Crimes racistes, projets de tueries : l’extrême droite décomplexée, le pouvoir indifférent

En moins d’un an, trois personnes ont été tuées dans des crimes racistes perpétrés par l’extrême droite. Et ce mardi 10 juin, un procès terroriste s’ouvrira contre 16 militants de l’Action des forces opérationnelles (AFO), un groupuscule nationaliste. Autant de faits alarmants qui n’inquiètent que très peu le pouvoir.

Élise Leclercq  et  Pierre Jequier-Zalc  • 3 juin 2025 abonné·es
Crimes racistes, projets de tueries : l’extrême droite décomplexée, le pouvoir indifférent
Manifestation contre l'islamophobie, dimanche 11 mai 2025, à Paris.
© Serge d'Ignazio

Ces derniers jours, les matins sont encore plus bruns que ceux de la veille. Ce samedi 31 mai, Hichem Miraoui a été assassiné à Puget-sur-Argens (Var) par son voisin, motivé par une haine raciste assumée sur ses réseaux sociaux. « Vote(r) bien la prochaine fois », assène-t-il dans ses vidéos que Libération a pu consulter. Même Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, ne peut faire l’impasse sur la qualification terroriste de l’acte qu’il a également reconnu de « raciste ». Le Parquet national antiterroriste (Pnat) s’est saisi de l’enquête pour « assassinat et tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste, commis en raison de la race ou la religion », et  « association de malfaiteurs terroriste criminelle », une première. Enfin.

L’avocat de la famille de la victime, Mourad Battikh, rappelle pourtant que ce meurtre n’est pas un cas isolé. Il défend en parallèle une autre affaire, celle d’Aboubakar Cissé, tué de 57 coups de couteau dans une mosquée du Gard le 25 avril dernier. « J’avais dit au Parquet national antiterroriste : attention, ce n’est pas un cas isolé, ce n’est pas un fait divers, ce qui se passe est le fruit de quelque chose de plus large qui est en train de nous dépasser. Aujourd’hui, malheureusement, les faits me donnent raison », explique-t-il sur Franceinfo.

Inaction

« Le fruit de quelque chose de plus large », c’est l’inaction politique contre les attentats d’extrême droite. L’avocat décrit « des pompiers pyromanes qui viennent éteindre le feu qu’ils ont eux-mêmes allumé ». Il y a un mois, Bruno Retailleau avait mis deux jours à se rendre à Alès pour rencontrer les représentants du culte, et n’a toujours pas qualifié d’islamophobe l’acte commis.

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Une difficulté – ou non volonté ? – de qualifier les faits qu’on retrouve également dans le procès de Jérôme Decofour, qui, le 31 août 2024 à Cappelle-la-Grande (Nord), a assassiné Djamel Bendjaballah. Il était chef d’un groupe appelé Brigade française patriote, une milice d’ultradroite. La victime avait déjà déposé plusieurs plaintes le concernant pour injures racistes. Pourtant la famille réclame toujours la requalification du meurtre en meurtre raciste.

En moins de 10 mois, ce sont donc trois personnes qui sont mortes pour l’unique raison d’être racisées. À chaque fois, les auteurs revendiquent leur crime en assumant clairement une idéologie raciste, islamophobe, étalée sur les réseaux sociaux ou dans des manifestes sans équivoque. « C’est bien ces actions comme celle-là qui nous feront basculer dans une guerre civile. Il fallait voter Marine et que ce soit les politiques qui vire les mauvais immigrés. » (sic), écrit par exemple sur son compte Facebook le suspect du meurtre d’Hichem Miraoui.

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Hasard du calendrier (ou pas), ce mardi 10 juin s’ouvre, à Paris, un large procès diligenté par le Pnat contre 16 militants de l’Action des forces opérationnelles (AFO), un groupuscule nationaliste, pour association de malfaiteurs terroristes et de recherches d’armes. Parmi les nombreuses cibles évoquées dans les projets de ce groupuscule : « Tuer 200 imams radicalisés », viser le rappeur Médine ou le prédicateur Tariq Ramadan, jeter des grenades dans « les voitures des Arabes » ou encore « faire exploser une couscoussière à distance », rapporte l’AFP.

De quoi faire la une de tous les médias, d’animer les plateaux des chaînes d’information en continu ? Pas vraiment. Déjà, il y a deux ans, c’est Politis qui avait révélé le premier procès aux assises pour des projets d’attentats terroristes d’extrême droite, l’affaire « Waffenkraft ». Des révélations qui avaient eu un important écho politique et médiatique, notamment du fait que Jean-Luc Mélenchon était, alors, une cible évoquée. Mais cet écho est resté bien faible en comparaison de l’instrumentalisation de la moindre polémique qui permet à l’extrême droite et ses relais médiatiques de poursuivre son agenda identitaire.

Deux poids, deux mesures

Deux ans plus tard, le constat est encore plus inquiétant. Bruno Retailleau est désormais locataire de la Place Beauvau, et il n’hésite pas à embrasser largement cet agenda, en vue de 2027, courant après les électeurs du Rassemblement national. Or, la menace de l’extrême droite, toujours plus concrète, n’en fait absolument pas partie. Et comment ne pas remarquer ce deux poids deux mesures ces derniers jours ?

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En l’espace de 3 jours, le ministre de l’Intérieur a posté ou reposté à 10 reprises sur X (ex Twitter) concernant les violences à la suite de la victoire du PSG. Des posts particulièrement outrageants, le locataire de place Beauvau n’hésitant pas à utiliser et réutiliser le terme de « barbares », qui renvoie à la bestialité. Pour l’attentat raciste visant Hichem Miraoui, Bruno Retailleau s’est exprimé cinq fois moins, ne publiant qu’à deux reprises, dont la première fois plus de 48 heures après les faits.

Le mot barbare est un début de déshumanisation.

O. Slaouti

Cette comparaison de réactivité est nécessaire pour Omar Slaouti, militant antiraciste et élu à Argenteuil : « On peut sans aucun doute penser que Bruno Retailleau n’attendait qu’une seule chose ce soir-là, c’est qu’il puisse y avoir un minimum de casse pour un tweet, dont la rapidité est inversement proportionnelle à celui lorsqu’une personne est assassinée par un raciste. » « Ça en dit long sur le traitement d’exception des Arabes, noirs ou musulmans », ajoute-t-il. « Le mot barbare est un début de déshumanisation, ce qui permet les crimes odieux qui ont eu lieu et qui vont encore avoir lieu. La responsabilité de l’État est énorme. »

Hanane Karimi, sociologue et autrice, écrivait déjà dans les colonnes de Politis, il y a quelques semaines à peine, à propos du meurtre d’Aboubakar Cissé : « On assiste aux atermoiements du ministre de l’Intérieur et des cultes, qui révèlent sa gêne face à l’évidence de l’islamophobie et d’un « deux poids deux mesures » flagrant. » Une citation qui devient, malheureusement, une brune norme.

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Société
Publié dans le dossier
M. Retailleau, l'extrême droite tue !
Temps de lecture : 5 minutes

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