Les intellectuels trumpistes au cœur de la nouvelle droite américaine

Les universitaires états-uniens ne sont pas tous démocrates, loin de là. Et certains jouent un rôle clé dans l’élaboration idéologique du trumpisme. Cette alliance s’inscrit dans un réseau stratégique qui s’impose jusqu’aux cercles du pouvoir.

Juliette Heinzlef  • 19 juin 2025 abonné·es
Les intellectuels trumpistes au cœur de la nouvelle droite américaine
Victor Davis Hanson, un historien militaire américain, spécialiste de la Grèce antique.
© DR

On a tôt fait de résumer la relation des universités américaines avec Donald Trump à un bras de fer. À l’occasion, il peut aussi s’agir d’une main tendue. En vue du 250e anniversaire de l’indépendance des États-Unis, la Maison Blanche a annoncé sur son compte X un partenariat avec le Hillsdale College, une université chrétienne conservatrice du Michigan.

Cette collaboration n’est pas inédite. Depuis la première campagne de Trump, le directeur de l’université, Larry Arnn, professeur d’histoire et de science politique, apparaît fréquemment sur Fox News pour soutenir le candidat puis président américain. Dans le contexte de la charge trumpiste à l’encontre de l’université Harvard et du gel de ses subventions, il a récemment déclaré que l’enseignement supérieur ne devrait pas dépendre du financement fédéral.

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L’attrait d’un universitaire de renom pour Donald Trump peut sembler surprenant, voire contradictoire : « Dans l’imaginaire commun, un intellectuel trumpiste est un oxymore. On ne peut pas s’intéresser aux idées fondamentales sur la politique, la société ou le droit et être un trumpiste», expose à Politis David L. Swartz, chercheur en sociologie à l’université de Boston et auteur d’une étude dans laquelle il examine l’impact de Trump sur les enseignants conservateurs (1).

1

David L. Swartz, The Academic Trumpists : Radicals Against Liberal Diversity, Routledge, 2024.

Cette alliance n’a pourtant rien d’une anomalie isolée : en 2016, 136 universitaires et écrivains conservateurs avaient publié une déclaration d’unité soutenant la candidature de Donald Trump à l’élection présidentielle. L’initiative a été reconduite en 2020, dotée d’une nouvelle introduction : « Compte tenu de l’étonnante réussite de son premier mandat, nous pensons que Donald Trump est le candidat le plus à même de favoriser la promesse et la prospérité de l’Amérique. Nous vous invitons à le soutenir comme nous le faisons. »

Trump, un  « héros talentueux et imparfait »

Mark Bauerlein, ­professeur émérite en littérature anglaise à Emory, une université privée dans l’État de Géorgie, est l’un des signataires de ce texte. Il explique à Politis : «Bien sûr, Donald Trump n’est pas un intellectuel. Il n’est pas aussi cultivé que Jimmy Carter. Il n’est pas aussi maître de la politique que Bill Clinton, mais beaucoup de ces vertus ne font pas la totalité d’un leader. » Le bon chef serait avant tout celui qui sait «mobiliser la volonté populaire dans la bonne direction ».

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Pour d’autres, comme Victor D. Hanson, historien militaire et professeur distingué au Hillsdale College, la légitimité de Trump tient à une nécessité historique. Le président américain serait un «héros talentueux et imparfait», poussé «à contrecœur à résoudre des crises existentielles qu’un système politique sobre et judicieux ne peut ou ne veut résoudre», expose-t-il à Politis. Jusqu’à le comparer aux héros tragiques grecs Ajax, Antigone ou Œdipe (2).

2

Victor D. Hanson, The Case for Trump, Basic Books, 2019.

Quel est le profil de ces universitaires trumpistes ? « Des professeurs permanents qui publient, enseignant dans de grandes universités ou de plus petits établissements du supérieur jouissant d’une assez bonne réputation », résume David L. Swartz. Ils se distinguent de leurs collègues conservateurs, dont la plupart ne sont pas favorables à Trump : « Il s’agit d’un petit groupe, enclin à être populiste en termes de perspectives politiques. »

Des spécialistes de théorie politique ou de droit constitutionnel

Les matières qu’ils enseignent sont aussi révélatrices. Sur les 103 universitaires trumpistes étudiés, David L. Swartz n’a recensé aucun chercheur en sciences naturelles. Cette absence n’est guère surprenante au vu du scepticisme du président envers le réchauffement climatique et des coupes fédérales, voire des suppressions, qu’ont subies des programmes de recherche.

