Immigration, wokisme, dépenses publiques… Les obsessions de l’extrême droite au Sommet des libertés
Mardi 24 juin, dans une ambiance de meeting politique qui ne s’assume pas, le « Sommet des Libertés » a réuni des têtes d’affiche de l’extrême droite française, de Jordan Bardella à Sarah Knafo, sous l’impulsion des milliardaires ultra-libéraux, Bolloré et Stérin.

© Illustration : Thomas Lefèvre
Du débat, de la confrontation, des idées. Malgré les belles promesses, c’est tout ce qu’il n’y a pas eu au « Sommet des libertés », un événement réunissant des entrepreneurs, des intellectuels et des politiques pour promouvoir « l’éveil libéral », ce mardi 24 juin au Casino de Paris. Une soirée « apartisane » qui a, malgré tout, vu défiler Jordan Bardella, député européen du Rassemblement national, Sarah Knafo, députée européenne de Reconquête, et le député Éric Ciotti, président de l’Union des droites pour la République, dans cette salle, propriété de Vincent Bolloré.
Geoffroy Lejeune, ex-directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, directeur des rédactions du JDD et de JDNews, coorganisateur de l’événement, se défend de toute critique sur le manque de pluralisme : « On a invité tous les grands partis politiques à venir s’exprimer ce soir devant vous, mais certains n’ont pas voulu venir. » En plus de l’hebdomadaire JDNews, racheté par le milliardaire Vincent Bolloré, le Sommet des libertés est organisé par le think-tank Institut Sapiens, l’association libérale-conservatrice Contribuables associés et la structure Périclès (pour Patriotes, enracinés, résistants, identitaires, chrétiens, libéraux, européens, souverainistes), fondée par le milliardaire réactionnaire Pierre-Édouard Stérin.
Dans l’entrée de la salle de spectacle, les partenaires de l’événement ont organisé le « Village des libertés », ouvert dès la fin d’après-midi. Les sympathisants libéraux-conservateurs de tous âges déambulent entre les stands, pour acheter un livre de Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation nationale sous Nicolas Sarkozy, discuter politique fiscale avec les membres du libéral Institut de recherches économiques et fiscales (Iref), ou même… acheter du bitcoin !
Un espace est réservé au média spécialisé dans les cryptomonnaies, How To Bitcoin. Ce dernier vend sur la boutique de son site web un tee-shirt avec l’inscription « Nique l’État », « ce monstre dévorant nos libertés et étouffant la souveraineté individuelle ». Pierre Noizat, fondateur de la plateforme de bitcoin Paymium, est par ailleurs sur la liste des intervenants de la soirée. Il défend une vision politique du bitcoin, ultralibertarienne, qui permettrait de s’émanciper de notre monnaie européenne.
Salle comble pour l’extrême droite
« Il y a du monde dis donc », s’étonne une personne âgée, en s’installant sur les gradins. C’est devant une salle comble – plus de 1 300 personnes – que les prises de parole ont commencé, à partir de 19h45. La première partie de soirée est consacrée à des tables rondes et des « débats », où les intervenants ne sont « probablement pas d’accord sur tout », d’après l’économiste libéral Olivier Babeau, cofondateur de l’Institut Sapiens.
La soirée commence avec une voix off alarmiste, accompagnée d’une musique anxiogène, et une vidéo de textes blancs sur fond noir : « Qu’avons-nous fait de nos libertés ? À force de lois, de décrets, de normes, à force de croire que l’État peut tout faire, la France s’est figée. Mais ce soir, au Casino de Paris, quelque chose commence. » Cet événement est voué à être réitéré d’ici à la présidentielle de 2027 et Geoffroy Lejeune le promet d’emblée : « Il y en aura beaucoup d’autres. » Le ton et l’ambition politique sont explicites.
Les séquences s’enchaînent et ressemblent davantage à des entretiens-fleuves qu’à de véritables débats. « La liberté n’a jamais été autant menacée. Liberté d’expression, d’éduquer, de circuler, d’entreprendre : tout est encadré, restreint, surveillé », peut-on lire dans la communication du Sommet des libertés. Dans sa tribune, Luc Ferry commence par désigner l’ennemi commun : le wokisme. Entendre par là un fourre-tout allant de la défense des minorités à « l’écologie punitive », comme la désignera plus tard Jordan Bardella, en faisant référence au Green Deal européen.
