Palais de la découverte : la culture scientifique dans la ligne de mire du gouvernement

L’emblématique musée scientifique parisien est au cœur d’une crise, après le report de sa réouverture, initialement prévue pour le 11 juin 2025. Les attaques contre le secteur culturel se multiplient, sans épargner la culture scientifique.

Thomas Lefèvre  • 25 juin 2025
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Palais de la découverte : la culture scientifique dans la ligne de mire du gouvernement
© Illustration : Thomas Lefèvre

La culture scientifique n’est pas épargnée par la tronçonneuse budgétaire. Le Palais de la découverte, musée parisien historique, devait rouvrir ses portes le mercredi 11 juin 2025, après plus de quatre ans de rénovation du Grand Palais, auquel il est intégré. Pourtant, dès le 20 mai, les salariés d’Universcience – établissement administratif regroupant le Palais de la découverte et la Cité des sciences – apprenaient avec stupeur le report de cette réouverture. À cette nouvelle s’est ajoutée, le 12 juin, la décision en Conseil des ministres de remercier Bruno Maquart, directeur d’Universcience depuis 2015.

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Lors de son discours d’adieu, prononcé devant ses équipes le mercredi 18 juin, ce dernier a évoqué une « situation de crise », précisant toutefois qu’il « ne peut pas en parler davantage », d’après plusieurs sources présentes. Cette opacité ajoute à l’inquiétude générale des salariés. Valentin, médiateur scientifique au Palais, témoigne de cette ambiance délétère : « Ça fait plus d’un mois qu’on nous dit qu’on aura plus d’informations la semaine prochaine. En interne, on n’a aucune information, notre direction nous répète qu’elle ne peut rien nous dire. » Contacté par Politis, la direction de la médiation scientifique d’Universcience n’a pas donné suite.

Palais en danger

Inauguré en 1937, le Palais de la découverte est un lieu consacré à la médiation scientifique, situé en plein cœur de Paris, dans une aile du Grand Palais. Cette institution emblématique est aujourd’hui dans la tourmente. « Le limogeage du président est une attaque claire contre le nouveau projet du Palais de la découverte, déplore Valentin. Ça a été une surprise totale pour tout le monde ». La décision du gouvernement a été perçue comme une menace directe sur l’avenir de l’institution et sur les emplois des salariés.

Si une institution historique comme celle-ci est menacée, c’est très inquiétant pour la survie de structures plus petites.

C. Aguirre

Rachida Dati, ministre de la Culture, a laissé planer le doute sur un potentiel déménagement de l’établissement à la Villette, à côté de la Cité des sciences. Une proposition vivement critiquée en interne et par l’ensemble des acteurs du secteur. « Il n’y a pas suffisamment d’espaces de culture scientifique en France », souffle Valentin. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche souhaite, quant à lui, le maintien du Palais de la découverte au Grand Palais. Affaire à suivre.

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Face à cette crise, une pétition de soutien a été lancée, rassemblant déjà plus de 80 000 signatures, en quelques jours. Parmi les signataires de cette pétition, on retrouve des scientifiques de renom tels que le chercheur Jean Jouzel, le mathématicien Cédric Villani, ou encore Valérie Masson-Delmotte, climatologue et autrice du GIEC.

Claudia Aguirre, présidente de Traces, association d’éducation populaire et de médiation scientifique, souligne l’importance cruciale de cette mobilisation : « C’est une situation qui met à risque l’intégralité de la culture scientifique. Si une institution historique comme celle-ci est menacée, c’est très inquiétant pour la survie de structures plus petites comme la nôtre. » Le 12 juin, une tribune de scientifiques internationaux a également paru dans Le Monde appelant à sauver l’établissement.

La culture scientifique : angle mort du ministère

Pour Tania Louis, docteure en biologie et médiatrice scientifique indépendante depuis 2020, cette crise révèle « le symptôme d’un échec ». « Ces derniers temps, le secteur de la culture, et donc celui de la culture scientifique, est durement touché par les politiques budgétaires, précise-t-elle. La culture scientifique est un milieu très peu syndiqué, on est très peu outillé pour se défendre. »

La culture scientifique est à la fois mal intégrée au secteur culturel et mal intégrée au secteur scientifique.

T. Louis

La situation critique du Palais révèle un problème plus profond : l’abandon politique et financier de la culture scientifique, placée dans un entre-deux inconfortable entre le ministère de la Culture et celui de l’Enseignement supérieur. En tant que freelance, Tania Louis ressent parfois cet isolement vis-à-vis du reste du milieu culturel : « La culture scientifique est à la fois mal intégrée au secteur culturel et mal intégrée au secteur scientifique. Des actions collectives comme “Cultures en luttes” n’ont pas été rejointes par les acteurs et actrices de la culture scientifique, ça montre une certaine imperméabilité, regrettable, entre les milieux. »

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Étant un établissement parisien de référence dans le domaine, les incertitudes autour du Palais de la Découverte reçoivent un certain écho médiatique. Ce qui n’est pas le cas pour des lieux moins connus, qui subissent pourtant le même sort. « Si on s’était mobilisés dès le début pour défendre les petites structures, peut-être que le Palais de la Découverte n’aurait jamais été menacé », résume Tania Louis. Selon elle, par peur de se voir couper davantage de financements, de nombreuses structures de culture scientifique ne préfèrent pas témoigner publiquement de leur situation, parfois très instable.

« Ubérisation de la culture scientifique »

Terence, cofondateur d’Exaltia, un collectif de vulgarisateurs scientifiques, et vice-président du Café des sciences, décrit une situation particulièrement instable pour les acteurs indépendants : « On avait prévu un concert au Palais de la découverte le jour de la Fête de la musique. Pour nous, c’était l’occasion de faire le pont entre le milieu culturel et la culture scientifique, donc c’est une grosse déception. » Cette situation n’est pas isolée : « Les indépendants et les structures culturelles qui galèrent sont invisibilisés, et il y a beaucoup de personnes précaires. »

On a appris l’annulation à peu près en même temps que le grand public.

Terence

Pour Exaltia, le partenariat avec le Palais de la découverte représente plusieurs milliers d’euros de devis, dont une partie seulement sera payée. « On a appris l’annulation à peu près en même temps que le grand public, détaille Terence. Mais ça faisait déjà un mois que les indications étaient en chaud-froid par rapport à la communication autour du festival Premières ondes de cet été, auquel on devait participer. » Ce festival devait avoir lieu tout le long du mois de juin, avant d’être finalement entièrement annulé au début de ce mois.

Selon Tania Louis, cette précarisation de la culture scientifique prend la forme d’une véritable « ubérisation » du secteur : « Les structures standards de culture scientifique ont de moins en moins de postes permanents et font donc appel à des prestataires indépendants. »

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En réponse, certains acteurs du secteur explorent de nouveaux modèles économiques. Terence explique ainsi que, face à ces difficultés, son collectif a choisi de « passer du statut de freelance chacun dans notre coin, à un statut collectif de coopérative », afin notamment de « combattre la précarité ».

Si les coupes budgétaires s’inscrivent dans une logique politique globale de réduction des dépenses culturelles, la situation du Palais de la découverte met en lumière les problématiques structurelles du secteur de la culture scientifique. Alors que les attaques contre les sciences se multiplient – en particulier envers les sciences sociales, mais aussi celles de l’environnement –, il paraît urgent de pérenniser ces quelques lieux publics de transmission de savoirs scientifiques fiables et accessibles à tous·tes.

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Politique culturelle
Publié dans le dossier
Culture : résister à la casse
Temps de lecture : 7 minutes
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