Santé mentale au travail : la grande cause oubliée
Malgré son statut de grande cause nationale pour 2025, la santé mentale reste largement ignorée dans les entreprises. Les salarié·es souffrent en silence, pendant que la prévention patine et que les conditions de travail se détériorent.

« Nous ferons de la santé mentale la grande cause nationale de l’année 2025 », annonçait Michel Barnier, alors premier ministre. Son successeur, François Bayrou, promettait de poursuivre cette ambition. Mais derrière les déclarations politiques, peu d’effets concrets : dans les entreprises, les conditions de travail pathogènes perdurent. Et les chiffres sont sans appel : selon un sondage Ifop, 53 % des Français·es affirment avoir été en souffrance psychique sur les douze derniers mois.
En avril 2025, selon Opinion Way, 45 % des salarié·es se disaient en situation de détresse psychologique, dont 13 % de manière élevée. Les troubles psychologiques représentent également désormais 15 % des arrêts maladie délivrés en 2023, juste derrière les « maladies ordinaires » (grippe, rhume, angine…) avec 33 %, mais devant les troubles musculo-squelettiques avec 12 %.
« Aujourd’hui, n’importe quel salarié peut se retrouver face aux risques psychociaux »
Malgré leur impact, les risques psychosociaux (RPS) sont rarement pris en compte dans les documents uniques d’évaluation des risques professionnels (DUERP), pourtant obligatoires. « En général, c’est le dernier risque auquel les entreprises se confrontent », explique Mickaël Guihéneuf, ingénieur-conseil au département prévention des risques professionnels de l’Assurance maladie. Pourtant, l’article L4121-1 du Code du travail impose aux employeurs de prévenir les risques, informer et former les salarié·es, et surtout adapter l’organisation du travail. Mais cette obligation reste souvent théorique.
On questionne la personne et ses potentiels problèmes personnels, sa sensibilité, mais jamais l’organisation du travail.
Y. Lemarié
Le ministère du Travail – qui n’a pas répondu à nos questions –, affirme sur son site web que « l’organisation du travail joue un rôle central dans la prévention des risques psychosociaux ». Mais sur le terrain, cette dimension est éludée. Yannick Lemarié, analyste du travail et auteur de Santé mentale au travail : tous concernés, dénonce une approche psychologisante : « On questionne la personne et ses potentiels problèmes personnels, sa sensibilité, mais jamais l’organisation du travail » comme source des troubles, dénonce-t-il.
Même constat du côté des syndicats. Agathe Le Berder, secrétaire générale adjointe de l’UGICT-CGT, parle d’un refus des employeurs de reconnaitre les RPS. « Nous préférons parler de risques socio-organisationnels, pour remettre l’organisation du travail au centre du sujet. »
« Ce n’est pas parce que vous avez une table de ping-pong que l’organisation du travail va s’arranger »
Certaines entreprises mises sur la qualité de vie au travail. Mais pour les spécialistes, ces initiatives masquent les véritables enjeux. « Ça n’est pas parce que vous installez des tables de ping pong que l’organisation du travail va s’arranger », ironise Lemarié. Il y voit une nouvelle forme d’instrumentalisation du bien-être au travail, entre concours de pulls moches et sorties conviviales.
La communication du gouvernement reste très individualisante.
A. Le Berder
Depuis 2022, une formation en premiers secours en santé mentale (PSSM) est également proposée à tou·tes les salarié·es de la fonction publique. La présidente de l’association qui la dispense, Muriel Vidalenc, précise pourtant que cette formation n’est pas suffisante pour appréhender efficacement les troubles psychiques : « Sans réelle politique de prévention, nous refusons d’intervenir. »
La définition de la santé mentale comme grande cause nationale par le gouvernement « a surtout permis d’allouer plus de budget aux ministères concernés afin de promouvoir des actions à destination des entreprises et des salariés », affirme Mickaël Guihéneuf. Selon Yannick Lemarié, « il n’y a pas eu d’impulsion de la part ni des entreprises, ni de l’État », ce que confirme Agathe Le Berder, qui ajoute que « la communication du gouvernement reste très individualisante et n’oriente pas les gens sur la responsabilité de l’employeur ».
Inspection du travail amputée
Les gouvernements successifs ont marqué des reculs dans le traitement de la santé – physique comme mentale – au travail, notamment en affaiblissant les missions des représentant·es du personnel. En 2017, les « ordonnances Macron » modifiant le Code du travail ont supprimé les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) pour les intégrer aux comités sociaux et économiques (CSE). « Les CHSCT étaient de proximité, composés de professionnels de terrain. Maintenant, il n’y a qu’une seule instance qui s’occupe de tout », dénonce Lemarié. Pour Le Berder, « cette fusion a mélangé dans une même instance plein de sujets différents sous couvert de simplification ».
L’inspection du travail, au centre du contrôle des entreprises quant aux risques, entre autres, de santé mentale, est elle aussi amputée par le gouvernement. Selon la CGT, les 180 nouveaux postes d’inspecteur·rices du travail annoncés pour 2026 « ne permettront pas de combler les postes actuellement vacants et les départs en retraite qui continuent ». En mai, seuls 45 postes ont été ouverts aux concours, faisant du métier la « victime de l’austérité ».
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