Collectif contre l’islamophobie en Europe : des salariés français en garde à vue, leur domicile perquisitionné

D’après nos informations, plusieurs salariés du CCIE, et le compagnon de l’une d’elle, ont été placés en garde à vue, après que leur domicile a été perquisitionné tôt ce mardi 13 mai. Une répression qui intervient deux jours après la marche contre l’islamophobie.

Pauline Mussche  et  Hugo Boursier  • 13 mai 2025
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Collectif contre l’islamophobie en Europe : des salariés français en garde à vue, leur domicile perquisitionné
Rassemblement place de la République à Paris le 1er mai 2025, en mémoire d'Aboubakar Cissé, le fidèle tué dans une mosquée de plusieurs dizaines de coups de couteau à La Grand-Combe le 25 avril 2025.
© Ian LANGSDON / AFP

Plusieurs salarié·es du Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE) ont été placés en garde à vue, ce mardi 13 mai au matin, selon nos informations, après que leur domicile a été perquisitionné. Le domicile de deux autres salariés aurait été perquisitionné, sans que ces derniers soient interpellés. Contacté, le cabinet du garde des Sceaux, Gérald Darmanin, n’a pas voulu communiquer. À l’heure de la publication de cet article, le cabinet du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, n’a, lui, pas apporté d’éléments supplémentaires.

Pour une des salariées, une unité de policiers a frappé à la porte du domicile de sa mère, dès 6 h 30. Tous étaient cagoulés et l’un d’entre eux était « lourdement armé », précise une proche, en contact avec la famille. Le foyer a été entièrement fouillé, même si la mère de la salariée avait précisé que sa fille n’habitait plus là depuis plusieurs mois.

Pendant la perquisition, ses deux jeunes sœurs et sa mère ont été réunies dans une pièce, le temps que les policiers inspectent l’appartement. La salariée a finalement été interpellée à son domicile à 11 heures et placée en garde à vue. Plusieurs de ses affaires personnelles ont été saisies. Elle est sortie de garde à vue en début de soirée. Son ordinateur ainsi que son téléphone ne lui ont pas été remis.

« Sous le choc »

Un couple a été arrêté vers 6 heures du matin. Ils ont contacté en urgence un proche, pour que leur bébé de quelques mois ne soit pas emmené en garde à vue. Selon nos informations, le mari n’aurait jamais été salarié du CCIE. Sortis eux aussi du commissariat en début de soirée, ils restent « sous le choc », d’après plusieurs proches contactés par Politis.

Ces perquisitions interviennent deux jours après la marche contre l’islamophobie, organisée suite au meurtre d’Aboubakar Cissé, 22 ans, tué de 57 coups de couteau alors qu’il faisait le ménage dans une mosquée. L’association avait participé en mars à une table ronde sur l’islamophobie organisée à l’Assemblée nationale par le député LFI-NFP, Raphaël Arnault. Des élus de droite et d’extrême droite avaient demandé à Yaël Braun Pivet l’annulation de la table ronde.

Le CCIF était la seule structure qui recensait les actes islamophobes et elle a été dissoute pour cette raison.

Y. Benyettou

« Le CCIF [Collectif contre l’islamophobie en France, N.DL.R.] était la seule structure qui recensait les actes islamophobes et elle a été dissoute pour cette raison. Pendant l’organisation de la marche de dimanche, on réfléchissait aux risques politiques de répression. La rapidité est étonnante et effrayante. Car le fait de présenter l’islamophobie comme un problème politique n’est pas possible pour les gouvernants, qui alimentent ce climat islamophobe » réagit Yassine Benyettou, secrétaire général de RED jeunes, une des associations coorganisatrices de la marche. « Malgré la répression, le camp antiraciste restera uni », poursuit-il.

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Cette dissolution s’inscrit dans un contexte de répression des voix antiracistes et antifascistes. Fin avril, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau avait annoncé avoir entamé les procédures de dissolution d’Urgence Palestine et de la Jeune garde, organisation antifasciste.

D’après nos informations, la raison de ces perquisitions serait le « maintien ou la reconstitution, ouverte ou déguisée, d’une association ou d’un groupement dissous ». Le CCIF avait été dissous en 2020, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérald Darmanin, ayant accusé l’association de « propagande islamiste » après le meurtre de Samuel Paty.

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Le SAF (Syndicat des avocats de France) avait dénoncé une « grave atteinte aux libertés publiques et à la démocratie ». En septembre 2021, le Conseil d’État avait validé cette dissolution. La Ligue des Droits de l’Homme avait fustigé : « Par un curieux retournement, la dissolution du CCIF est donc approuvée au motif qu’en luttant – légalement – contre les discriminations et la haine antimusulmanes, il s’est rendu lui-même coupable de discrimination et de haine… » Après la dissolution du CCIF, le CCIE avait été fondé en Belgique.

Saisine contre Bruno Retailleau

En mars dernier, le CCIE avait annoncé avoir saisi la commission des requêtes de la Cour de justice de la République contre le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, pour incitation à la haine et manquement à ses devoirs de neutralité en tant que membre du gouvernement. Lors d’un événement organisé par l’association, Agir Ensemble, intitulé « Pour la République, la France contre l’islamisme », le locataire de la place Beauvau avait lancé : « À bas le voile ».

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Depuis 2022, le CCIE produit chaque année un rapport qui recense le nombre de signalements reçus. Dans son rapport de 2024 portant sur l’année 2023, le collectif avait dénombré pas moins de 828 signalements de faits islamophobes en France. Ces signalements décrivent des faits de diffamation, de harcèlement moral, d’injure, de provocation ou d’incitation à la haine et de discrimination.

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