Pourquoi les frappes américaines en Iran sont inédites

Les frappes aériennes massives des États-Unis sur trois sites nucléaires en Iran marquent un tournant majeur dans l’équilibre régional, alors que Donald Trump avait promis un désengagement militaire à l’international.

Maxime Sirvins  • 23 juin 2025 abonné·es
Pourquoi les frappes américaines en Iran sont inédites
Le 22 juin 2025, les USA ont mené plusieurs frappes sur des sites nucléaires en Iran, alors que le pays a déjà été lourdement visé par Israël. Crédit : Maxime Sirvins
© Maxime Sirvins

Dans la nuit du samedi 21 au dimanche 22 juin 2025, les États-Unis ont mené une série de frappes de précision contre trois sites nucléaires stratégiques en Iran. Les cibles, Fordo, Natanz et Ispahan sont d’une importance capitale pour le régime iranien. Ces noms sont depuis des années au cœur des inquiétudes de la communauté internationale, symboles d’un programme nucléaire que Téhéran assure civil, mais que Washington et ses alliés soupçonnent militaire.

Une opération nocturne d’une ampleur exceptionnelle

Cette opération, baptisée « Midnight Hammer », a été planifiée dans le plus grand secret par le Pentagone. Elle s’inscrit dans un contexte de tensions croissantes entre les deux pays, après l’échec de multiples négociations sur le nucléaire et les révélations récentes des services de renseignement, selon lesquelles l’Iran aurait franchi plusieurs étapes techniques critiques dans l’enrichissement de l’uranium.

La mission a mobilisé un impressionnant dispositif militaire. Sept bombardiers furtifs B‑2 Spirit accompagnés de chasseurs ont pénétré l’espace aérien iranien sans être détectés. Ils ont largué 14 bombes GBU‑57 MOP (Massive Ordnance Penetrator), destinées à percer les bunkers renforcés abritant les centrifugeuses et les équipements d’enrichissement. En parallèle, des sous-marins américains ont lancé une salve d’une trentaine de missiles de croisière Tomahawk contre des cibles en surface à Ispahan et aux abords de Natanz.

Fordo : frapper au cœur de la montagne

Le site de Fordo, près de la ville de Qom, est sans doute le plus symbolique des trois objectifs. Construit à flanc de montagne, profondément enfoui sous plusieurs dizaines de mètres de roche, il a été conçu pour résister à toute attaque aérienne conventionnelle. C’est justement pour cette raison que les États-Unis ont décidé d’y déployer pour la première fois en situation réelle la GBU‑57.

(Toutes infographies : Maxime Sirvins.)

Des sources militaires américaines affirment que douze bombes GBU‑57 ont été dirigées contre Fordo. Les premières évaluations satellites montrent que des traces d’impact aux niveaux d’entrées de ventilation souterraines. Le site, qui abrite des centrifugeuses modernes destinées à enrichir de l’uranium à des niveaux très avancés, serait aujourd’hui hors service d’après les États-Unis. L’ampleur réelle des dégâts reste inconnue, mais des images satellitaires révèlent qu’une possible évacuation du matériel la veille de la frappe limiterait l’impact réel de cette attaque. Dans la continuité, Israël a frappé pour la deuxième fois le site ce lundi 23 juin en ciblant ses voies d’accès.

Natanz : neutraliser le pilier du programme nucléaire

À environ 200 kilomètres au sud de Téhéran, Natanz représente depuis longtemps le cœur opérationnel du programme nucléaire iranien. C’est là que l’Iran a mis en place la majorité de ses centrifugeuses industrielles, et où les capacités d’enrichissement ont le plus progressé ces dernières années. C’est également là qu’une opération de sabotage avait provoqué, en 2021, une panne généralisée, attribuée aux services israéliens.

Israël avait déjà bombardé les installations en surface le 13 juin, dont les infrastructures électriques. Cette fois-ci, les États-Unis ont choisi d’aller plus loin en bombardant les structures enterrées avec deux bombes pénétrantes GBU 57.

Des analystes estiment que la capacité opérationnelle globale du site est aujourd’hui gravement compromise, et que la perte des unités d’enrichissement installées en profondeur pourrait représenter un recul de plusieurs années pour le programme nucléaire iranien. « À l’heure actuelle, personne, y compris l’AIEA, n’est en mesure d’évaluer pleinement les dégâts souterrains de Fordo » a toutefois rappelé le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique, (AIEA), allant à l’encontre des déclarations américaines.

