Cathos intégristes et écoles privées : le véritable « entrisme »
Alors que le gouvernement poursuit ses obsessions islamophobes, la question politique du rôle de l’Église catholique dans la perpétuation des violences sur mineurs est sans cesse écartée. Une laïcité à géométrie variable, qui condamne des milliers d’enfants chaque année.

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Bétharram : derrière les défaillances de l’État, le silence complice de l’Église Bétharram : « On s’en fout de Bayrou, écoutons les victimes ! »Fin mai, le très controversé rapport sur « l’entrisme » des Frères musulmans est rendu public et occupe l’espace médiatico-politique pendant des jours. Les chaînes d’info en continu tournent en boucle dessus, tout comme la presse Bolloré, tandis que le ministre de l’Intérieur et des Cultes, Bruno Retailleau, annonce une série de mesures pour combattre cette « menace » contre la Nation. Rien que ça.
Dans ce texte officiel, rien de nouveau. Le mouvement frériste existe bel et bien en France, de façon très minoritaire, en plus d’être en déclin cette dernière décennie. Mais peu importent les faits, le gouvernement et les médias de droite et d’extrême droite sont en branle-bas de combat contre « l’entrisme islamiste », mettant en scène une triste surenchère islamophobe et autoritaire.
« Deux poids, deux mesures »
Tous les rapports n’ont étonnamment pas la même publicité. Notamment ceux qui pointent du doigt le rôle central de l’Église catholique dans les cas de violences sur mineurs. Publié mercredi 2 juillet, celui issu de la commission d’enquête parlementaire dite de Bétharram, fait le constat accablant du « deux poids deux mesures » de l’État, concernant les établissements scolaires privés sous contrat.
En effet, selon le rapport, quand les établissements scolaires du réseau musulman subissent un « ciblage systémique », les contrôles des institutions catholiques de la part des pouvoirs publics sont « quasi inexistants ». Bémol : ces derniers représentent pas moins de 96 % des écoles privées sous contrat. Et c’est bien parmi ces dernières que les témoignages de violences s’accumulent : Bétharram, Riaumont, Stanislas… La liste est longue. On n’ose imaginer quel aurait été le commentaire politique si des établissements musulmans étaient impliqués de la même manière.
Malgré l’omniprésence de l’Église, les auteur·es du rapport ont eu la main légère au moment d’écrire les 50 recommandations politiques, épargnant largement l’Église catholique, même si le texte en lui-même en détaille la responsabilité. Un décalage qui peut notamment s’expliquer par l’emprise tentaculaire de l’institution religieuse sur l’État.
Un « entrisme » de cathos réacs ?
Le secrétariat général de l’enseignement catholique (SGEC) s’est révélé être un puissant lobby auprès du ministère de l’Éducation nationale, d’après une enquête de Mediapart. Philippe Delorme défend ardemment les intérêts de l’éducation privée, véritable « ministère bis », selon le rapport de la commission d’enquête. À partir de la rentrée scolaire prochaine, le patron du SGEC sera Guillaume Prévost, un énarque qui a travaillé pour le ministère de l’Éducation nationale. Une forme toute particulière de pantouflage entre institutions politiques et catholiques.
Autre explication possible, le nombre de cathos traditionalistes et réactionnaires présents dans les sphères de pouvoir. Dans le monde médiatique, les milliardaires Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin, investissent massivement pour gagner la « guerre civilisationnelle ». Comprendre ici, faire gagner l’Occident, qui serait de racines judéo-chrétiennes, face à une supposée menace islamiste, dont le wokisme serait l’idiot utile. Des mythes et des légendes, au service d’un agenda politique : celui de l’extrême droite.
Côté responsables politiques, Bruno Retailleau, qui a fait ses armes au côté du vendéen Philippe de Villiers, incarne parfaitement cette ambition. Garant du respect de la laïcité par ses fonctions, le locataire de la place Beauvau ne cache pas sa foi catholique. Il est vent debout contre le lycée musulman Averroès, à Lille, dont le contrat d’association avec l’État a été rompu avant que la décision soit annulée par le tribunal administratif, à cause d’une mention polémique dans la bibliographie d’un cours d’éthique musulmane. Mais pas un mot sur l’affaire Bétharram, ni sur les violences systémiques subies par les mineurs dans les écoles privées catholiques.
La responsabilité de l’Église
C’est pourtant un secret de Polichinelle : la pédocriminalité est omniprésente au sein de l’Église catholique, et pas uniquement parmi les établissements scolaires. Déjà en 2021, la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) alertait sur l’ampleur du phénomène, qui concerne plusieurs centaines de milliers de victimes en France, tout en exposant une posture de « protection de l’institution », « sans aucun égard pour les personnes victimes ».
Les textes officiels s’accumulent pour dévoiler des violences inouïes, des agressions, des viols, qui touchent des milliers d’enfants français chaque année. Ces informations sont rendues publiques grâce aux prises de paroles de victimes, qui deviennent lanceur·euses d’alerte en dénonçant ces horreurs. C’est tout un système d’omerta au sein des institutions dont nous avons aujourd’hui connaissance, qui condamne sans cesse de nouvelles générations d’enfants, et continue de faire perdurer un tabou insupportable.
Une omerta entretenue par le Premier ministre lui-même qui, dans la plus pure tradition du silence monastique, s’est tu pendant des décennies. Lorsque l’affaire Bétharram éclate enfin, l’ancien ministre de l’Éducation nationale ment devant la représentation nationale, en niant avoir eu connaissance des innombrables violences qui ont lieu dans l’établissement, où ses propres enfants ont été scolarisés.
Une lâcheté qui contraste avec l’incroyable courage des victimes. Lesquelles ne demandent qu’une chose : que cesse l’inaction politique. Mais Emmanuel Macron a d’autres priorités. Lundi 7 juillet, le chef de l’État a convoqué un nouveau conseil de défense sur « l’entrisme » des Frères musulmans.
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