À Nîmes, l’écologie populaire s’empare du logement

Dans cette ville du Gard violemment touchée par les canicules, l’habitat « bouilloire » fait les premières victimes de ces vagues de chaleur d’une intensité croissante. Une thématique au cœur du festival les Vers du Ter-Ter.

Embarek Foufa  • 9 juillet 2025 abonné·es
À Nîmes, l’écologie populaire s’empare du logement
Dans le quartier Pissevin, des habitants ont relevé une température intérieure à 31,4 °C le 3 juillet à 20 heures.
© Sylvain THOMAS / AFP

Ce mardi 1er juillet, au pic de l’épisode caniculaire qui a touché la France, 41,3 °C sont enregistrés à Nîmes. Ce record de chaleur pour un mois de juillet dans le département du Gard intervient au moment où la dernière étude de la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé-Pierre) dévoile que le territoire pourrait être l’un des départements de l’Hexagone les plus exposés aux logements « bouilloires » d’ici à 2050.

Selon l’étude, 80 % des logements français ont un niveau de confort d’été jugé insuffisant ou moyen. En première ligne face au dérèglement climatique, le territoire gardois pourrait correspondre à ­l’Andalousie dans trente ans, d’après une étude commandée par le département. Dans un contexte politique marqué par un délaissement de la politique de la ville, qui représente seulement 1 % du budget de l’État, le thème « habiter nos quartiers » a été choisi pour la deuxième édition d’un festival d’écologie populaire qui s’est déroulé à Nîmes du 2 au 6 juillet.

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« On promeut ce type d’écologie à partir des quartiers populaires, en s’inspirant du travail de Fatima Ouassak. L’idée, c’est de faire “avec” et non “pour”, car souvent ça veut dire qu’on fait à la place des gens », confie Romain Duplan, cogérant du Bar du Midi et membre de l’organisation des Vers du Ter-Ter. Au programme : ateliers d’écoconstruction, table ronde autour de l’habitat participatif, écologique et solidaire, balade découverte de la fraîcheur des rues végétalisées.

Après une première édition portée par ce café situé dans le quartier populaire de Gambetta et l’association Le Spot, un collectif d’habitants et d’habitantes a repris la main en misant sur l’indépendance, sans solliciter de subvention. Cette initiative locale s’inscrit dans un mouvement national, quelques jours après le premier sommet de l’écologie populaire organisé par Banlieues Climat, à Cergy (Val-d’Oise).

Quand je touche les murs, j’ai l’impression que des radiateurs sont allumés en permanence .

Le festival nîmois s’étend sur plusieurs quartiers classés comme prioritaires de la ville à Nîmes : Gambetta, Richelieu, Pissevin et Valdegour. Dans une ville qui se paupérise – 31% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté –, deux quartiers prioritaires de la ville (QPV) sont classés parmi les vingt plus pauvres de France métropolitaine. Avec 72 % de taux de pauvreté, Pissevin-Valdegour est en 4e position de ce classement établi par l’Observatoire des inégalités.

« L’intérêt de se focaliser sur ces secteurs est que les populations sont les plus touchées par le dérèglement climatique. C’est certainement celles qui ont développé le plus de stratégies d’évitement vis-à-vis des logements en période de canicule », explique Romain Duplan, aussi chercheur indépendant en histoire sociale.

« C’est un étouffement »

Les habitants qui résident dans des appartements bétonnisés d’une des villes les plus chaudes du pays paient cher le prix des canicules. Le fait de vivre dans un espace trop chaud en été touche majoritairement les urbains des quartiers populaires, en raison d’une qualité moindre du bâti.

« C’est un étouffement. C’est plus supportable d’être dehors, pendant quelques heures, quand il fait 43 °C avec un ressenti à 47 °C, qu’être à l’intérieur. Quand je touche les murs, j’ai l’impression que des radiateurs sont allumés en permanence », lance une habitante d’un logement construit en 1964 et qu’elle occupe depuis 2016. Désespérée, elle place de l’aluminium sur les fenêtres avec l’espoir d’absorber la chaleur, mais elle abandonne rapidement cette astuce. Dans son appartement au rez-de-chaussée, trois ventilateurs fonctionnent en continu et, thermomètre en main, elle constate une température de 31,4 °C, ce jeudi 3 juillet à 20 heures.

Sur le même sujet : « Il faut rendre la rénovation des logements obligatoire »

Dans les quartiers ouest de la ville, à Pissevin-Valdegour, il n’y a pas de point d’eau. Depuis des années, les habitants signalent ce traitement inégal et demandent à la municipalité la mise en place d’une fontaine, sans succès. En conséquence, le tissu associatif du quartier, très actif, tente de répondre aux manquements de l’État. « Face à la chaleur, des sorties intergénérationnelles sont organisées. Jusqu’à fin juillet, elles sont toutes vers des lieux de baignade », réagit Leila, investie dans la vie associative du quartier depuis plusieurs années, à la veille d’une sortie à la rivière dans un village à la frontière du Gard et de l’Hérault.

