Netanyahou tue, la France tergiverse
La France dénonce beaucoup, mais la tragédie de Gaza n’attend pas. Le temps des indignations est révolu, celui des actes et des sanctions est arrivé. Sinon, notre faillite morale sera bientôt regardée comme une véritable complicité.
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© Eyad BABA / AFP
Interrogé sur le massacre commis par l’armée israélienne à Gaza, Emmanuel Macron s’est écrié : « C’est une honte. » On ne saurait mieux dire. Mais ce sentiment, n’importe lequel de nos concitoyens peut le partager. On attend évidemment autre chose de la part du président de la République. Des actes et des sanctions. Or, tel un Matamore qui ne ferait rire personne, Macron n’en finit pas de « dénoncer les actions scandaleuses d’Israël », comme dans ce communiqué publié le 20 mai avec le Canada et le Royaume-Uni. Il « prépare » pour le 22 juin une conférence coorganisée avec l’Arabie saoudite, et confirme une « prochaine » reconnaissance, d’ailleurs toute symbolique, de l’État de Palestine. Il faut s’en féliciter. A-t-on seulement idée de la situation à Gaza dans un mois ?
Netanyahou se rit de notre couardise.
On est frappé par le rapport que notre président entretient avec une histoire tragique qui s’accomplit au présent. La France ne fera évidemment pas la guerre à Israël, mais pendant que l’armée israélienne tue en moyenne cent civils par jour, et utilise la faim comme arme de guerre, les relations entre Tel-Aviv et l’Union européenne sont toujours régies par le fameux accord d’association mis en œuvre en 2000, dont l’article 2 proclame l’obligation des parties à « respecter les droits humains » et « les principes démocratiques ». Pour la première fois, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a fait référence, mardi sur France Inter, à ce document pour évoquer « une potentielle suspension », tout en avouant que l’initiative venait des Pays-Bas.
On se demande ce que coûtera en vies humaines ce « potentiel ». Netanyahou se rit de notre couardise. Il laisse entrer, « pour des raisons diplomatiques », dit-il cyniquement, cinq camions de vivres « pour les bébés », quand il en faudrait quatre cents. Ce qui supposerait un cessez-le-feu immédiat, l’arrêt des ventes d’armes, et des sanctions économiques. Mais il faudrait déjà que la France n’ait pas peur des mots. Pas question par exemple pour Macron de parler de « génocide ». « Les historiens trancheront », a-t-il dit. Comme si l’enquête d’Amnesty International et les conclusions de Francesca Albanese, la rapporteuse des Nations unies pour les territoires palestiniens, n’existaient pas, preuves à l’appui. « L’histoire » ? C’est dire, là encore, le sentiment d’urgence qui étreint le président de la République.
Macron n’est pas seul à avoir peur des mots qui pourraient fâcher Netanyahou. Un politologue de la Fondation Jean-Jaurès juge que le mot serait « contre-productif », et qu’il « crisperait ». Qui ? Les dirigeants israéliens probablement, dont il faudrait ménager la susceptibilité. Tant de précautions après 53 000 morts, et alors que l’armée israélienne entreprend de raser Gaza, et que nous parviennent des images de survivants aux corps décharnés, laissent pantois. Bien sûr, il y a eu le 7-Octobre, mais il y a longtemps que nous ne sommes plus dans les représailles, mais dans la vengeance, et plus encore dans la réalisation d’un projet politique d’extrême droite que résume aujourd’hui l’alternative expulsion ou extermination.
L’histoire européenne, décidément, n’en finit pas de repasser les plats les plus détestables.
L’heure n’est plus au constat, ni à la « honte ». La France, sans doute, n’est pas inactive. Mais notre pays se comporte comme s’il n’avait d’autre planche de salut que Donald Trump. S’en remettre pour faire pression sur Netanyahou au fantasque président américain, qui dit tout et son contraire, est la garantie de l’échec. C’est aussi un terrible aveu de dépendance au moment même où l’Europe prétend s’émanciper de l’ogre américain. Il est bien possible que Trump obtienne l’entrée de quelques camions de survie dans l’enclave palestinienne, mais on ne devrait pas oublier que, sur le fond, Trump et l’extrême droite israélienne sont d’accord pour expulser les Gazaouis de leur territoire. Les uns le veulent par idéologie, l’autre par mercantilisme immobilier.
L’extrême droite israélienne aurait même trouvé dans le désert libyen une terre d’accueil… Sordide. Comment peut-on s’en remettre à pareille engeance ? L’histoire européenne, décidément, n’en finit pas de repasser les plats les plus détestables. On a longtemps pleuré l’inaction des démocraties pendant la guerre d’Espagne, en 1936. Puis, l’Europe libérale s’est couverte de cendres après les génocides rwandais et de Srebrenica, en 1994 et 1995. Toujours trop tard. On regardera bientôt notre faillite morale à Gaza comme une véritable complicité. Et on pourra alors commémorer. Regrets éternels.
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