En revanche, la majorité de ces intellectuels sont spécialistes de théorie politique ou de droit constitutionnel, avec un penchant pour l’histoire américaine. Ces inclinations font écho à la lecture que privilégient les conservateurs de la Constitution : l’originalisme, une interprétation qui entend revenir à l’intention première des Pères fondateurs, à rebours de celle, évolutive, défendue par les Démocrates.

La majorité de ces intellectuels sont spécialistes de théorie politique ou de droit constitutionnel, avec un penchant pour l’histoire américaine.

Or, depuis peu, une approche plus radicale séduit nombre d’intellectuels ultraconservateurs : le post-originalisme, dont Adrian ­Vermeule, professeur de droit constitutionnel à la Harvard Law School, serait le « parrain » selon le New York Times. Dans une publication de The Atlantic datant de 2020, il affirme que c’est au gouvernement d’orienter la société vers le bien commun. Cette perspective implique que l’exécutif dispose de suffisamment de pouvoir pour gouverner, à travers l’édiction de règles strictes.

Un rayonnement hors campus

Si des libéraux ont accusé Vermeule de prôner un « extrémisme autoritaire », certains juges manifestent désormais une attention particulière à sa théorie. Le New York Times a rapporté que certaines décisions des cours d’appel fédérales faisaient référence à son livre. Un intérêt qui témoigne de l’influence accrue de ces universitaires, dont la parole s’impose dans la sphère publique : «Leurs activités politiques se déroulent en grande partie en dehors du campus, dans les médias sociaux ou d’information à travers lesquels ils soutiennent publiquement Trump», souligne David L. Swartz.

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Mark Bauerlein publie ainsi quotidiennement sur X, afin que ses idées ne soient pas «simplement ignorées» du cadre universitaire, qu’il qualifie de « zone morte ». Idem pour Victor D. Hanson, qui tient aussi un podcast intitulé « The ­Victor D. Hanson Show » (photo). Sous couvert de discuter des événements et idées politiques actuels ou passés, il y fait la promotion des politiques trumpistes. Mais le pont entre les mondes académique et politique est surtout assuré par les think thank ultraconservateurs, dont le rôle est prégnant aux États-Unis. En tête, The Heritage Foundation et The Claremont Institutes’imposent comme incontournables dans la promotion d’universitaires trumpistes.

Ces deux institutions ont donné au trumpisme un lustre intellectuel

L. K. Field

« Ces deux institutions ont donné au trumpisme un lustre intellectuel, dynamisé un très grand nombre de jeunes, réorganisé une large fraction du Parti républicain et fourni les plans pour les premiers mois – destructeurs et chaotiques – de la nouvelle administration, analyse Laura K. Field, politologue spécialiste de l’intellectualisme d’extrême droite aux États-Unis. Je ne pense pas qu’une deuxième administration Trump telle que celle que nous voyons à l’œuvre aujourd’hui aurait pu exister sans ces acteurs. »

« Ce n’est pas parce que les universitaires sont intelligents qu’ils sont sages politiquement »

The Heritage Foundation est connue pour avoir publié le Projet 2025, une feuille de route de 900 pages contenant des propositions ultraconservatrices pour le second mandat de Trump. Certaines, déjà mises en place, visent à renforcer un leadership coercitif autoritaire en défendant les valeurs chrétiennes nationalistes contre le « wokisme ». « Alors que l’Heritage Foundation trouve des collaborateurs pour l’administration, le Claremont Institute forme la prochaine génération d’influenceurs et quelques collaborateurs », considère Laura K. Field.

Reste que ce dernier a publié une liste de ses trente et un anciens étudiants ayant rejoint la nouvelle administration en février 2025. La publication du Claremont Institute affirme : «En plaçant des dizaines d’anciens élèves à des postes clés au sein du gouvernement et en cultivant une nouvelle génération de fonctionnaires dévoués aux principes de la fondation américaine, notre influence s’étend de la Maison Blanche aux sièges des États dans tout le pays. » Et ses responsables de marteler leur position en tant que « source cruciale de leadership intellectuel».

À Politis, Mark Bauerlein avait ironiquement déclaré : « Ce n’est pas parce que les universitaires sont intelligents qu’ils sont sages politiquement. » Un propos véridique – mais peut-être pas dans le sens où il l’entend.

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Idées Monde
Publié dans le dossier
Le fascisme sauce Trump
Temps de lecture : 7 minutes

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