Pour recruter, VPF puis AFO ont pu compter sur la fachosphère

Durant l’enquête, les déclarations des prévenus ont mis en évidence le rôle de la fachosphère dans le recrutement des nouveaux membres.

Pauline Migevant  • 18 juin 2025 abonné·es
Pour recruter, VPF puis AFO ont pu compter sur la fachosphère
L’un des inculpés en tenue de combat.
© Illustration Politis

Les audiences commencent toujours ainsi. Une sonnette retentit, les prévenus, qui s’étaient salués et discutent entre eux, s’asseyent. Ils sont sous contrôle judiciaire, donc comparaissent libres. Ils sont toujours à la même place, les uns en face des autres, devant leurs avocats. La juge appelle le prévenu qui doit être interrogé. Les questions se ressemblent.

Parmi les premières choses que la présidente du tribunal demande au prévenu, debout face à elle : « Comment avez-vous rejoint VPF ? » VPF, pour Volontaires pour la France, c’est l’organisation créée après les attentats de 2015 pour combattre « l’islamisation du pays », et dans laquelle de nombreux prévenus sont passés avant de rejoindre AFO. VPF a été fondée par Yvan Blot, ex-RPR puis ex-cadre du Front national, et le général Martinez, retraité de l’armée de l’air.

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Vendredi 13 juin, c’est à Daniel R., alias Tommy, l’artificier du groupe qui s’occupait de la fabrication de TATP, un explosif particulièrement dangereux, que la juge s’est intéressée. Le plus jeune du groupe a 39 ans et se tient dans son box de verre – il a été placé en détention provisoire après un problème avec ses voisins. « À cette époque-là, [après les attentats de 2015] je suis sur internet une émission proposée par TV Libertés sur YouTube, avec le général Martinez, qui me renvoie sur Radio Courtoisie. Là, je prends contact en envoyant un mail pour les VPF. » L’ancien militaire, qui a servi en Afghanistan, contacte le groupe et est convié à une réunion, durant l’été 2017, au Café du Pont-Neuf.

C’est en faisant des recherches sur le «grand problème financier » de 2008 que Daniel R. avait découvert TV Libertés, puis Radio Courtoisie. « Petit bond par petit bond, je me suis intéressé à ces médias », a-t-il expliqué à la barre. « Je suivais à l’époque les théories, diffusées sur internet, de Xavier Raufer [criminologue d’extrême droite, NDLR] sur le caïd islamisé », détaillait-il lors d’une audition, en juin 2018. « Pour moi, des personnes déjà installées dans la criminalité, après s’être islamisées, se seraient arrogé le pouvoir dans certaines zones de non-droit. C’est pour ne pas être pas pris au dépourvu que j’ai intégré ce groupe. »

J’ai accroché à un article du général Martinez qui tenait un discours rassembleur à propos de la France en danger.

Franck G.

Ce n’est pas le seul à évoquer le rôle de ces médias de « réinformation » dans sa prise de contact avec VPF. « J’ai accroché à un article du général Martinez qui tenait un discours rassembleur à propos de la France en danger qui avait besoin de ses enfants pour la protéger », avait expliqué Frank G., alias Cortes, lors de l’enquête de personnalité réalisée au moment de l’instruction. L’homme de 57 ans aujourd’hui était identifié comme responsable de la cellule AFO Île-de-France à distance. Après vingt-cinq ans dans la marine, il travaillait au ministère des Affaires étrangères.

Accès privilégié à Radio Courtoisie

Le général Antoine Martinez s’exprime régulièrement sur les plateformes telles que TV Libertés et Radio Courtoisie, ou sur divers sites d’extrême droite. À partir de septembre 2016, Yvan Blot prend la tête de l’émission « Libre journal des enjeux actuels » sur Radio Courtoisie, avant de diriger le « Libre journal de la résistance française ». Il cède ensuite sa place en 2018 à Nicolas Stoquer, alors président du parti Rassemblement pour la France, favorable à l’indépendance de l’Europe. Dans un document revenant sur la deuxième convention des VPF, tenue en avril 2017, Nicolas Stoquer est présenté comme l’animateur de la convention et chargé du dossier Patrimoine des VPF.

Lors de sa deuxième audition de garde à vue, Olivier L. avait lui aussi indiqué avoir connu VPF via «Radio Courtoisie, qui est tenue par le général Martinez ». Il explique ensuite avoir reçu un mail de leur part. Les lectures qu’il évoque dans son enquête de personnalité révèlent l’environnement idéologique dans lequel il se situe. Au-delà « des livres religieux catholiques » et de « l’auteur Éric Zemmour », il consulte régulièrement certains sites internet d’information tels que Riposte laïque, Fdesouche, le blog du Cercle de citoyens patriotes (CCP).

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Dans son expertise psychiatrique, Sylvie C., alias Attila, 76 ans aujourd’hui, qui s’occupait du recrutement chez AFO, explique avoir vu sur Facebook un message « lui ayant plu ». Sur l’influence du général Martinez : « Je suis entré chez VPF pour faire du survivalisme car Martinez me disait qu’on entrait dans une période dangereuse… qu’il fallait rendre service et protéger et partir à Soulac. Donc on organisait un départ en province… »

« Agit-prop » 2.0

Dans son enquête, la DGSI s’était intéressée aux deux sites liés à AFO, toujours accessibles aujourd’hui. Le slogan du premier site, Réveil patriote, se réfère explicitement au « grand remplacement » (1) : « Résister pour ne pas être remplacés ». Il se présente comme composé « d’hommes et des femmes prêts à s’investir et se former pour faire face à l’invasion migratoire, l’islamisation, qui détruisent notre pays, notre culture et l’avenir de nos enfants ».

1

Théorie complotiste d’extrême droite popularisée par Renaud Camus, récompensé par VPF comme « volontaire d’honneur » lors de sa convention d’avril 2017.

Dans un article de 2021 sur la radicalisation terroriste d’extrême droite après les attentats de 2015 en France, l’historien Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême droite radicale, évoque ces sites « d’agit-prop ». Alors que le premier blog visait à recruter des civils, le second, Guerre de France, « visait à recruter parmi les policiers et les militaires ».

Sur guerredefrance.fr, on lit que « l’objectif est de faire prendre conscience aux citoyens-soldats Français de la réalité de la menace, de sa nature ». Une fois la menace déterminée, l’ambition de Guerre de France était de « guider ceux qui veulent ne pas baisser les bras, ne pas se laisser faire, dans leur préparation individuelle, puis à s s’organiser en famille (la cellule la plus sûre), par quartier, ville, département, selon les opportunités locales ou au niveau national,». Marie Véronique R., 71 ans aujourd’hui, responsable de la communication d’AFO et gérait Réveil patriote, n’est pas présente au procès pour des raisons de santé.

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