Plan « Filles et maths » : Borne corrige Blanquer, mais oublie le sexisme
Le 7 mai, la ministre de l’Éducation, Élisabeth Borne, présentait le plan « Filles et maths », pour inciter les filles à étudier les sciences. Ces inégalités sont loin d’être nouvelles, et ont même été aggravées par la réforme de 2019 du lycée de Jean-Michel Blanquer.

© Lily Chavance
Comment attirer les jeunes filles vers les études de mathématiques et scientifiques ? La ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, a présenté le 7 mai un plan intitulé « Filles et maths ». Son objectif est que « les jeunes filles prennent toute leur place dans les métiers des sciences de l’ingénieur et du numérique ».
L’ancienne première ministre souhaite lutter contre les inégalités de genre dans les mathématiques – et plus largement dans les sciences. Un objectif louable, tant le déséquilibre entre les garçons et les filles est structurel. Mais dans sa présentation, comme dans son rapport, une des causes du renforcement de ces inégalités n’est jamais citée. Celle-ci porte un nom : Blanquer.
La réforme de l’ex-ministre de l’Éducation de 2017 à 2022, datant de 2019, « a rayé d’un trait de plume, en une seule année, les 20 ans de progrès réalisés avant elle en matière de féminisation dans les sciences et les mathématiques », selon le SNES-FSU. Obligeant les lycéen-es à choisir trois spécialités en première, puis à n’en garder que deux en terminale, la réforme a aussi plus généralement provoqué la chute de la pratique des mathématiques au lycée.
Les filières au choix ont contraint les filles à abandonner les maths.
M. Guenais
La réforme du lycée a eu un impact sur les maths et les filles
« La réforme a eu un effet sur tous les élèves », mais la baisse a été « plus conséquente pour les filles », explique Clémence Perronnet, sociologue spécialisée dans les inégalités et les sciences et co-autrice de Matheuses : les filles sont l’avenir des mathématiques. En effet, la part de filles en filière scientifique – ou équivalent en choix de spécialités depuis la réforme – a chuté de 27 points entre 2019 et 2022, passant de 44 à 17 %. Un impact « parfaitement prévisible » au moment de la réforme, selon la sociologue.
« Les filières au choix ont contraint les filles à abandonner les maths », explique Mélanie Guenais, mathématicienne et fondatrice du collectif Maths&Sciences. Les filles, qui se tournent vers des études où d’autres sciences sont indispensables – comme la médecine ou les sciences du vivant –, « doivent donc en abandonner une : les maths », déplore-t-elle.
Le plan « vise à corriger la réforme Blanquer »
Clémence Perronnet ajoute que l’avancement des choix d’orientation d’un an défavorise les filles, « contraintes par les stéréotypes de genre » à moins choisir les mathématiques. D’un autre côté, le choix de spécialités a « encouragé la compétitivité [car la spécialité maths est devenue sélective, N.D.L.R.] – et cela impact les plus défavorisés », dont les filles.
Le plan Borne vise à corriger la réforme Blanquer sans le dire ni le faire vraiment.
C. Perronnet
« Le bac sans mathématiques ferme beaucoup de portes », et ne pas choisir cette spécialité « provoque de l’échec dans les études de sciences », explique-t-elle. Pour elle, le plan d’Élisabeth Borne « vise à corriger la réforme Blanquer sans le dire ni le faire vraiment ». Le SNES-FSU accuse également la ministre d’avoir annoncé son plan « sans aucune concertation avec les personnels ».
Une sous-représentation qui « plafonne »
L’annonce d’Élisabeth Borne répond à la publication – le même jour – d’un rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) sur le sujet. Celui-ci pointe la sous-représentation depuis des décennies des femmes dans les études, puis les métiers, relevant des disciplines dites « STEM », pour les mathématiques, la physique-chimie, l’informatique et les sciences de l’ingénieur. Les femmes représentent seulement 25 % des étudiant·es suivant une formation STEM en première année après le baccalauréat, et cette sous-représentation « plafonne à un faible niveau depuis une dizaine d’années », selon le rapport.
La réforme Blanquer n’aurait-elle eu aucun impact sur la place des filles dans le supérieur ? Pas exactement, selon Clémence Perronnet : « Il ne faut pas tomber dans le piège de lier systématiquement l’éducation et la professionnalisation, comprenant les études et métiers. » Le nombre de filles reste, malgré la chute de la pratique des mathématiques, assez important pour combler les places dans ces filières, ce qui explique la stagnation. Clémence Perronnet observe pourtant de grandes disparités entre les formations : « Il y a eu une chute des filles dans les formations les plus élitistes » depuis la réforme.
Quand on avance l’âge des choix, on aggrave les inégalités.
M. Guenais
Si Clémence Perronnet a un « avis plutôt positif » sur le rapport de l’IGESR, le plan de la ministre fait des « propositions bien plus modestes » que celui-ci. La mesure phare de la ministre repose sur la création de classes à horaires aménagées de mathématiques et de sciences en 4ᵉ et en 3ᵉ, qui devront au minimum accueillir 50 % de filles. Cette proposition sera expérimentée en 2025 pour dix classes seulement.
« Le contenu ne semble pas avoir été réfléchi »
Pour Mélanie Guenais, « c’est une très mauvaise idée. Quand on avance l’âge des choix, on aggrave les inégalités ». Elle craint que la mesure, sur la base du volontariat de la part des filles, « favorise une élite de filles de profs ». Selon elle, « il ne faut pas penser qu’on va régler le problème avec du volontarisme de la part des filles ». Clémence Perronnet ajoute que cette expérimentation touchera « au maximum 150 filles », et que « les probabilités d’élargissement – que désire la ministre dès 2026 – sont faibles ».
La sensibilisation de tous les enseignants de l’Éducation nationale – et la formation des professeurs de mathématiques – aux « stéréotypes de genre » proposée par la ministre est « une énième réédition d’annonces de 2014 » qui n’ont pas été appliquées, selon Clémence Perronnet.
Cette expérimentation est une mesure classique qui ne coûte rien et dont le contenu ne semble pas avoir été réfléchi.
C. Perronnet
Autre mesure avancée par le plan « Filles et maths » : l’affichage d’une charte de lutte contre les stéréotypes dans les salles des profs. Une « mesure classique qui ne coûte rien et dont le contenu ne semble pas avoir été réfléchi », avance Clémence Perronnet.
« Les mathématiques ne sont que le dernier symbole des inégalités »
Pour elle, le plan « vient compenser des mesures qui ont été destructrices », tout en faisant l’impasse sur la cause structurelle : le sexisme. « Le ministère affiche beaucoup de volonté mais le sexisme est nié comme étant la source » de ces inégalités. En effet, dans la présentation de son plan, la ministre se garde bien d’utiliser ce terme, préférant celui de « stéréotypes de genre ». « C’est dans ce langage que se cache le déni », affirme Clémence Perronnet.
« Toute la société est imprégnée de stéréotypes, et les mathématiques ne sont que la partie émergée de l’iceberg des inégalités », résume Mélanie Guenais. Elle explique la nécessité de « transformer les mathématiques pour qu’elles soient compatibles avec les valeurs associées aux femmes » et de combattre de manière plus générale le sexisme. Sans combat de celui-ci dans la société, il perdurera aussi dans les mathématiques.
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