Surpêche : en France, les stocks s’épuisent, la pêche industrielle s’accroche
Alors que les ressources marines françaises s’épuisent, la pêche industrielle poursuit son activité à un rythme soutenu. Sous la surface, les fonds marins français sont méthodiquement ravagés par des techniques de pêche industrielles lourdes et peu sélectives.

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François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens » Les pêcheurs de la baie de Granville en eaux troubles Océan : les enjeux d’un sommet plus politique qu’écologiqueLe rapport à la mer de la France repose toujours sur un modèle de pêche destructrice. C’est ce qui ressort des études de l’Ifremer, l’institut français de recherche entièrement dédié à la connaissance de l’océan, et de différentes ONG comme Bloom. Si la pêche française a atteint environ 500 000 tonnes de produits en 2023, cette abondance cache une réalité fragile. Selon les derniers bilans, la majorité des stocks exploités est dans un état incertain ou préoccupant. À l’origine de cette situation, le système de pêche fondé sur l’exploitation intensive et, en particulier, les engins traînants comme les chaluts et sennes de fond.
Des ressources exploitées, dans un état préoccupant
Le rapport 2024 de l’Ifremer, qui évalue l’état des ressources exploitées par la flotte française, montre que seuls 46 % des stocks évalués en 2023 sont considérés en bon état écologique. C’est-à-dire que moins de la moitié de la population marine a une biomasse suffisante et une pression de pêche supportable. Le reste des ressources, soit près de la moitié, est surexploité, dégradé ou non classifié. La situation est encore plus inquiétante en Méditerranée, où seulement 15 % des stocks évalués sont jugés en bon état, contre 57 % dans la Manche.
À cette dégradation généralisée s’ajoute une concentration préoccupante des impacts sur certaines techniques de pêche. Le rapport Changer de cap, publié par l’ONG Bloom en janvier 2024, pointe en particulier deux techniques industrielles de pêche : le chalut et la senne de fond, qui dominent les captures françaises. Ces deux techniques relèvent de ce qu’on appelle la pêche traînante, par opposition aux engins dits passifs (comme les filets ou casiers). Elles reposent sur une logique d’extraction massive, avec des engins tractés activement par des puissants navires.
Le chalut, illustration d’une pêche industrielle destructrice
Le chalut de fond est un filet de forme conique, traîné directement sur le fond marin à l’aide de panneaux métalliques et parfois de chaînes. Il balaie de larges surfaces, capturant tout ce qui se trouve à sa portée. Il cible des espèces vivant au contact du fond, comme la sole, la baudroie ou le merlan, mais ne distingue pas entre les individus matures et les juvéniles, ni entre les espèces commerciales et les autres protégées. Une technique très efficace d’un point de vue des volumes capturés, mais qui est extrêmement destructrice pour les écosystèmes. En raclant le fond marin, elle endommage les zones de reproduction, détruit les structures naturelles (récifs, coquillages, etc.) et remet en suspension des particules sédimentaires stockées parfois toxiques pour les poissons.
La senne de fond fonctionne selon un autre principe, mais produit des effets comparables. Elle consiste à déployer un très long filet qui est ensuite tiré sur le fond pour enserrer les poissons avant d’être remonté. Très utilisée, cette méthode couvre également d’importantes surfaces et engendre une forte mortalité collatérale sur les espèces non ciblées. Toujours d’après l’Ifremer, en 2021, la pêche avec « des arts traînants de fond a représenté 36 % du volume et 47 % de la valeur totale de la production française ». Cette surcapacité d’extraction, associée à une faible sélectivité, accélère le déclin des populations de poissons, en particulier des individus juvéniles, qui sont souvent capturés avant d’avoir pu se reproduire.
Cette surcapacité d’extraction, associée à une faible sélectivité, accélère le déclin des populations de poissons.
La pêche industrielle abreuvée d’aides publiques
Ces deux engins sont à la base du modèle de pêche industrielle, qui repose sur des navires de plus grande taille, parfois plus de 100 mètres, spécialisés dans les captures de masse. Ce modèle concentre l’essentiel des impacts environnementaux du secteur. D’après Bloom, les navires industriels utilisant ces techniques traînantes émettent 57 % du total des gaz à effet de serre de la flotte française, alors qu’ils génèrent relativement moins d’emplois, et que leur rentabilité repose bien plus sur les aides publiques. Un emploi à bord d’un chalutier de fond industriel est indirectement subventionné à hauteur d’environ 60 000 € par an, contre seulement 9 000 à 14 000 € pour un marin utilisant un engin passif.
Face à cette situation, la pêche artisanale représente une alternative largement sous-estimée. Elle repose sur des navires de petite taille, utilisant des engins moins agressifs comme les casiers, les lignes ou les filets. Ces techniques, plus sélectives et moins invasives, ont un impact bien moindre sur les fonds marins. Pourtant, elles restent structurellement désavantagées dans l’attribution des subventions et des quotas. « Entre 50 et 75 centimes d’euro : c’est le montant de subvention pour 1 kg de ressources pêchées dont bénéficient les grands chaluts et sennes de fond. A contrario, ce montant est de 30 centimes d’euro par kg débarqué pour les autres flottilles », révèle Bloom.
Le modèle industriel dominant, basé sur les engins traînants, concentre une grande partie des captures, mais aussi des impacts sur l’environnement.
L’ensemble des rapports convergent sur une conclusion claire : le modèle industriel dominant, basé sur les engins traînants, concentre une grande partie des captures, mais aussi des impacts sur l’environnement. À l’inverse, les pratiques artisanales, plus sélectives et moins destructrices, restent marginalisées dans les soutiens publics. Ce contraste souligne un déséquilibre profond dans l’organisation actuelle de la pêche française entre des enjeux écologiques, économiques et sociaux.
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