Gauches, quel chemin ? Guetté, Chatelain et Kanner répondent
Trois voix de gauche se répondent sur la stratégie politique à mener d’ici 2027. La députée insoumise, Clémence Guetté, l’élue écologiste d’Isère, Cyrielle Chatelain, et le sénateur socialiste, Patrick Kanner.
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© Montage : Thomas Lefèvre
Pensez-vous que les désaccords à gauche sont définitivement indépassables ? Dans ce cadre, quelle union de la gauche souhaitez-vous ?
Clémence Guetté : La gauche de ce pays ne se résume pas à quelques formations politiques qui appellent tous les cinq ans à une primaire et qui rejettent La France insoumise : ce sont aussi des mouvements citoyens spontanés, des organisations de jeunesse, des militants associatifs, des syndicalistes. En cohérence, nous défendons depuis le début l’idée que la seule union capable de l’emporter est l’union populaire avec toutes les forces vives du pays. Elle existe déjà lorsqu’elle se mobilise en ligne ou défile pour la fin du génocide à Gaza, contre l’extrême droite et contre la guerre sociale.
Nous sommes et nous serons toujours les premiers à la défendre, et nous invitons toutes celles et ceux qui s’y reconnaissent à nous rejoindre. Cependant, l’union ne peut exister qu’autour et à partir d’un programme de rupture avec le néolibéralisme, comme cela a été le cas avec le Nouveau Front populaire, la Nupes et les candidatures de Jean-Luc Mélenchon. Tout simplement parce que c’est ce qu’attend le peuple français. Pour les élections municipales à venir, La France insoumise a d’ailleurs appelé les autres forces du Nouveau Front populaire à s’unir sur la base de garanties programmatiques pour faire des communes le premier échelon de la souveraineté populaire.
Il faut arrêter ces débats interminables sur la division de la gauche, cela nous affaiblit tous.
C. Chatelain
Patrick Kanner : Ce qui rend l’union difficile aujourd’hui, ce ne sont pas les désaccords classiques entre les sensibilités de gauche – ils ont toujours existé. Ce qui l’empêche, c’est l’attitude de certains qui préfèrent la conflictualité permanente à la construction collective, la provocation à la responsabilité. On ne peut pas prétendre rassembler quand on piétine sans cesse les principes républicains, qu’on insulte ses partenaires, qu’on instrumentalise les colères sans jamais proposer de chemin utile vers le pouvoir.
La France insoumise a fait le choix de l’outrance, notamment en matière de laïcité, de diplomatie étrangère et de respect des institutions. Il est temps d’arrêter de faire semblant : l’union ne se décrète pas, elle se mérite. Je plaide pour une gauche crédible, républicaine, européenne, sociale, écologiste et laïque.
Cyrielle Chatelain : Il faut arrêter ces débats interminables sur la division de la gauche, cela nous affaiblit tous. Nous perdons trop de temps et d’énergie à parler de nos désaccords. Alors que la question des gauches irréconciliables a été tranchée en 2022, puis en 2024. Par deux fois nous avons fait des campagnes communes autour d’un projet partagé. Il n’existe donc pas de gauches irréconciliables.
Cette démarche commune semble cependant faiblir à l’approche de 2027. La présidentialisation de la vie politique affaiblit notre démocratie en faisant de la recherche de l’homme providentiel la clé de voûte de notre système politique. C’est aussi un moment difficile pour l’union de la gauche et des écologistes, qui repose sur la primauté du collectif, le respect de la pluralité des points de vue et un débat exigent. Je souhaite une union qui arrive à relever le défi de la présidentielle sans se départir de ce qui fait sa force et son identité : le collectif.
L’antifascisme est-il un mot suffisant pour faire front commun à gauche ?
Patrick Kanner : L’antifascisme est l’engagement correspondant à un projet politique progressiste. Dire qu’on est contre Le Pen, Bardella et consorts n’est pas un programme. Si l’on veut faire reculer l’extrême droite, il faut une gauche qui redonne envie, qui apporte des réponses concrètes aux classes populaires, qui ne joue pas avec les peurs. Seule une gauche proactive, porteuse d’espoir et de justice, peut regagner la confiance des électeurs et ériger une société plus juste et égalitaire.
C’est ce rempart contre les dérives autoritaires et xénophobes qui fera la différence. À force de crier au fascisme sans construire une alternative solide, on banalise ce qu’on prétend combattre. Le vrai front républicain antifasciste, c’est celui qui travaille à restaurer la confiance dans la démocratie, dans la justice sociale, dans l’État de droit. Pas celui qui surjoue l’indignation mais refuse de gouverner.
Cyrielle Chatelain : L’antifascisme est un réflexe vital. Nous faisons face à une internationale néofasciste, au pouvoir dans de trop nombreux pays : la Hongrie, l’Italie, les États-Unis ou encore l’Argentine. Et, en 2027, la France pourrait rejoindre la liste des pays dirigés par l’extrême droite. Le front commun à gauche est donc nécessaire, mais insuffisant. La gauche ne gagnera jamais si sa dynamique et son projet ne reposent que sur la peur du fascisme.