Ispahan : détruire le centre technologique

Le troisième objectif de l’opération, le complexe nucléaire d’Ispahan, joue un rôle complémentaire, mais non moins stratégique. C’est là que s’opèrent les processus de conversion de l’uranium et des recherches en ingénierie nucléaire. Ce centre, également impliqué dans le développement des combustibles pour les réacteurs à eau lourde, a été frappé le 22 juin. Au moins 30 missiles ont atteint leur cible en quelques secondes.

Moins protégé que Fordo ou Natanz, Ispahan reste crucial puisqu’il concentre des laboratoires de recherche et plusieurs unités de test de matériaux. L’attaque a causé d’importants dégâts. Déjà ciblé le 13 et le 21 juin par Israël, le site est aujourd’hui largement détruit. Dès les premières heures suivant les frappes, les autorités iraniennes ont condamné l’opération, la qualifiant « d’acte de guerre » et de « violation grave de la souveraineté nationale ».

La puissance des armes déployées : GBU‑57 et Tomahawk

Ces frappes marquent aussi une démonstration de force technologique. « Il n’y a pas d’autre armée au monde qui aurait pu faire cela », a fièrement affirmé Donald Trump. La GBU‑57, restée longtemps mystérieuse, est désormais entrée dans l’histoire militaire. Avec ses 6,25 mètres de long, ses 13,6 tonnes et sa capacité à traverser jusqu’à 60 mètres de sol, elle est l’incarnation ultime de la guerre de précision en profondeur. Elle est destinée à frapper des bunkers, des silos ou des sites nucléaires souterrains, en évitant le recours à l’arme atomique. Larguées via des bombardiers furtifs B-2, ces bombes représentent la plus grande frappe de ces appareils de l’histoire des États-Unis.

Les missiles Tomahawk, bien connus pour leur précision, ont été tirés depuis des sous-marins, stationnés au large du golfe Persique. Volant à basse altitude à environ 880 km/h, ils ont frappé leurs cibles avec une marge d’erreur de moins de 5 mètres. Le recours à cette double technologie – MOP pour la pénétration souterraine et Tomahawk pour les frappes de surface –, montre la volonté américaine de paralyser totalement l’infrastructure nucléaire iranienne.

L’Iran minimise, l’AIEA s’inquiète

Dans les heures qui ont suivi l’opération, le ministère iranien des Affaires étrangères a dénoncé une « agression non provoquée », accusant les États-Unis d’avoir violé sa souveraineté nationale. L’AIEA, indique que l’Iran l’a informée « qu’il n’y avait pas eu d’augmentation des niveaux de radiation hors site sur les trois lieux ». Plusieurs pays voisins vont dans le même sens en affirmant qu’il n’y a pas eu d’augmentation des niveaux de radiation après l’attaque. Toutefois, des sources diplomatiques indiquent que Téhéran aurait déplacé en urgence plusieurs stocks d’uranium enrichi vers des lieux inconnus, ce que l’AIEA tente de vérifier.

Le 23 juin, Rafael Grossi, directeur général de l’AIEA, a lancé un avertissement. Il a indiqué que l’accès des inspecteurs aux sites frappés devait être rétabli d’urgence, sous peine de voir le régime mondial de non-prolifération disparaître. Il a aussi rappelé que l’Iran disposait d’environ 400 kg d’uranium enrichi à 60 %, soit une quantité suffisante pour plusieurs armes nucléaires si elle était portée au seuil de 85 % nécessaire.

Une réaction en chaîne ?

La riposte de l’Iran reste pour l’heure contenue. Des responsables proches du corps des Gardiens de la Révolution ont évoqué des représailles, pouvant inclure des cyberattaques, des frappes directes et indirectes, voire des perturbations dans le détroit d’Ormuz.

Sur le même sujet : En Iran, l’effroi de la population civile

À l’échelle internationale, la réaction ne s’est pas fait attendre. Israël a salué une opération « brillante et courageuse », la qualifiant de « signal fort envoyé à tous ceux qui défient l’ordre international ». En revanche, la Russie et la Chine ont dénoncé une attaque illégitime, mettant en garde contre un « embrasement incontrôlable » de la région. Lors d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, le Secrétaire général, António Guterres a pointé un « tournant dangereux » dans une région déjà « sous le choc ».

Avec l’opération « Midnight Hammer », les États-Unis ont ouvert un nouveau chapitre dans la confrontation avec l’Iran en faisant le choix de l’engagement militaire massif. Pourtant, après des tonnes d’explosifs larguées sur le pays, J.D. Vance, vice-président américain, a déclaré : « Nous ne voulons pas la guerre avec l’Iran. Nous voulons la paix. » Orwell n’est pas loin.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Monde
Publié dans le dossier
Israël-Iran : la diplomatie des armes
Temps de lecture : 8 minutes