Derrière des membres d’AFO, l’ombre du FN-RN
Si le parti d’extrême droite a toujours voulu prendre ses distances avec ce dossier de terrorisme, certains des prévenus ont pourtant joué un rôle dans des élections du FN et du RN. D’autres assurent avoir voté pour eux ou adhéré à leurs idées.
dans l’hebdo N° 1867 Acheter ce numéro

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Pour recruter, VPF puis AFO ont pu compter sur la fachosphère Projet d’attentats d’extrême droite : AFO devant la justiceImaginez 16 prévenus d’extrême gauche interpellés pour associations de malfaiteurs terroristes. Parmi ces adhérents de « l’idéologie radicale d’ultragauche », trois ont eu un engagement direct avec la formation la plus importante de ce bord politique. L’un comme candidat aux élections municipales, sénatoriales, départementales et régionales à partir de 2014, un autre comme assesseur aux régionales de 2015. Le troisième se serait présenté aux cantonales de 1994.
Pour le reste des mis en examen, le dossier judiciaire révèle des affinités claires avec les idées d’un parti, en plus de bulletins de vote en sa faveur glissés dans l’urne. Combien d’éditions spéciales sur les chaînes d’info en continu ? De commentaires politiques tous plus indignés les uns que les autres devant une telle menace pour la République ? Cette fiction est bien la réalité. À un détail près : ce n’est pas de la gauche radicale dont on parle, mais de l’extrême droite. Et le parti concerné : le Rassemblement national (RN). Mais dans les médias comme dans le paysage parlementaire, c’est silence radio. Circulez, il n’y a rien à voir.
Le dossier aurait pourtant de quoi noircir des pages. Treize hommes et trois femmes réunis autour d’un groupuscule clandestin, Action des forces opérationnelles (AFO), une organisation structurée, fascinée par les armes et la chose militaire. Ce qui les unit : « une même idéologie alimentée par l’assimilation du terrorisme jihadiste à l’islam en général, la crainte du grand remplacement, et une vision déclinante de la société française à laquelle répondaient le survivalisme déviant et l’accélérationnisme », selon les mots du parquet national antiterroriste.
Ce que certains projettent de faire : « tuer 200 imams radicalisés », jeter des grenades dans « la voiture des Arabes » en réaction à un attentat ou empoisonner des aliments halal dans des supermarchés avec du cyanure ou du raticide. Les 16 individus sont jugés pour « infraction d’association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation de crimes d’atteintes aux personnes ».
Et le Rassemblement national, dans tout cela ? À l’époque, quand l’affaire sort en juin 2018 après les premières arrestations, les projecteurs sont braqués sur le chef d’AFO : Guy S. Ce dernier, dont le surnom est Richelieu, est à l’origine de la formation du groupe. Avec son comparse, Dominique C., le retraité de la police nationale quitte les Volontaires pour la France (VPF), une organisation nationaliste et islamophobe lancée après l’attentat de Charlie Hebdo. Ils créent AFO, pour se préparer à des actions concrètes, et commencent à recruter notamment chez les dissidents de VPF. Nous sommes en octobre 2017. Deux ans auparavant, le même Guy S. se rapproche de l’antenne locale du Front national (FN) en Charente-Maritime.
« La défense de la nation »
Juste avant les élections régionales de 2015, Guy S. appelle celle qui était alors secrétaire administrative du RN du département. Il veut aider. « Elle le recrute immédiatement dans son équipe de campagne, notamment pour coller des affiches », note France Bleu (devenue Ici), qui l’avait contactée. Elle décrit « un homme de confiance, un homme équilibré ». Lors de la perquisition de son domicile, en 2018, les enquêteurs retrouvent de nombreux documents relatifs à la préparation au « tir de combat au fusil d’assaut », aux techniques pour manier un « fusil à pompe » ou à la préparation d’explosifs. Ainsi qu’un revolver de calibre 22.
Dans l’expertise psychologique, que Politis a pu consulter, Guy S. se considère « patriote ». Et n’écarte pas l’idée de se faire justice soi-même. Il confie au thérapeute qu’il s’engage à la « défense de la nation contre tout ce qui peut porter atteinte à l’intégrité physique des personnes, puisque l’État n’assure pas les fonctions régaliennes qui doivent être les siennes ».
Interrogée à l’époque sur le profil de Guy S., Marine Le Pen refusait toute proximité entre l’ultradroite et le Rassemblement national, pourtant fondé par d’anciens SS et traversé par des groupuscules violents. À Franceinfo, la cheffe du RN insiste : son parti n’a « jamais ni suscité, ni incité, ni eu jamais la moindre complaisance à l’égard de quelque acte de violence de quelque nature que ce soit ».
