« Le temps de vacances n’est pas considéré au même titre que les autres temps sociaux »
Le sociologue Bertrand Réau, auteur d’ouvrages sur les vacances et le tourisme, rappelle comment les vacances se situent au carrefour de nombreuses inégalités.

Les vacances scolaires ont commencé. Mais elles ne riment pas forcément avec départ. Une inégalité tenace qui a des conséquences. Entretien avec Bertrand Réau, sociologue du Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise), unité mixte CNRS/CNAM.
Le baromètre de l’Observatoire des inégalités en 2025 indique que 40 % des enfants des familles les plus modestes ne partaient pas. L’écart se creuse-t-il ?
Bertrand Réau : Ça ne s’améliore pas. Bien évidemment, la période de covid a marqué les écarts. À partir du moment où vous avez plus ou moins de ressources, vous avez plus ou moins de possibilités de partir et elles sont toujours très inégalement réparties. La différence entre les enfants et les adultes, c’est que le départ des enfants reste une priorité. Souvent, quand les parents ne peuvent pas eux-mêmes partir, ils essaient quand même aussi de faire partir leurs enfants. La possibilité d’envoyer ses enfants en vacances dans des accueils collectifs de mineurs a un rôle essentiel dans la réduction des inégalités.
Il n’y a pas vraiment de volonté politique de savoir ce qui se passe en vacances.
Chaque année, nous assistons aux mêmes discours sur le droit aux vacances. Existe-t-il finalement ?
Il n’y a pas vraiment de volonté politique de savoir ce qui se passe en vacances. Ce qui est assez paradoxal : la grande majorité du temps réel de l’enfant se passe en dehors de l’école. On ne peut pas faire comme si ce temps n’avait aucun effet, ne serait-ce que sur l’école. Sans parler, bien évidemment, du développement de la personnalité, de la socialisation, de la construction d’un citoyen, etc. Il y a plein d’acteurs qui se mobilisent et qui ont conscience de ces enjeux. Mais vous n’avez pas de politique globale au niveau de l’État sur ces questions-là. Le temps de vacances en lui-même, n’est pas considéré au même titre que les autres temps sociaux.
J’observe le développement de la société et de la sphère politique sur ces enjeux depuis presque vingt ans, et si on regarde juste sur les quelques dernières années, au mois de mai et juin, en général, il y a toujours les mêmes députés qui rappellent la loi de 1998, disposant du droit aux vacances pour toutes et tous. Et puis, plus rien. Il n’y a même pas, par exemple, l’idée de faire une commission parlementaire, où on pourrait faire l’état des lieux de ce qu’on sait sur les vacances et leurs enjeux.
Pourquoi, selon vous ?
Les vacances ne sont pas un sujet de recherche ni d’étude au niveau national. Il n’y a pas, par exemple, de statistiques nationales sur les vacances. Il y avait auparavant deux enquêtes annuelles de l’Insee. Elles se sont arrêtées dans les années 1990. La focale, maintenant, est mise sur la demande touristique. Je pense que pour qu’il y ait une politique publique, il faut déjà qu’il y ait une volonté de connaissance. Le temps des vacances existe, on ne peut pas le nier et il est extrêmement important.
Quelles sont les pratiques qui interviennent lors des vacances ? Quels sont ses effets sociaux ? Ce sont des questions qui doivent être posées. Cette année, il y a effectivement la convention citoyenne sur les temps d’enfance, une initiative qu’on ne peut que saluer. Est-ce que cela débouchera sur des politiques publiques qui prendront en compte les temps de vacances au même titre que les temps de l’école ? On ne peut pas savoir aujourd’hui.
On entend souvent que les vacances sont un sujet plus futile, est-ce le cas ? Pourquoi n’est ce pas pris au sérieux ?
Le caractère futile qui est mis en avant ne correspond pas du tout aux pratiques. Les temps de vacances des classes sociales supérieures est marqué par une diversité et une multiplication des pratiques qui reviennent à diversifier les modes d’apprentissage. On va aller en Club Med pour que les enfants rencontrent aussi des jeunes Italiens, des jeunes Allemands, dans un contexte international. Ils vont intensifier leurs pratiques sportives dans un cadre préservé. Ils vont aller dans des « summer camps » pour apprendre l’anglais. Et ensuite ils vont aller dans une résidence secondaire et co-entretenir le réseau familial et social. Les départs des classes populaires sont beaucoup plus monolithiques. Lorsqu’elles peuvent partir, elles vont souvent à un seul endroit, qui peut être aussi très bénéfique socialement.
Mais dans un contexte de restrictions budgétaires absolues, de désengagement de l’État d’un certain nombre de segments de l’activité, le chômage, le travail, les retraites, la santé, peuvent paraître plus prioritaires que les vacances. Sauf que tout ça est lié. Il ne faut pas être naïf sur le fait qu’il y aurait une grande ouverture sociale qui permettrait aux catégories sociales de se rencontrer à la plage. Cela n’a d’ailleurs jamais eu lieu. Les groupes sociaux continuent de vivre les uns à côté des autres mais ne se mélangent pas beaucoup. Mais il n’empêche, c’est quand même un des rares moments où il peut y avoir des rencontres avec d’autres groupes sociaux dans un cadre qui se veut pacifié.
Et donc, quels sont les effets du non-départ ?
Aux États-Unis, des chercheurs ont mené des enquêtes sur les pertes de savoirs des enfants durant les vacances d’été, en fonction de leur origine sociale. Leurs travaux montrent que les enfants de familles pauvres perdent chaque été des connaissances par rapport aux enfants de familles aisées. Car ce temps, en réalité, n’est pas du tout vacant. Déjà, l’usage que vous faites du temps de vacances est un marqueur de statut social et d’intégration sociale. En fonction de ce que vous avez la possibilité de faire ou pas, vous allez recevoir une forme de « profit symbolique ».
Les vacances sont une reconstruction de son temps.
Les vacances permettent aussi un relâchement des contrôles du quotidien. On arrive à avoir un sentiment de valorisation de soi dans des activités qu’on n’a pas forcément le temps de faire de manière continue, que ce soit des activités sportives ou non, etc. Les rythmes peuvent être changeants et donc peuvent apporter du repos mais aussi une autre façon de vivre. C’est une reconstruction de son temps.
À quoi ces écarts sont-ils dus ?
D’une part, aux socialisations familiales : en fonction du groupe social auquel vous appartenez, vous n’allez pas avoir la transmission des mêmes habitudes, notamment, de lecture, mais aussi de pratiques culturelles ou sportives de manière plus générale. Et bien évidemment d’autre part, les normes, les valeurs et les pratiques transmises par les catégories sociales supérieures correspondent beaucoup plus aux attentes scolaires que celles des classes populaires. Cette période-là est donc un renforcement de ces habitudes et un creusement d’écarts supplémentaires. Finalement, l’école est là pour corriger des écarts qui se creusent encore plus durant les périodes de vacances.
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