« Stop aux marchands de mort » : au blocage de l’usine Phyteurop, avec les opposants aux pesticides

Plusieurs centaines de militants, paysans et habitants ont bloqué ce 27 juin cette usine de produits agrochimiques, à Montreuil-Bellay, dans le Maine-et-Loire. À quelques jours du vote de la loi Duplomb, ils dénoncent un système agricole toxique qui empoisonne les corps, les sols et les récits.

Maxime Sirvins  et  Vanina Delmas  • 27 juin 2025 abonné·es
« Stop aux marchands de mort » : au blocage de l’usine Phyteurop, avec les opposants aux pesticides
L'usine Phyteurop incarne aux yeux des militants le cœur d’un système agro-industriel néfaste pour la santé des agriculteurs, des habitants et de la biodiversité.
© Maxime Sirvins

Ce 27 juin 2025, environ deux cents paysans, collectifs et habitants se sont rassemblés dans l’usine Phyteurop, à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire). Cette entreprise, filiale de la coopérative InVivo, produit et conditionne des substances phytosanitaires. Dès huit heures du matin, alors que l’alarme du site classé « Seveso haut » se déclenche, plusieurs tracteurs bloquent l’entrée du site. Des militants pénètrent dans cette usine qui incarne à leurs yeux le cœur d’un système agro-industriel néfaste pour la santé des agriculteurs, des habitants et de la biodiversité. « Tueurs de paysan·es » est inscrit sur une banderole déployée devant les locaux.

L’action s’inscrit dans un contexte politique tendu, autour des colères d’un monde agricole fracturé et essoré. Pour apaiser les mouvements de révolte, les gouvernements successifs ont suivi aveuglément le discours de la FNSEA dénonçant les normes environnementales comme principal fardeau. Avec comme demande prioritaire : le retour de certains néonicotinoïdes, des insecticides attaquant le système nerveux central des pollinisateurs. La loi Biodiversité votée en 2016 les avait pourtant interdits dès 2018.

(Toutes photos : Maxime Sirvins.)

Mais depuis, les reculs s’enchaînent. Une première dérogation a été accordée aux producteurs de betteraves dès 2020 avant d’être prolongée. Aujourd’hui, la proposition de loi Duplomb, votée au Sénat en mai 2025 et attendue lundi 1er juillet à l’Assemblée nationale, entend enterrer définitivement ces interdictions pour trois substances, notamment l’acétamipride.

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Ce texte, soutenu par une majorité sénatoriale à droite et porté par le lobby agro-industriel, vise à libéraliser davantage l’usage de pesticides au nom de la compétitivité agricole. Pour les manifestants, cette loi représente un retour en arrière historique, sacrifiant la santé publique et les équilibres écologiques à des intérêts économiques de court terme. Ils dénoncent aussi l’influence croissante des groupes agroalimentaires, capables d’imposer leurs vues au détriment des paysans et même des institutions sanitaires.

Ce rassemblement de Montreuil-Bellay donne voix à celles et ceux qu’on entend trop peu : des parents inquiets pour l’eau de leurs enfants, des paysans marqués par les maladies et autres citoyens. Vers 13 heures, les manifestants quittent les lieux dans le calme sous le regard d’une vingtaine de gendarmes. La direction de Phyteurop a refusé de rencontrer les participants ou de répondre à leurs questions. Pour un participant, cette mobilisation est un cri commun contre « l’empoisonnement légal, et pour une agriculture libérée des dépendances toxiques ».

« À force de voir des gens broyés, on ne peut plus se taire »

Thierry est tout juste retraité après une carrière comme éducateur spécialisé. Il a passé sa vie à accompagner des enfants et des adultes en situation de handicap, et ce qu’il a vu l’a mené devant cette usine de pesticides. « Les impacts des pesticides sur la santé ne sont pas un fantasme, pas un avis, mais bien des faits. J’ai rencontré et accompagné des gens chargés en pesticides, diagnostiqués tardivement, sans oublier les enfants, les familles qui doivent vivre avec ça aussi. »

Thierry : « Les impacts des pesticides sur la santé ne sont pas un fantasme, pas un avis, mais bien des faits ».

Sur place, Thierry a pu parler avec des salariés, dont des chimistes en blouse blanche, mais sans agressivité, juste pour leur faire comprendre qu’ils seront les premières victimes de ces produits. Il s’indigne de ce qu’il a vu sur le site : les ouvriers n’ont pas le droit de boire ou de manger sur place pour éviter les contaminations, des tuyaux terminent selon lui dans du gravier, des réservoirs vétustes… Il raconte aussi l’échange avec le sous-préfet, venu affirmer que « la zone est dangereuse pour les militants, mais pas 20 mètres plus loin ».

