des amis qui n’ont n’ont pas encore d’affectations scolaires. On demande au rectorat de faire quelque chose. » Le collectif ainsi que plusieurs syndicats comme Sud, la CGT ou encore la SNU-FSU, militent également pour la réouverture du dispositif étudiant, arrêté l’hiver dernier. « Parce qu’il nous faut l’école pour s’intégrer », conclut Alhassane.

« Traumatisés »

En tout, 450 jeunes ont été remis à la rue après l’expulsion de la Gaîté Lyrique. La majorité dort dehors depuis. Certain·es sont allé·es dans les Hauts-de-Seine ou en Seine-Saint-Denis pour éviter les expulsions de la police. Marie-Louise, une soutien, était présente le 18 mars. « Beaucoup ne viennent plus aux actions parce qu’ils sont traumatisés. » Un danger supplémentaire pour les jeunes, de plus en plus isolés et loin des associations.

Gaîté lyrique mineurs
Parents, professeur·es et équipe encadrante ont crée l’association « Decour, un élève, un toit ». (Photo : Élise Leclercq.)

Au cours de l’intervention de mars, 25 jeunes se sont fait arrêter aléatoirement. Tous·tes sont ressorti·es avec une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Or, une OQTF ne peut être ordonnée à un·e mineur·e. Me Florian Bertaux est l’avocat de certains d’entre eux. « Ce n’est pas nouveau, l’été dernier des jeunes ont été contrôlés aléatoirement et ils ont eu beau démontré avec des documents qu’ils étaient mineurs, ils leur ont mis des OQTF en disant qu’ils étaient devenus majeurs le jour de l’arrestation. » Pour la Gaîté Lyrique, « tous sont bizarrement nés le 18 mars, jour de l’expulsion ».

Ils ont vécu des trucs horribles et quand ils arrivent en France, ils sont traités comme des animaux.

Kenny

Depuis, plusieurs confrères et consœurs et lui tentent de stopper les ordonnances. « On a réussi à faire retirer une OQTF hier. C’était un jeune qui a été reconnu mineur le 28 avril. Même si ma consœur Me Philouze a communiqué cette information à la préfecture, ça n’a pas bougé. On a finalement dû faire un référé liberté. Juste avant l’audience, la préfecture a abandonné. »

Sur le même sujet : La Mairie de Paris demande l’expulsion des mineurs isolés de la Gaîté lyrique

Et comment étudier en étant à la rue ? « Le facteur de précarité sociale est de plus en plus important dans le décrochage », conclut Sylvan Lemaire. Kenny, 17 ans, est aussi élève en MLDS. Il raconte que plusieurs de ses camarades sont dans cette situation qui le révolte« J’en veux à ce gouvernement qui ne les aide pas. Quand j’écoute leur témoignage, ça me bouleverse, ils ont vécu des trucs horribles et quand ils arrivent en France, ils sont traités comme des animaux. » Il ajoute : « Moi j’ai de la chance je suis logé, nourri… » Des besoins élémentaires que mérite tout enfant.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Société
Temps de lecture : 6 minutes