Plus tard, une confrontation est promise entre Charles de Courson, député du groupe Liot et rapporteur général de la Commission des finances, et Olivier Babeau. Mais la journaliste d’Europe 1 qui anime le débat, Stéphanie de Muru, prévient : les deux participants ont « des visions identiques ». Et, sans surprise, la réforme des retraites est jugée indispensable car il faut « travailler plus », selon Olivier Babeau. La veille, le conclave sur cette réforme a échoué. De quoi réjouir l’économiste.
Union des droites
La deuxième partie de soirée, le « Grand Oral », est consacrée aux interviews des personnalités politiques, toutes classées à l’extrême droite. Christine Kelly, animatrice star de CNews, pose des questions aux invités, un à un, pendant douze minutes, sans aucune relance ni contradiction, sur le thème de la liberté et des dépenses publiques. Les interventions sont promises « sans notes préparées ». Pourtant, tous sont venus avec leur discours sur papier. Des allures de meeting politique, pourtant réfuté par les organisateurs : « C’est une tribune libre, pas un meeting politique. »
Se succèdent sur scène Jordan Bardella, Éric Ciotti, Sarah Knafo, Nicolas Dupont-Aignan et enfin Marion Maréchal, née Le Pen, députée européenne, évincée du parti Reconquête après avoir tenté un rapprochement avec le Rassemblement national, sans concertation avec les autres membres. Ce qui explique l’accueil très mitigé au Casino de Paris, où les huées résonnent lors de son entrée. A contrario, un triomphe est réservé pour la compagne et proche conseillère d’Éric Zemmour, Sarah Knafo.
La plupart de ces personnalités plaident pour l’union des droites, notamment Éric Ciotti et Marion Maréchal. Quant au président du Rassemblement national, il ne s’est pas exprimé sur le sujet et a réussi le petit exploit personnel de ne parler d’immigration qu’au bout de deux minutes d’entretien, en s’attaquant aux « mauvaises dépenses de l’État », tout en défendant la préférence nationale pour les aides sociales. Pour ce qui est des libertés, le chouchou-concurrent de Marine Le Pen se veut défenseur de la « liberté d’être une femme française ».
« Fermer l’Arcom, rouvrir C8 »
Sans le nommer, Bardella s’inspire du milliardaire américain Elon Musk en proposant de couper les dépenses publiques si le RN était élu en 2027. Comment ? En supprimant des agences publiques et en réduisant les aides au développement données à « l’Algérie ou à Gaza ». Ce qui n’est pas sans rappeler l’annulation du programme d’aide au développement, USAID, aux États-Unis, et les milliers de morts, directes ou indirectes, qui ont suivi.
Tous ces potentiels candidats à la présidentielle proposent aussi de réduire les financements de l’audiovisuel public, voire de le privatiser entièrement. « Il faudrait fermer l’Arcom et rouvrir C8 », résume Jordan Bardella, quand on lui demande sa mesure prioritaire s’il était président, sous les acclamations de la salle. La décision de l’autorité de régulation de supprimer la fréquence de TNT à la chaîne de Bolloré est mal digérée par les militants d’extrême droite, qui y voient une « censure » de la part de la « dictature de la pensée unique », selon Éric Ciotti.
Sur l’un des visuels du kit, une tronçonneuse, inspirée par la séquence culte du très droitier président argentin, Javier Milei.
« Ni de gauche, ni de droite : libres »
Pour promouvoir l’événement, un « kit de mobilisation » est mis à disposition des « influenceurs souhaitant relayer l’événement ». Dans celui-ci, on retrouve notamment un document « éléments de langage », qui insiste sur la neutralité politique de l’événement, supposé rassembler ceux qui sont « ni de gauche, ni de droite : libres ». Sur l’un des visuels du kit, une tronçonneuse, inspirée par la séquence culte du très droitier président argentin, Javier Milei, découpe les mots « normes », « impôts », « contrôle » et « régulation ».
En fin de soirée, les militants attendent impatiemment l’arrivée des intervenants pour boire un verre avec eux. « Tellement stylé ! », « c’était trop bien » : les exclamations fusent à la sortie du Casino de Paris, où le nombre de personnes habillées en costume trois pièces attirent l’œil étonné des passants.
Ce Sommet des libertés illustre l’alliance entre des entrepreneurs libertariens et des personnalités politiques d’extrême droite, le tout financé par des milliardaires conservateurs. L’extrême droite est à la recherche de la version française de Javier Milei, ou de Donald Trump, qui aura le « courage » de réformer massivement l’État, quitte à modifier la Constitution pour cela, comme le propose la députée LR Anne-Laure Blin, pour supprimer le Conseil économique social et environnemental. Les prémices du technofascisme bleu-blanc-rouge.
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