Retailleau, ministre d’un autre camp
Le ministre de l’Intérieur veut plaire et tente de capter l’attention médiatique par une rhétorique anti-écologiste, antitechnocratique et identitaire. Il est la traduction de la trumpisation des esprits. Un signal inquiétant.
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© ALAIN JOCARD / AFP
Par-delà ses postures récentes, Bruno Retailleau semble avoir trouvé sa boussole : elle ne pointe plus vers l’avenir énergétique du pays, mais vers l’électorat de Marine Le Pen. En s’en prenant publiquement aux subventions accordées aux énergies renouvelables, notamment l’éolien et le solaire, le ministre de l’Intérieur – par ailleurs patron des Républicains (LR) – ne s’adresse pas tant au gouvernement auquel il appartient encore qu’aux franges radicalisées de la droite et de l’extrême droite.
Cette posture de rupture, teintée de climatoscepticisme, vise à réactiver un imaginaire de la France périphérique.
Le « populisme vert » qu’il brandit n’a rien d’écologique, il est une traduction de la trumpisation des esprits. Pourtant, l’homme n’a pas toujours été hostile au renouvelable. Président de la région Pays de la Loire, Bruno Retailleau a injecté plusieurs millions d’euros dans le développement du solaire et de l’éolien. Mieux ! Il revendiquait dans un livre son engagement personnel, comme le rappelle Le Nouvel Obs dans une enquête qui lui est consacrée : « J’ai moi-même fait installer sur ma toiture 30 mètres carrés de panneaux photovoltaïques », s’enorgueillissait-il alors.
Mais aujourd’hui, c’est cette même filière qu’il veut étrangler, en demandant l’arrêt pur et simple des subventions publiques. Ce grand écart politique n’est pas une contradiction. C’est une stratégie. Retailleau veut plaire. Ainsi tente-t-il de capter l’attention médiatique et de séduire par une rhétorique anti-écologiste, antitechnocratique et identitaire. Cette posture de rupture, teintée de climatoscepticisme, vise à réactiver un imaginaire de la France périphérique, celle qui déteste les éoliennes « qui défigurent les paysages », et qui considère la transition écologique comme une lubie urbaine, élitiste et hors sol.
Un ministre peut-il condamner aussi frontalement les orientations énergétiques de son propre gouvernement ?
Ce positionnement n’est pas sans rappeler la politique environnementale menée par Donald Trump aux États-Unis : attaque contre les scientifiques, coupes budgétaires, licenciements massifs dans les agences climatiques et désinformation climatique décomplexée. Et alors que les inondations au Texas ont causé de lourds dégâts, les États-uniens comptent les morts et ouvrent peu à peu les yeux sur les conséquences désastreuses – et mortelles – de ce que le trumpisme engendre.
C’est ce climat antiscience qui s’installe progressivement en France. Déjà, lors de la crise sanitaire, Retailleau s’était distingué par des prises de position contre le passe sanitaire, dénonçant une « dictature sanitaire », frayant avec les discours antimesures largement diffusés dans les sphères complotistes. Aujourd’hui, il applique cette logique au champ climatique : taper sur l’expertise, créer la confusion, désigner des boucs émissaires (les écolos, les fonctionnaires, les subventions), et récolter les fruits politiques de la peur et de la colère.
Ce tournant anticlimat est un signal politique très inquiétant.
Cette prise de position soudaine du numéro 5 du gouvernement dans l’ordre protocolaire interroge : un ministre peut-il condamner aussi frontalement les orientations énergétiques de son propre gouvernement tout en s’y maintenant ? Prépare-t-il son départ ? Met-il en scène sa propre rupture, sans oser (encore) en tirer les conséquences ? Ou attend-il d’être congédié pour mieux se poser en martyr d’un macronisme honni ?
Cette stratégie a un horizon : 2027. Retailleau, en quête de stature présidentielle, tente de se construire une identité politique forte, différenciée du macronisme mais alignée sur les obsessions de l’électorat d’extrême droite : sécurité, identité, frontières. Ce tournant anticlimat est ici un signal politique très inquiétant, peu surprenant mais préoccupant.
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