Lutter réellement contre l’extrême droite, c’est construire une alternative crédible aux politiques de malheur menées depuis quarante ans.
C. Guetté
Pour être solide, ce front doit se fonder sur un programme partagé proposant des solutions radicales aux problèmes actuels : le réchauffement climatique, l’augmentation de la pauvreté et des inégalités, la montée des tensions internationales, la recrudescence des actes racistes, antisémites et islamophobes. Nous l’avons fait lors des législatives de 2024. Avec le Nouveau Front populaire, les écologistes et la gauche ont su allier la mobilisation contre l’extrême droite et un projet qui redonne l’espoir d’une vie meilleure.
Clémence Guetté : On ne fait pas front commun contre l’extrême droite et contre l’internationale réactionnaire qui se forme partout dans le monde sans résister très fermement au processus d’extrême-droitisation du champ politique et médiatique en cours. Refuser de censurer, avec le Rassemblement national, et à six reprises, un gouvernement qui décide de dissoudre des mouvements antifascistes et pour la paix en Palestine, dont les ministres parlent de « submersion migratoire » et de « Français de papier », c’est dérouler le tapis rouge à la peste brune.
Lutter réellement contre l’extrême droite, c’est construire une alternative crédible aux politiques de malheur menées depuis quarante ans et s’en tenir au mandat que nous ont confié les Français, c’est-à-dire ne pas jeter à la poubelle le programme sur lequel ils nous ont élus. C’est en ne cédant rien à la lutte contre le racisme, contre les LGBTphobies, contre le patriarcat et contre le capitalisme que le bloc populaire l’a emporté en juillet dernier. C’est comme ça que notre camp gagnera contre Marine Le Pen : sur la base d’un programme de rupture avec l’ordre économique, social, écologique et économique.
Union de toute la gauche ou unité hors LFI, quelle doit être la méthode pour choisir celle ou celui qui portera les couleurs de la gauche en 2027 ?
Cyrielle Chatelain : Je souhaite l’union de l’ensemble de la gauche et des écologistes grâce à un processus transparent et démocratique pour désigner une candidature commune. Cette candidature ne peut être imposée d’en haut par un petit comité, elle doit avoir un mandat populaire clair. Je suis pour une primaire ouverte de toute la gauche.
En 2011, ce sont près de 2,9 millions de personnes qui ont voté lors de la primaire socialiste. Nous devons réussir à faire au moins aussi bien, car la personne qui ressortira de cette désignation sera potentiellement le ou la futur·e président·e de la République. La réunion du 2 juillet à l’appel de Lucie Castets est une première étape pour mettre en place ce processus. Lors de cette première réunion, tous les partis ne seront pas présents, mais j’espère qu’en cours de chemin nous saurons nous retrouver.
Clémence Guetté : Le candidat de La France insoumise a toujours été et sera toujours son programme. Ce qui intéresse les Français, ce ne sont pas des visages, ce sont des mesures concrètes qui vont changer leur vie : le retour de la retraite à 60 ans, le passage du Smic à 1 600 euros, les premiers mètres cubes d’eau gratuits, le blocage des prix. J’invite celles et ceux dont les candidats n’ont pas dépassé les 5 % à la dernière élection présidentielle, et qui écartent d’un revers de la main un candidat ou une candidate insoumis·e, à faire preuve d’un peu d’humilité.
Sans La France insoumise et les 22 % de Jean-Luc Mélenchon, la gauche aurait tout simplement disparu du paysage politique de ce pays. S’unir sur le rejet d’une force politique peut agréger temporairement une poignée d’ambitieux et de déjà-convaincus, s’unir sur un programme et la volonté de transformer la vie des gens permet de gagner.
L’urgence est donc de clarifier les positions et de construire une voie alternative qui respecte nos priorités.
P. Kanner
Patrick Kanner : La France insoumise a souvent été au cœur des débats, avec des positions rendant difficile une union harmonieuse avec les autres forces de gauche. Les tentatives d’union, comme celle de la Nupes, ont montré à la fois les potentialités et les limites d’une telle alliance. La question ne doit donc plus être taboue : LFI refuse toute clarification sur ses dérives récentes. Il faut construire une autre voie. L’union à tout prix n’a aucun sens si elle conduit à l’échec du plafond de verre à 30 %.
Puisqu’à l’évidence, il n’y aura pas de candidat commun, LFI ayant décidé de se compter dans toutes les hypothèses, il y a urgence à élaborer une stratégie « gagnant-gagnant » avec les forces de gauche qui veulent gouverner. L’urgence est donc de clarifier les positions et de construire une voie alternative qui respecte nos priorités, et avec pour seul objectif de gouverner pour transformer la société.
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