Conclave sur les retraites : le piège se referme sur les syndicats
La date fatidique approche. Le 17 juin, on devrait savoir si le conclave sur les retraites aboutit, ou non, sur un accord entre partenaires sociaux. Ce qui est déjà certain, c’est qu’il n’y aura aucun changement sur le très controversé âge de départ. Comme attendu, le piège du conclave se referme sur les organisations syndicales.

© Bertrand GUAY / POOL / AFP
Rappelez-vous. Philippe Martinez, alors numéro 1 de la CGT, tout sourire, à côté de Laurent Berger, encore leader de la CFDT, derrière une grande banderole en tête de cortège, tenue par les représentants des 8 organisations syndicales du pays luttant, ensemble, contre une réforme « brutale et injuste ». Les deux hommes s’échangent des messes basses, comme deux vieux amis. C’était il n’y a pas si longtemps : un peu plus de deux ans. Et pourtant, cela paraît si loin.
Dans quelques jours – le 17 juin – aura lieu la dernière journée de négociations autour de la réforme des retraites de 2023 au sein du « conclave » mis en place par François Bayrou à son arrivée à Matignon. Six mois d’une négociation qui aura définitivement fait imploser l’intersyndicale, chacun retournant dans sa chapelle. Légitimiste d’un côté, contestataire de l’autre.
Une négociation sans marge de manoeuvre
Dès son annonce, lors du discours du politique générale du maire de Pau, ce « conclave » avait tout l’air, pour les organisations syndicales, d’un piège. Une négociation sans marge de manœuvre – notamment financière – et avec un ultimatum donnant au patronat un important rapport de force – sans accord, la réforme de 2023 continuerait de s’appliquer.
Six mois plus tard, le piège se referme. Avec, en baiser de la mort, cette communication, en début de semaine (le 10 juin), du Medef. La première organisation patronale a transmis à la presse et aux syndicats les points sur lesquels elle est prête à faire des « concessions ». L’utilisation de guillemets est nécessaire au vu des miettes proposées. Rien sur l’âge. Une demande d’indexation de celui-ci sur un paramètre démographique – ce qui pourrait, à terme, le faire encore reculer. Et quelques broutilles en guise de carotte. Notamment le retour des critères de pénibilité physiques (port de charges lourdes, vibrations mécaniques, postures pénibles) qui avaient été supprimés du compte professionnel de prévention (C2P) lors de l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir.
Or, si c’est une avancée, elle reste minime : déjà car le C2P est une « usine à gaz », et qu’il est très difficile d’accumuler des points, comme on vous l’expliquait ici. Surtout, parce que le Medef demande à ce que les points accumulés via le C2P ne permettent plus de partir plus tôt à la retraite. « Le Medef ne veut pas entendre parler de réparation. Pourtant, pour les gens qui se cassent le dos au boulot, il faut qu’ils puissent obtenir réparation en partant plus tôt », s’agace Dominique Corona, numéro 2 de l’Unsa.
Entre la CGT et la CFDT, des relations froides, de nouveau
L’organisation patronale propose aussi de calculer les pensions des mères sur les 23 ou 24 meilleures années, au lieu des 25 meilleures actuellement. Des propositions aux airs de cadeaux empoisonnés. En effet, les syndicats qui restent autour de la table – CFDT, CFTC et CFE-CGC – se retrouvent désormais dos au mur. Notamment la première organisation syndicale du pays qui, depuis le début du conclave, a souhaité jouer la carte de la négociation et de la respectabilité. Quand François Bayrou a déclaré qu’on ne reviendrait pas sur les 62 ans, la CGT a claqué la porte. La CFDT a décidé de rester.
Entre les deux principaux syndicats du pays, les relations sont redevenues froides. Glaciales presque. À écouter les interlocuteurs de chaque côté, ils nous confient en off tout le mal qu’ils pensent de la stratégie de l’autre. « Ils sont en train de se faire avoir, à devoir négocier l’innégociable. Mais ils sont allés trop loin, désormais, ils ont besoin d’avoir un accord », raille-t-on à la CGT.
Il n’est pas possible qu’on soit, après la réunion de jeudi, dans le même état de discussion.
