De la Palestine à l’Ukraine, la guerre de la force contre le droit

Poutine, Trump et Netanyahou constituent le trio infernal d’un monde où la force l’emporte sur le droit.

Denis Sieffert  • 4 juin 2025
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De la Palestine à l’Ukraine, la guerre de la force contre le droit
Bâtiment de l'UNWRA (ONU) à Gaza.
© Khalid Kwaik / Unsplash

Signe des temps : le mot trêve n’est plus synonyme d’espoir, mais de manipulation. Pour Poutine, elle suppose en préalable la reddition de l’ennemi et son renoncement à une partie de son territoire. Pour Netanyahou, elle est le prélude au massacre final. Le premier s’est livré le 2 juin à un nouveau simulacre de négociation, dépêchant à Istanbul une délégation de 36e rang pour exiger tout et ne concéder rien. La manipulation chez Netanyahou est un peu plus sophistiquée. Il fallait tout de même être bien naïf pour croire l’information telle qu’elle nous a été servie en fin de semaine dernière d’une offre de trêve américaine qu’Israël a immédiatement acceptée, mais rejetée par le Hamas.

C’est toute la population que Netanyahou et ses alliés d’extrême droite veulent expulser ou exterminer.

Il a fallu attendre le lendemain (je parle des médias audiovisuels), pour savoir de quoi était faite l’offre de l’émissaire américain Steve Witkoff. Il s’agissait d’une trêve de 60 jours permettant la libération des otages encore vivants. Après quoi, tout le monde pouvait comprendre qu’Israël aurait les mains libres pour reprendre son offensive. Pas étonnant, donc, que le Hamas ait repoussé ce marché de dupes, et présenté une contre-proposition qui exige l’engagement d’Israël à ne pas reprendre les hostilités après la libération des otages, un retrait de l’armée et un accès humanitaire sans entrave. Sa proposition n’est pas une parenthèse au milieu d’un processus d’épuration ethnique, mais une paix durable dans un territoire dont les Palestiniens resteraient maîtres.

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Mais quels Palestiniens ? Il est assez évident dans cette configuration que le Hamas sauve sa peau en tant qu’organisation. Or, beaucoup de Gazaouis aimeraient bien survivre et même revivre, rester sur leurs terres, sans rester sous le joug du Hamas. Comment donc séparer le peuple d’un groupe qui est en partie à l’origine de son malheur ? La question hélas ne se pose pas en ces termes, parce qu’Israël ne vise pas seulement l’éradication du Hamas. C’est toute la population que Netanyahou et ses alliés d’extrême droite veulent expulser ou exterminer.

La fin de l’histoire, c’est l’accomplissement du projet sioniste à Gaza et en Cisjordanie.

Pour le gouvernement israélien, il n’y a, à Gaza, que des « terroristes ». Le génocide par la faim qu’Israël organise actuellement ne vise pas le Hamas. Il y a belle lurette que l’on a compris que la reddition des activistes du mouvement islamiste ne constituerait pas la fin de l’histoire, parce que la fin de l’histoire, c’est l’accomplissement du projet sioniste à Gaza et en Cisjordanie où le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, vient d’annoncer un plan de colonisation d’une ampleur inégalée. Lorsqu’à Gaza, l’armée tire sur la foule piégée sur un centre de distribution de nourriture tenu par des mercenaires américains, ce n’est pas le Hamas qui est visé. Le fameux plan de trêve américain nous dit par ses silences de quoi sera fait le jour d’après.

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Où que l’on se tourne, vers l’Ukraine comme vers Gaza, la situation paraît bloquée. L’improbable alliance Trump-Poutine tient le monde. Dans la guerre mondiale de la force contre le droit, c’est le droit qui est aujourd’hui en déroute. L’Europe, qui pouvait être un contre-pouvoir, apparaît à présent comme un facteur supplémentaire de paralysie. Attaquée de l’intérieur, comme en témoignent encore la victoire d’un trumpiste en Pologne ou les contradictions de Giorgia Meloni en Italie, qui veut bien soutenir l’Ukraine, mais avec Trump…

Dans la guerre mondiale de la force contre le droit, c’est le droit qui est aujourd’hui en déroute.

Pour décider de sanctions à l’encontre d’Israël, au minimum la rupture de l’accord d’association demandée par la plateforme des ONG pour la Palestine, il faut une majorité qualifiée qui n’existe pas. Si bien que l’on peut craindre que le grand Israël, ayant tout colonisé et tout annexé, soit plus probable aujourd’hui que l’État palestinien « de papier » que la France s’apprête à reconnaître lors de la conférence de la mi-juin qu’elle coprésidera avec l’Arabie saoudite.

L’arrogance de l’ambassadeur des États-Unis en Israël, Mike Huckabee, qui suggère à Macron de « créer un État palestinien sur la Côte d’Azur », dit tout du rapport de force international. Lorsque Macron dit que si les Occidentaux « abandonnent Gaza » et « laissent faire Israël », ils risquent de « perdre toute crédibilité à l’égard du reste du monde », il parle d’or. Mais il est bien tard. Et combien l’ont dit avant lui ? Il est bien coupable d’avoir donné tant de signes de soutien à l’entreprise israélienne alors que la suite était écrite. Reste la lassitude des Israéliens d’être toujours en guerre. La prise de conscience des Russes qu’ils sont en danger eux aussi. La résistance de la jeunesse et de la justice américaines. Le pire ne peut pas être sûr.

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