Pourtant, parmi les 16 mis en examen, un autre homme a croisé la route du parti d’extrême droite. Il a même à plusieurs reprises cheminé avec lui pour des élections. Dans un procès-verbal d’interrogatoire, Alain D., alias Passe-muraille, ne s’en cache pas. Il indique avoir « fait partie » du Front national une fois à la retraite, « avec la responsabilité d’une circonscription », précise l’ancien chef d’entreprise. « Je me suis présenté aux municipales en 2014, puis aux sénatoriales, puis aux départementales, puis aux régionales ».
Au sein de l’organisation, Alain D. est responsable pour la région Bretagne. Il est chargé du recrutement. Passionné par les militaires et le survivalisme, il met à disposition un terrain qu’il possède en Bourgogne. Plusieurs membres d’AFO s’y rejoignent à deux reprises. Lors d’un de ces stages, des explosifs projetés ont été testés. Un des prévenus dit avoir assisté à l’explosion d’une grenade artisanale qui contenait des boulons. Un autre explique avoir appris aux participants « à faire du napalm ». Deux mis en examen évoquent des tests de cocktail Molotov. L’idée de « surveiller une mosquée » aurait aussi été évoquée. De tout cela, Alain D. affirme ne se souvenir de rien. Pour lui, les stages devaient permettre de réaliser « des courses d’orientation, des bivouacs et du survivalisme ».
Son avocat, Frédéric Pichon, a lui-même été candidat aux européennes de 2014 pour le Front national. Cet ancien cadre du Groupe union défense (GUD), dissout en 2024, a été l’avocat du Bloc identitaire, de manifestants du mouvement d’extrême droite le Printemps français, et plus récemment du collectif Némésis.
Un père « raciste, homophobe et antisémite »
« Je vote à droite mais je suis assez social, je dirais que je suis patriote gaulliste mais pas capitaliste à outrance », a affirmé Philippe G., un autre prévenu, à la magistrate chargée de l’instruction. Chez lui, les enquêteurs retrouvent pourtant « une grande quantité de livres dédiés à la gloire de l’armée allemande du IIIe Reich et des unités SS ». Passionné d’airsoft, et ancien militaire ayant servi quatre ans dans l’infanterie, Philippe G. a aussi été membre des VPF, avant de rejoindre AFO.
Pour les VPF, il avait constitué une liste de matériels indispensables à avoir dans son sac à dos. À la mention « Ne pas oublier », sont énumérés une arme de poing, un poignard d’une lame d’au moins 20 cm, un fusil de chasse et « éventuellement » une carabine. Le nom de Philippe G. ressort des listes FN pour les élections cantonales de 1994. À l’époque, il habitait près du canton où il se serait présenté. Contactés, ses avocats n’ont pas répondu à nos sollicitations.
Les liens avec le parti d’extrême droite ne s’arrêtent pas là. Au cours d’une perquisition au domicile de Frank G., responsable d’AFO Île-de-France, un document ayant pour titre « RDV pour futur groupe » a été retrouvé. Il mentionne plusieurs noms, dont un ancien du Front national, par ailleurs « adepte de la chasse à courre », et un ancien militaire et adhérent au FN. Ce dernier a fait partie d’une liste aux élections municipales de 2014 à Villeneuve-le-Roi, pilotée par Guy Juin, se réclamant « du centre à la droite plus radicale ». Figure également un certain Alexandre R., candidat FN aux départementales dans le Val-de-Marne en 2015.
Au-delà des rôles actifs joués dans le parti d’extrême droite, plusieurs prévenus expliquent avoir voté pour le RN.
Au-delà des rôles actifs joués dans le parti d’extrême droite, plusieurs prévenus expliquent avoir voté pour le RN. C’est le cas d’Olivier L. Si lui se définit « de droite traditionaliste », ce lecteur d’Éric Zemmour, de Valeurs actuelles et de la revue de presse en ligne Fdesouche indique avoir voté pour la formation de Marine Le Pen en 2017. Au sein d’AFO, il reconnaît également avoir recherché activement des armes. Son ami d’enfance confie partager avec lui « la même façon de voir les choses : on vote pour le moins pire, donc pour le Rassemblement national. »
La fille de Karl H., un mis en examen, explique que son paternel « disait qu’il était pour Marine Le Pen ». « Il pense que la religion musulmane est incompatible avec notre pays », affirme-t-elle. Lui-même indique, lors d’une expertise psychologique, « voter FN comme [ses] parents ». Le fils du numéro 2 d’AFO, Dominique C., décrit un père « raciste, homophobe et antisémite ». Le prévenu a été membre d’un comité départemental de l’UMP (ex-Les Républicains). Mais pour son fils, « il n’a jamais été de droite républicaine dans ses propos, bien qu’encarté au RPR puis à l’UMP ». Il le situe plutôt « d’extrême droite ». Contacté, le président délégué du groupe RN à l’Assemblée nationale, Jean-Philippe Tanguy, répond : « Je ne sais même pas qui sont ces gens, et qu’ils croupissent en prison. »
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