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« Comme si un portail arrêtait les molécules. Comme si le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à la frontière. Ce genre de mépris, on connaît. On l’a vu toute notre vie ! ». Il se souvient de sa carrière, de ses années dans une institution religieuse, où il a vu de près les effets du silence, du déni, du pouvoir. « À force de voir des gens broyés, on ne peut plus se taire. »

« On ne pointe pas du doigt les agriculteurs »

Louise* est membre des Soulèvements de la Terre, qui ont coorganisé l’action avec la Confédération paysanne. « Depuis le début, on essaie de déconstruire cette image d’un fossé entre militants écolos et agriculteurs. Cette séparation arrange surtout ceux qui profitent du système agricole tel qu’il est. » Cette action en est l’expression concrète. « On ne pointe pas du doigt les agriculteurs, mais un système d’agro-industrie qui repose sur l’exploitation, la mise en danger des travailleurs et la destruction des écosystèmes. » Elle refuse les raccourcis faciles et rappelle les disparités qui existent au sein du monde agricole.

*

Prénom modifié.

« Ce n’est pas un bloc unique, il y a DES mondes agricoles : celui des petits producteurs, des salariés agricoles, des paysans qui galèrent… Et celui des grandes coopératives, des dirigeants comme Arnaud Rousseau (président de la FNSEA) qui n’ont pas les mêmes intérêts que les autres ! » Pour elle, cette usine symbolise beaucoup : « C’est un énorme site, 16 000 m², lié à de grandes coopératives agricoles, avec des plaintes de riverains à cause de son impact. »

Louise évoque aussi le calendrier actuel avec la loi Duplomb. « On est là aussi pour faire exister cette lutte dans l’espace public. La loi qui arrive ne corrige rien, mais aggrave tout, car on va toujours plus loin dans l’acceptation du poison. »

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« On ne connaît pas de paysans qui utilisent les pesticides par plaisir »

Thomas Gibert, porte-parole national de la Confédération paysanne, est bien décidé à faire entendre un autre son de cloche. « Contrairement à ce qu’on entend, tous les agriculteurs ne soutiennent pas la loi Duplomb. C’est une illusion médiatique. Cette loi ne profitera qu’à une minorité. » Derrière cette loi, se cache le modèle agricole, industriel, financiarisé, polluant qu’il dénonce. Un exemple : une exploitation à Berneuil, en Haute-Vienne. « Une ferme industrielle qui contrôle 1 200 hectares. Elle contourne les règles, possède une énorme bassine, et représente ce qui pourrait devenir la norme. »

Thomas Gibert : « On nous dit que sans pesticides, on ne tiendra pas face à la concurrence mondiale. Mais cette logique tire les prix vers le bas. »

Aujourd’hui, les seuils ICPE, qui déclenchent les obligations environnementales, sont fixés à 800 bovins mais « aucun paysan n’a de bâtiment de cette taille, donc ces seuils sont faits pour les géants. » Thomas Gibert rejette aussi l’argument de la compétitivité : « On nous dit que sans pesticides, on ne tiendra pas face à la concurrence mondiale. Mais cette logique tire les prix vers le bas, rend les producteurs dépendants, et affaiblit toute l’agriculture. »

Nous défendons une agriculture plus autonome, moins dépendante, plus vivable.

T. Gibert

Il prend l’exemple des betteraviers, très actifs pour défendre les néonicotinoïdes. « Il suffirait d’augmenter de 3 ou 4 euros le prix de la tonne pour compenser les pertes liées aux pucerons. On ne va pas nous faire croire qu’en France, on n’est pas capable de mettre des outils de régulation de quelques euros. » L’agriculture n’a pas besoin de toujours plus d’intrants, mais d’une politique claire. « Nous défendons une agriculture plus autonome, moins dépendante, plus vivable. Il est temps de sortir du règne des lobbies. On ne connaît pas de paysans qui utilisent les pesticides par plaisir. »

« On n’avance plus. On régresse »

Laurent est, avec Daniel, membre du collectif Sans Pesticides de Massérac. « On est sur une aire de captage d’eau potable qui alimente 20 000 personnes. Depuis cinq ans, l’eau est passée largement sous les seuils de qualité. » Sur les factures, les alertes se sont accumulées, pourtant, rien n’a été fait en amont. « On traite l’eau, on construit une usine qui coûte une fortune, mais sur le terrain, aucun changement. C’est juste du curatif. » Le collectif, composé d’une cinquantaine de riverains, réclame une zone de captage sans pesticides. Même cette exigence minimale semble difficile à faire entendre.

