À Nancy, les socialistes règlent encore leurs comptes sur le cas insoumis

Réunies pendant trois jours, les trois orientations du parti au poing et à la rose se sont déchirées sur la question de l’alliance avec La France insoumise. Le sujet, latent depuis 2022, n’est toujours pas réglé. Et le congrès de ce parti coupé en deux semble n’avoir servi à rien.

Lucas Sarafian  • 16 juin 2025 abonné·es
À Nancy, les socialistes règlent encore leurs comptes sur le cas insoumis
À Nancy, les socialistes ont encore fait étalage de leurs divisions, entre "fauristes" et proches de Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen.
© Lucas Sarafian

Amateurs de guerres picrocholines, de motions de synthèse, de commissions de résolution et de pactes de gouvernance ? Rendez-vous à Nancy. Pendant trois jours, du 13 au 15 juin, le Parti socialiste (PS) a posé ses valises au centre Prouvé, un bâtiment moderne de cinq étages, à quelques pas seulement de la gare SNCF de cette préfecture de Meurthe-et-Moselle. Trente degrés au soleil, des bâtiments Art nouveau, le décor ressemble à une destination idéale pour un week-end de repos. Raté. Les socialistes sont en congrès.

Tout avait pourtant bien commencé. Le 13 juin, quelques minutes après l’ouverture officielle de l’événement, l’ensemble du parti semble s’accorder sur un point : hors de question de rejouer le match du congrès de Marseille. Une plaie encore béante pour les roses qui se souviennent de ces quelques jours de janvier 2023 où la formation avait failli imploser. « Je pense qu’on aura une ambiance beaucoup plus chaleureuse que celle qu’on a connue il y a deux ans et demi », prédit Corinne Narassiguin, sénatrice de Seine-Saint-Denis et membre de la direction sortante du PS.

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Dans le camp d’Olivier Faure, le premier secrétaire sortant, comme dans celui de Nicolas Mayer-Rossignol, édile de Rouen et premier des opposants, les intentions affichées sont similaires : le rassemblement des socialistes est une nécessité. En coulisses, les négociations avancent.

Plusieurs hypothèses sont sur la table : des groupes de pilotage agrégeant toutes les orientations pour travailler sur le projet du parti et les municipales, la nomination de certains opposants au sein du secrétariat national, un pacte de gouvernance du PS entre les motions, un texte politique commun… Mais il est difficile d’ignorer éternellement le cœur du problème. Un problème de trois lettres : LFI, sigle de La France insoumise.

Subtilité ou ambiguïté

Une grande fracture divise le PS ? Pas vraiment. C’est plutôt une affaire de nuances. « NMR » plaide d’abord pour une affirmation socialiste avant de se rapprocher de Place publique, le microparti de Raphaël Glucksmann, et d’anciennes figures socialistes comme Bernard Cazeneuve ou Benoît Hamon. Le camp Faure défend plutôt une « plateforme » allant de l’eurodéputé social-démocrate à François Ruffin en 2027. Certes, la méthode est différente, mais un fossé ne sépare pas les deux concurrents.

Est-ce que nous considérons que nous n’avons plus rien à faire avec le reste de la gauche ?

Le diable se cache parfois dans les détails. En effet, la direction fauriste défend, parfois à demi-mot, une plus grande marge de manœuvre aux alliances en cas de dissolution ou d’élections dans des circonscriptions et des villes où le Rassemblement national (RN) risque de l’emporter. « Si demain l’extrême droite est en capacité d’arriver au pouvoir, nous devons l’en empêcher. Nos débats et nos divisions ne doivent pas nous entraver, dit-on dans l’entourage d’Olivier Faure. Est-ce que nous considérons que nous n’avons plus rien à faire avec le reste de la gauche ? Non, ce serait absurde. »

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Les opposants du premier secrétaire enragent devant cette subtilité qu’ils considèrent comme une ambiguïté assumée. « Je suis surpris que ce soit un sujet aujourd’hui alors que les trois textes d’orientation disaient la même chose. Jusqu’au 5 juin, Olivier Faure affirmait : pas avec LFI. C’était un non définitif. Et puis dès le lendemain du deuxième tour, il a commencé à ouvrir la porte en parlant d’union en cas de dissolution. Ce n’est pas sérieux », dénonce le sénateur Rachid Temal.

« Il y en a qui pensent qu’il faut faire un alliage entre Glucksmann, Cazeneuve et le PS, alors que d’autres veulent partir avec les communistes et les écolos, ce n’est pas pareil », résume le député Paul Christophle, de l’aile gauche du parti. Les graines de la division sont bien plantées.

Le dérapage Guedj

Soudain, l’explosion. Dans l’après-midi du 14 juin, le député Jérôme Guedj, soutien de Mayer-Rossignol, insulte très violemment Jean-Luc Mélenchon de « salopard antisémite ». Quelques secondes plus tard, l’ancien compagnon de route du triple candidat à la présidentielle s’indigne : « Il n’est plus possible, d’une manière ou d’une autre, d’avoir le moindre point de contact avec ceux qui aujourd’hui abîment la gauche, qui abîment l’universalisme, qui abîment la République, qui abîment la laïcité. » En sortant, il confesse : « Ce n’était pas prévu. » Trop tard. La machine s’accélère.