Y. Ricordeau
« Trop loin », pour la centrale montreuilloise, c’est d’avoir continué à négocier avec un Medef mutique, ne proposant rien et bloquant tout. « Il n’est pas possible qu’on soit, après la réunion de jeudi, dans le même état de discussion », s’est même emporté Yvan Ricordeau, négociateur pour la CFDT. La réunion de jeudi est passée, mais, ce vendredi matin, le « compte n’y est toujours pas », nous glisse-t-on au sein de la centrale orange.
Le Medef et la peur du Parlement
Pourtant, cela était plus que prévisible. Outre le fait que ne pas trouver d’accord est la garantie que rien ne bouge, l’organisation patronale redoute particulièrement un retour du sujet à l’Assemblée nationale. En effet, si un accord émerge du conclave, François Bayrou s’est engagé à ce que celui-ci soit ensuite soumis au Parlement. « Un texte qui arriverait à l’Assemblée, ça veut dire des amendements, et, donc, une nouvelle bataille pour l’abrogation », veut espérer Denis Gravouil, en charge du dossier retraite à la CGT. « C’est clair que le Medef redoute plus que tout le passage au Parlement », abonde Dominique Corona. Le 5 juin, les parlementaires ont continué de mettre la pression sur l’exécutif en adoptant largement une proposition de résolution visant à revenir aux 62 ans.
Le Medef redoute plus que tout le passage au Parlement.
D. Corona
Mais y aura-t-il, vraiment, un accord ? « Aucune idée, vraiment », soufflent nos interlocuteurs. Dans son bureau, à quelques mètres de la salle où se tiennent les réunions du conclave – mais où son syndicat, comme la FSU et Solidaires n’ont pas été conviés – Dominique Corona n’y voit guère plus clair. « Aucune fumée blanche ne sort. Les discussions vont durer jusqu’à mardi soir tard [le 17 juin] », pronostique-t-il.
Une chose est toutefois sûre : les organisations patronales ne bougeront pas sur les 64 ans. « Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de bougé sur ‘les âges’ ! », tempère le numéro deux de l’UNSA. En négociation, notamment, une baisse de l’âge de l’annulation de la décote de 67 à 66 ans. Une avancée qui serait non négligeable, notamment pour les femmes aux carrières hachées.
Sans retour sur les 64 ans, quelles avancées pour les travailleurs ?
C’est d’ailleurs toute la difficulté de la négociation pour les syndicats, une fois que le totem des 64 ans a été abandonné. Quelles sont les nouvelles lignes rouges ? Quelles avancées pour les travailleurs et travailleuses seront jugées suffisantes pour définitivement enterrer la réforme honnie ?
Selon de nombreux syndicalistes qui suivent les discussions de près, la question de la pénibilité va être centrale. Les propositions du Medef ne peuvent pas, en l’état, convenir aux organisations des salariés. Mais, si les points permettent de partir en retraite plus tôt ? Et s’ils sont accumulés non pas par salarié, mais par métier ? « Alors là, la CFDT signera », pense-t-on à la CGT.
Toutefois, rien n’est moins sûr concernant la stratégie du Medef. Mutique pendant 6 mois, l’organisation patronale s’est réveillée à 10 jours de la fin du conclave. « Ils ne sont pas morts, Hallelujah ! », rigole Dominique Corona. Et elle ne veut absolument pas mettre la main à la poche. « Le Medef ne veut pas d’accord, c’est sûr. Sauf s’ils ont des choses à y gagner ! », martèle Denis Gravouil. Une dose de retraite par capitalisation ? La numéro un de la CFDT, Marylise Léon a assuré dans Le Figaro que le sujet « n’était pas un tabou ». La TVA sociale ? La même Marylise Léon a refusé l’idée.
À quatre jours du terme des négociations, les questions et les inconnues sont donc encore nombreuses. Après six mois de négociations passés dans une forme d’indifférence générale – le conclave n’a pas vraiment été un « feuilleton médiatique » – l’arrivée de l’échéance refait, enfin, émerger le sujet. Et les questionnements politiques. Ce « conclave » a été la carotte qui a permis au gouvernement Bayrou de durer, qu’en sera-t-il à son issue, s’interroge-t-on de tous les côtés.
Mardi, cela fera 889 jours qu’Élisabeth Borne a présenté les contours de sa réforme, le 10 janvier 2023 devant la presse. Depuis, le sujet aura coûté deux débâcles électorales à la macronie – aux européennes et aux législatives anticipées, et une censure – Michel Barnier tombant notamment du fait qu’il voulait faire payer les retraités. François Bayrou sera-t-il le prochain sur la liste ?
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