« Ça se relit », épisode 3 : Clémentine Autain et Javier Milei

Cet été, Politis demande à de nombreuses femmes de gauche un discours à découvrir… ou redécouvrir. Pour ce troisième épisode, Clémentine Autain lit le président argentin réactionnaire Javier Milei.

Clémentine Autain  • 26 juillet 2025
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« Ça se relit », épisode 3 : Clémentine Autain et Javier Milei
Clémentine Autain et Javier Milei
© Montage : Vanessa Martineau pour Politis / Maxime Sirvins pour Clémentine Autain / Vox España pour Javier Milei sur Wikipédia (CC0).

Je ne vous propose pas un discours inspirant, de ceux qui font du bien. Nous avons évidemment besoin de (re)lire Jean Jaurès, Simone Weil ou Aimé Césaire. De (re)voir Greta Thunberg ou l’ambassadeur palestinien Riyad Mansour devant l’ONU. De (ré)entendre Charles Piaget défendre les Lip ou Xavier Mathieu les Contis. De (ré)écouter Adèle Haenel ou Abou Sangaré à la cérémonie des Césars. Avec ces choix qui me ressemblent, qui nous ressemblent cher·es lecteur.rices de Politis, on se tient au chaud. Mais il fait froid dehors.

Regarder en face l’internationale néofasciste qui vient m’apparaît décisif. C’est pourquoi j’en ai choisi l’un des discours les plus éclairants, celui prononcé par Javier Milei le 23 février dernier devant les grands de ce monde capitaliste à Davos. Le président argentin a posé les bases du national-capitalisme-autoritaire qu’il promeut, avec ses amis Trump, Orbán et Meloni, sans mâcher ses mots.

Ce que Milei veut effacer, c’est l’esprit des Lumières.

Au centre de tout : la liberté individuelle qu’il oppose aux « idéologies collectivistes ». Pour le président argentin et ses amis, c’est le « chaos créatif du marché », la défense de la vie contre « l’agenda sanguinaire et meurtrier de l’avortement », la fin du « virus mental de l’idéologie woke ». Cette rhétorique libertarienne et réactionnaire vient charrier une forme de jouissance, celle de la puissance qui écrase et de l’illimitisme.

Sur le même sujet : Immigration, wokisme, dépenses publiques… Les obsessions de l’extrême droite au Sommet des libertés

L’Occident, nous dit encore Milei, sera régénéré en rompant avec le « wokisme » et en réduisant drastiquement la taille de l’État. Ce qu’il veut effacer, c’est l’esprit des Lumières. Ce qu’il veut annihiler, c’est la dynamique de l’égalité. Ce qu’il veut éradiquer, c’est la force du droit.

Milei ne tergiverse pas sur l’objectif : détruire l’État, la justice sociale, la raison. La prédation de tout, des peuples, des ressources naturelles, des femmes, des migrants, c’est la loi des dominants sûrs et fiers d’eux-mêmes, qui s’arrogent tous les droits, à commencer par celui d’exploiter plus encore celles et ceux qui n’ont que leur force de travail pour vivre.

À nous d’offrir un récit qui ne soit pas perçu comme une succession d’entraves à la joie.

Mesurons la force de ce discours, aussi effrayant, voire hallucinant, soit-il. Ne sous-estimons pas sa résonance dans un monde d’humiliations et de panne de projection dans l’avenir. En face, il nous faut opposer un discours qui offre la même hauteur de vue, la même cohérence.

À nous de reremplir le mot de liberté. De raconter en des termes contemporains combien un individu ne peut être libre que s’il en a les capacités et que la liberté n’est véritable que si elle s’articule à l’égalité. À nous d’offrir un récit qui ne soit pas perçu comme une succession de contraintes et d’entraves aux plaisirs, à la joie.

Sur le même sujet : Clémentine Autain : « Contre l’obsession identitaire, nous devons défendre l’esprit public »

Le plus n’est pas le mieux mais encore faut-il rendre désirable le mieux. À nous enfin d’affirmer une conception de la mondialité et de la souveraineté qui, opposée à cette vision rance et hallucinée de l’Occident, puisse rimer avec grandeur et fierté.

Pour gagner contre ce fascisme des temps modernes, il y a deux conditions : travailler sur le fond et unir les forces émancipatrices. (Re)lire le discours de Milei devrait mettre de l’huile dans ce moteur.


Le discours de Javier Milei à Davos, le le 23 février 2025.
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