Que préférons-nous ? Perdre des élections ou perdre notre âme ? 

N. Mayer-Rossignol

Moins d’une heure plus tard, Nicolas Mayer-Rossignol hausse le ton. « Il n’y aura pas, il ne peut plus, sous aucun prétexte que ce soit, ni au plan national, ni au plan local, ni en cas de dissolution, d’alliance avec La France insoumise », lâche le maire de Rouen. Et de continuer : « Je sais que ce sujet est difficile pour des candidats, pour des camarades, qui sont en conquête, qui sont en risque. Mais pour reprendre une formule dite par d’autres précédemment : que préférons-nous ? Perdre des élections ou perdre notre âme ? »

Au centre : Nicolas Mayer-Rossignol, Lamia El Aaraje. (Photo : Lucas Sarafian.)

Au fond de la salle, un député fauriste souffle : « Ils se radicalisent alors qu’on fait des pas vers eux ! » À la sortie, Pierre Jouvet, lieutenant de Faure, lance à David Assouline, l’une des têtes pensantes des opposants : « Ça, ça a été votre discours de sortie ! » « LFI, ce sont des populistes, on ne les inclut pas dans le reste de la gauche », se défend Lamia El Aaraje, première secrétaire de la fédération de Paris. Règlements de comptes à O.K. Corral.

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« Nicolas Mayer-Rossignol cherche un prétexte pour ne pas signer un accord avec nous », balaie une proche de Faure. « Un congrès n’est pas là pour mettre la poussière sous le tapis. Les socialistes n’en peuvent plus des ambiguïtés », proteste Mayer-Rossignol. Le centre Prouvé était un volcan endormi. Il vient à l’instant d’entrer en éruption.

Vieux démons

En coulisses, les négociations s’arrêtent net. « Il vient de faire péter une bombe en pleine salle », regrette un membre de l’état-major fauriste. « Notre responsabilité, c’est celle du rassemblement. Nous ne voulons pas que le congrès de Nancy devienne celui de Marseille », temporise Boris Vallaud, troisième homme du parti. Les vieux démons n’ont jamais été chassés. « On peut s’inventer des fantômes, des ennemis imaginaires. C’est tellement dur d’avoir des idées », grince un proche du patron du groupe socialiste.

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Dans la nuit du 14 au 15 juin, les trois orientations tentent, une dernière fois, de s’entendre sur un texte commun. Mais rien à faire : les négociations s’enrayent sur des questions de tournures de phrase. Le camp Mayer-Rossignol propose cet amendement : « Nous ne ferons pas d’accord national et programmatique aux législatives avec La France insoumise. »

Ils ont une obsession sur LFI. Ils veulent nuire. Leur intérêt, c’est de flatter leur base.

A. Delaporte

Refus des équipes d’Olivier Faure qui préfèrent cette formulation : « En cohérence avec la ligne stratégique que nous proposons, nous travaillerons en lien avec les fédérations à un plan dissolution afin de construire le rassemblement de la gauche et des écologistes, de Glucksmann à Ruffin, tout en évaluant partout les risques d’accession du RN. » Refus des opposants. Malgré les tentatives de Boris Vallaud, casque bleu dans cette histoire, l’accord n’existera jamais. À distance, Jean-Luc Mélenchon publie un message sur X (ex-Twitter) : « Vous ne pourriez pas vous disputer à propos d’autre sujet que LFI ou moi ? »

Secousses

Le 15 juin, alors que la pluie est tombée toute la nuit sur la ville, les socialistes se réveillent irréconciliables. « Ce matin, les masques tombent », affirme théâtralement Philippe Brun. « Ils ont une obsession sur LFI, considère le député fauriste Arthur Delaporte. Ils veulent nuire. Leur intérêt, c’est de flatter leur base. » NMR accuse la direction sortante de ne pas avoir voulu aboutir au rassemblement quand le camp d’Olivier Faure doute de la sincérité de leurs opposants dans les discussions. L’eurodéputé et opposant interne François Kalfon s’interroge : « Est-ce que, finalement, Olivier Faure ne préfère pas Mélenchon aux autres motions de notre parti ? »

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Ébranlé par ces secousses nancéiennes, Olivier Faure se doit de répondre. À la tribune pour son discours qui clôture ce congrès, il gronde : « Alors que l’extrême droite est aux portes du pouvoir, j’entends que certains ici voudraient faire de ce congrès un référendum pour ou contre LFI. Je leur dis simplement que tant qu’ils auront pour unique obsession LFI, ils ne feront que témoigner de la domination psychologique que la gauche radicale exerce sur eux. »

Alors que le centre Prouvé se vide, Johanna Rolland, maire de Nantes et proche de Faure, le martèle : « La porte de la direction reste ouverte. Mais au-delà de cette question, sur l’élaboration de notre projet, nous allons faire avec tous les talents du parti. » Retour à zéro.

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Politique
Temps de lecture : 9 minutes