La rénovation, c’est comme quand tu maquilles quelqu’un : les effets ne se voient qu’à l’extérieur alors qu’il faut changer les choses à l’intérieur .

Leila

Présente à Pissevin-Valdegour depuis 1989, Leila observe les transformations en cours dans le cadre du Nouveau Programme national de renouvellement urbain : « C’est que du béton ici. À mon avis, tout va être détruit. On ne reconnaîtra plus notre quartier. Mais la rénovation, c’est comme quand tu maquilles quelqu’un : les effets ne se voient qu’à l’extérieur alors qu’il faut changer les choses à l’intérieur », déclare la Nîmoise, qui fait référence aux 472 millions ­d’euros investis par l’État à travers l’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) depuis 2017.

L’investissement destiné au quartier de Pissevin-Valdgegour est l’un des plus importants parmi les 216 conventions signées en France. Pour la Ville de Nîmes, ce dispositif permet de rénover le parc de logements, de réaménager les espaces publics et de ramener de la mixité sociale et fonctionnelle dans le quartier.

Rénovation et solidarité

Ce programme passe notamment par la démolition de bâtiments, ce qui est loin de faire l’unanimité. Le collectif national Stop démolitions, qui rassemble 90 groupements d’habitants, d’architectes, d’urbanistes et de sociologues, a écrit une lettre ouverte à Emmanuel Macron il y a quelques semaines, invitant les autorités à « travailler avec les principaux concernés, les usagers de ces quartiers, sur des diagnostics attentifs au “déjà là” et aux habitants pour formuler des propositions pour entretenir et améliorer leur cadre de vie, construire la ville sur la ville ».

Ce collectif demande un moratoire sur les démolitions en cours ou programmées afin de revaloriser l’habitat populaire en améliorant les constructions déjà existantes. « L’Anru ne prend pas du tout en compte les habitants », déplore l’artiste Won Jy, qui travaille à Pissevin.

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Ce dernier est intervenu au festival les Vers du Ter-Ter lors d’une discussion à Valdegour sur les conditions de logement des personnes migrantes depuis les années 1970. L’artiste, originaire de Corée du Sud, a livré un témoignage sur un squat de jeunes migrants qui a tenu pendant plusieurs années dans un ancien hammam du quartier, avant d’être définitivement fermé par les autorités le 2 décembre 2024. Le bâtiment a été occupé par une centaine de personnes. Des militants nîmois, comme Won Jy et le Réseau éducation sans frontières (RESF), ont soutenu les migrants au quotidien.

« Ces jeunes ont pu s’installer dans le squat grâce à la solidarité des habitants du quartier, notamment à l’initiative de l’imam de la mosquée. Ils recevaient de l’aide de manière informelle », précise Won Jy. Le collectif Un repas, un sourire, porté par des femmes de Valdegour, est né d’un soutien au squat : « On existe depuis un an et demi. Pendant le ramadan, on a décidé de préparer des repas pour les occupants du squat qui n’avaient pas de quoi rompre le jeûne. Nous avons continué avec des maraudes mensuelles et d’autres actions », explique la bénévole Hindo. Avec une délégation du collectif, qui compte une soixantaine de membres, elle tient un stand à l’occasion de l’ouverture du festival les Vers du Ter-Ter en tant que partenaire de l’événement.

On ne savait même pas ce qu’était l’écologie populaire, mais nous nous sommes retrouvés dans sa présentation du projet.

Hindo

Sous un soleil de plomb, l’infirmière raconte sa rencontre avec Josepha, membre du comité de pilotage du festival, au Negpos, une association œuvrant pour les jeunes du quartier. Ce lieu d’accueil incontournable de Valdegour a permis au collectif de se réunir et de préparer les repas : « On ne savait même pas ce qu’était l’écologie populaire, mais nous nous sommes retrouvés dans sa présentation du projet. Ce sont des personnes qu’on n’aurait pas eu la possibilité de rencontrer autrement, c’est l’occasion de découvrir des concepts. Quand on est à Valdegour ou à Pissevin, on ne sait pas ­forcément ce qu’il se passe en ville », confie Hindo, mettant en lumière la situation d’une des villes les plus ségréguées de France.

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Les liens sociaux créés sont nés de la volonté du festival de mettre en avant les initiatives existantes, afin de construire l’événement avec le tissu associatif, dans une démarche d’éducation populaire et d’écologie politique.

La réussite de cette deuxième édition des Vers du Ter-Ter incite le collectif organisationnel à poursuivre dans cette voie durant l’année, qui s’annonce cruciale d’un point de vue politique. Une proposition de loi transpartisane pour faciliter l’adaptation des logements signalés comme « bouilloires thermiques » pourrait être examinée en fin d’année. Localement, Nîmes fait partie des villes indécises qui, en 2026, pourraient basculer à gauche, après vingt-cinq ans aux mains de la droite, et participer à une politique de la ville digne de ce nom.

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