#SkinnyTok, éloge de la maigreur extrême et échec de la régulation des réseaux sociaux
Cette nouvelle tendance se répand le réseau TikTok. L’inquiétude grandit quant aux conséquences sur la santé mentale et physique des plus jeunes du fait de ces contenus, qui prolifèrent grâce à un algorithme surpuissant.

« Conseil de pro : porte un crop top pour ton entraînement en public. Laisse tout le monde voir le porc que tu es. Puis perds ce poids. » « Ne te récompense pas avec de la nourriture, tu n’es pas un chien. » « Quand tu as envie de grignoter, souviens-toi de la phrase de Kate Moss : ‘Rien n’a aussi bon goût que la sensation d’être mince.’ »
Une simple recherche sur le réseau TikTok permet de tomber sur ces phrases que de jeunes femmes postent chaque jour sous le mot-clé (hashtag) #SkinnyTok. Derrière lui – contraction de skinny (maigre, en anglais) et de tok (en référence au réseau social) – se cache une nouvelle tendance qui pullule sur la plateforme chinoise. Parmi les 66 000 vidéos postées sous ce hashtag – en grande majorité par de jeunes femmes –, de pseudo-conseils et phrases de motivation pour perdre du poids rapidement.
On ne peut plus traiter un TCA sans parler de TikTok.
C. Copti
Ces contenus se révèlent cependant dangereux, tant pour la santé physique que mentale des plus jeunes : sont préconisés des régimes très restrictifs (un seul repas par jour) et une activité physique excessive. Certaines vidéos recommandent de boire de l’eau au lieu de manger, quand d’autres se félicitent d’avoir le ventre qui gargouille. Autant de comportements dont la promotion est un « facteur de risque majeur de troubles de la conduite alimentaire » (TCA), s’alarme la Fédération française anorexie boulimie (FFAB).
« L’adolescence est une période de construction et de vulnérabilité très importante », explique Carole Copti, diététicienne nutritionniste. L’anorexie mentale touche en majorité les filles (80 %) de 13 à 17 ans, selon l’Assurance maladie. L’idée véhiculée sur les réseaux sociaux qu’un corps en bonne santé est extrêmement mince peut constituer « un aggravateur très important » de ces troubles alimentaires, et « l’exposition de manière intensive [à ces contenus] rend la prise en charge compliquée ». Aujourd’hui, « on ne peut plus traiter un TCA sans parler de TikTok », ajoute-t-elle.
Une promotion qui n’est pas nouvelle
La promotion de la maigreur extrême sur les réseaux sociaux et sur internet n’est pourtant pas apparue récemment. #SkinnyTok reprend les codes du mouvement pro-ana (pour « pro-anorexia »), qui vantait, dès les années 2000, la thinspiration (contraction de thin, fin en anglais, et d’inspiration) et son mode de vie qui vise à être le plus maigre possible. Cette promotion de comportements dangereux n’a donc que muté des sites et blogs pro-ana aux réseaux sociaux.
La prolifération de ces contenus réside en partie dans l’algorithme de TikTok, qui recommande toujours plus de vidéos issues du mot-clé #SkinnyTok, lorsque les utilisatrices interagissent avec ce type de contenu. C’est pourquoi de nombreuses jeunes filles commentent ces publications « uniquement pour rester sur #SkinnyTok ».
Les plateformes sont complètement responsables de l’exposition à ces contenus.
J. Cattan
L’inquiétude de plusieurs soignants face à cette nouvelle tendance s’est matérialisée dans une pétition rassemblant plus de 28 000 signatures appelant à « préserver notre jeunesse de l’influence néfaste de ces contenus ». Celle-ci a attiré l’œil de la commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, présidée par le député socialiste Arthur Delaporte, qui en a auditionné l’autrice.
Aussi interpellée par la pétition, la ministre chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique, Clara Chappaz, a annoncé avoir « demandé une enquête » à la Commission européenne et saisi l’Arcom, laissant l’idée d’une régulation faire son chemin. Pour le moment, aucune restriction sur le réseau social ne semble être appliquée à ces contenus, bien qu’un message sous forme de bannière rappelant que « ton poids ne te définit pas » apparaît lorsque l’on fait une recherche « skinnytok ». Les vidéos restent, elles, totalement accessibles.
« Les plateformes sont complètement responsables de l’exposition à ces contenus », affirme Jean Cattan, secrétaire général du Conseil national du numérique. Selon lui, « TikTok viole le Digital Services Act », règlement européen sur les services numériques adopté en 2022 par l’Union européenne, dans sa disposition de protection de la santé mentale des mineurs.
La Commission européenne « en retard »
« La Commission européenne devrait pouvoir s’en saisir et être plus agressive mais n’en a pas fait une de ses priorités », déplore-t-il. Le travail sur ce sujet constitue selon lui deux « boîtes noires » : celle de l’algorithme du réseau, dont « la société qui contrôle TikTok a fait un secret industriel », et celle de la Commission européenne « qui ne divulgue que très peu d’information sur les procédures qu’elle a entamées ».
Pour lutter contre ces contenus dangereux pour la jeunesse, Jean Cattan propose de passer « d’une économie de l’attention à une économie de l’intention », par laquelle les utilisateurs choisiraient quels contenus ils veulent voir, et invite la Commission européenne à « inspecter l’algorithme de la plateforme et mettre en œuvre tous les pouvoirs qui lui sont conférés dans le DSA » (Digital services act, ou Règlement sur les services numériques), avec des sanctions « immédiates ».
Les actions de la Commission européenne sont, selon lui, « en retard par rapport au travail de recherche qui a été effectué » autour du sujet. En 2022, un rapport du Center for Countering Digital Hate évoquait déjà des contenus promouvant les troubles alimentaires.
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