Daniel et Laurent : « Si on ne peut même pas protéger une aire de captage, alors qu’est-ce qu’on peut défendre ? »

« On va en réunion, en comité de pilotage, on engage des recours juridiques… Et rien ne bouge. » Pour eux, la loi Duplomb est « un recul brutal » : « On n’avance plus. On régresse ! Il faut donc lutter différemment comme avec cette action qui est visible, qui dit l’urgence d’agir, qui permet de faire exister un débat que les réunions institutionnelles étouffent. »

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Pour Laurent, ce combat n’est pas un symbole abstrait puisqu’il concerne l’eau qu’on boit et le sol qu’on cultive. « Si on ne peut même pas protéger une aire de captage, alors qu’est-ce qu’on peut défendre ? Or, il y a une sorte de réflexe défensif, très fort quand on parle des pesticides, » regrette-t-il.

« C’est un hommage à Georges »

Étienne, 60 ans, est ancien paysan retraité. Il vit à 30 km de l’usine. Aujourd’hui, il porte la mémoire de son père sur cette action de blocage. « Il a eu les trois maladies professionnelles reconnues aujourd’hui dans l’agriculture : un cancer de la prostate, la maladie de Parkinson, et un glioblastome. » Le glioblastome, une tumeur cérébrale foudroyante, a été reconnu tout récemment comme maladie professionnelle liée aux pesticides. Son père avait plongé dès les années 1950 à corps perdu dans l’agriculture productiviste avant de faire machine arrière. Trop tard. Étienne reprend l’exploitation familiale en 1994.

Étienne : « Quand la FNSEA bloque des routes ou manifeste devant l’Assemblée nationale, on parle d’un monde agricole uni. Mais ce n’est pas vrai. »

« J’ai fait deux traitements chimiques en arrivant. Je me suis vu, seul dans le champ, à respirer ça, et je me suis dit : non. » Il passe alors en agriculture biologique pour « transmettre autre chose que la maladie. » Car celle-ci est partout. « Aujourd’hui, c’est mon frère qui se soigne d’un cancer de l’estomac, avec des métastases. Il avait repris une ferme de lait. Quand il a retrouvé les anciens carnets de traitement, il a pleuré. » Pour Étienne, être devant cette usine est lourd de sens. Il tente d’échanger avec les employés. « Il ne faut pas les culpabiliser. Juste témoigner. Leur dire que les premiers à tomber malades, ce sont eux. »

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Mais Étienne ne se fait pas d’illusion. « Quand la FNSEA bloque des routes ou manifeste devant l’Assemblée nationale, on parle d’un monde agricole uni. Mais ce n’est pas vrai. Il y a des paysans précaires, en bio ou non, et il y a des puissances industrielles. », explique celui qui a été porte-parole de la Confédération paysanne dans le Maine-et-Loire au début des années 2000. Aujourd’hui, il est revenu pour témoigner. « C’est un hommage à Georges », son père. Il aimerait qu’on entende des histoires comme la sienne. Des vies.

« On ne veut pas que nos enfants boivent du poison »

Anne-Claire et Christelle sont mères de famille dans le nord de Nantes. Ce qui les a poussées à s’engager, c’est l’eau. Celle qu’elles boivent, que leurs enfants boivent, et qui, un jour, s’est révélée impropre à la consommation. « En 2023, l’ARS a lancé une alerte : l’eau du robinet contenait des taux trop élevés en nitrates. Les nourrissons et les femmes enceintes ne devaient plus la boire. » Les deux femmes se mobilisent. Elles demandent des filtres, des bouteilles d’eau pour les enfants dans les écoles et découvrent que les nitrates ne sont qu’une partie du problème.

Anne-Claire et Christelle : « Il faut arrêter totalement l’usage de pesticides autour de ces zones sensibles. C’est une question de santé publique« .

Les analyses révèlent la présence d’autres polluants : chlorothalonil, métolachlore, cadmium… Des résidus de pesticides, bien au-delà des seuils sanitaires. Avec d’autres parents, elles créent le collectif Eau-s’cours. Leur demande est simple : sanctuariser les zones de captage. « Il faut arrêter totalement l’usage de pesticides autour de ces zones sensibles. C’est une question de santé publique. » Elles s’appuient sur l’expertise d’élus engagés, comme le vice-président d’Atlantic’eau, également chercheur, qui plaide pour des seuils bien plus bas que les normes françaises.

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« Le problème, c’est que les filtres mis en place, au charbon actif notamment, sont déjà dépassés techniquement. Les molécules passent à travers. Et les coûts explosent. » Quand on leur demande pourquoi elles sont là, devant une usine de pesticides dans le Maine-et-Loire, à deux heures de route de chez elles, leur réponse est limpide : « Parce que tout est lié. Parce qu’il faut agir. Parce qu’on ne veut pas que nos enfants boivent du poison. »

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