Après Bayrou, pas besoin d’un nouveau gouvernement mais d’une nouvelle République

François Bayrou a annoncé, ce 25 août, un vote de confiance qui pourra mettre en péril son gouvernement. Ce n’est pas un acte de courage, c’est un calcul politicien.

Pierre Jacquemain  • 26 août 2025
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Après Bayrou, pas besoin d’un nouveau gouvernement mais d’une nouvelle République
François Bayrou a annoncé, lors de sa conférence de presse du 25 août, le recours à l'article 43.8 de la Constitution
© Dimitar Dilkoff

Il est des décisions que l’on pare à tort de courage, parce qu’elles donnent l’illusion du panache, de la hauteur, d’une forme de sacrifice républicain. François Bayrou vient de solliciter la confiance de l’Assemblée nationale. Il savait qu’il ne l’aurait pas. Il savait que son gouvernement allait tomber. Et pourtant, il s’y est engagé, la main sur le cœur, comme s’il s’agissait d’un acte noble.

La vérité est tout autre : ce n’est pas un acte de courage, c’est un calcul politicien. Bayrou, après avoir longtemps erré dans les couloirs du pouvoir sans jamais vraiment s’y installer, saisit cette occasion comme une sortie par le haut. Il sait que Matignon est une fonction usante, surtout dans le contexte d’un Parlement fragmenté, et que son gouvernement, dès le départ, ne reposait sur rien de solide.

Cette demande de confiance n’est pas une tentative sincère de rassembler, c’est un geste théâtral pour faire porter ailleurs la responsabilité de l’échec à venir. Mais il faut être naïf – ou cynique – pour penser que François Bayrou a agi seul. On ne se lance pas dans une telle entreprise sans l’aval de l’Élysée.

Emmanuel Macron savait parfaitement que cette confiance ne serait pas acquise. Il a laissé faire. Parce qu’en réalité, la suite est déjà écrite. Soit il considère que cette chute était nécessaire pour faire avancer ses pions, soit il a laissé Bayrou se jeter dans le vide en sachant pertinemment que le parachute ne s’ouvrirait pas. Il n’y a pas d’accord possible avec le Rassemblement national, sauf à franchir des lignes rouges. Si Bayrou l’ignorait, alors c’est encore plus grave : cela signe un inquiétant aveuglement.

Recul face à la mobilisation

Dans ce jeu de dupes, un autre facteur a probablement accéléré la décision : le spectre de la mobilisation populaire annoncée pour le 10 septembre, portée notamment par des collectifs citoyens, des jeunes, une partie du mouvement syndical, et des forces politiques radicales. Cette mobilisation inquiète. Elle échappe aux routines institutionnelles. Elle pourrait être massive. Elle a sans doute pesé dans l’agenda élyséen, qui préfère une chute organisée à un soulèvement imprévu.

Il n’y a pas d’accord possible avec le Rassemblement national, sauf à franchir des lignes rouges.

Mais elle met aussi mal à l’aise. Car si la gauche de rupture, notamment LFI, s’en saisit pleinement, les syndicats réformistes et la gauche modérée regardent cette date avec circonspection, craignant une dynamique qu’ils ne maîtrisent plus, une colère qui les dépasse, un réveil social qui échappe aux cadres établis.

Alors, que reste-t-il ? Des options en apparence nombreuses, mais qui mènent toutes à la même impasse. Renommer Bayrou ? Peu probable, et même absurde après un tel désaveu. Lui substituer un « Bayrou bis » pour le même résultat au moment du budget ? Une fuite en avant. Tenter l’hypothèse d’un gouvernement de gauche ? Il serait censuré dès sa première déclaration de politique générale. En réalité, toutes ces tentatives ne viseraient qu’à gagner du temps. Ce que l’exécutif cherche, ce n’est pas une issue : c’est un sursis.

Sur le même sujet : Pour se sauver, François Bayrou choisit sa chute

Et même la carte du gouvernement technique ou d’union nationale ne tient pas debout. Pour quoi faire ? Pour gérer les affaires courantes en attendant 2027 ? Pour sauver les apparences ? La vérité, c’est que l’architecture institutionnelle elle-même est en panne. L’hyperprésidence macronienne s’est fracassée sur l’absence de majorité et la polarisation politique.

L’Assemblée nationale, dans sa configuration actuelle, n’est pas gouvernable. Il ne reste donc que deux chemins sincères. Le premier : la dissolution. Mais qui peut garantir que de nouvelles élections donneront une majorité claire ? On risque de reproduire à l’identique le blocage actuel. Le second : la démission du président de la République. Car à bien y regarder, Emmanuel Macron est le seul verrou de la crise institutionnelle. Il gouverne sans majorité, sans projet commun avec les partis représentés, sans perspective. Sa démission permettrait de relancer la machine, de redonner la parole au peuple, de créer un choc politique qui oblige à recomposer les lignes.

Il est temps de reconnaître que la Cinquième République est arrivée en bout de course.

Mais ce choc, à lui seul, ne suffira pas. L’immobilisme menace. Si rien ne bouge, si tout continue comme aujourd’hui dans le vide et la tension, nous glisserons lentement vers une crise de régime. La seule voie utile, alors, serait celle d’un grand débat national — pas un gadget de communication — mais une vraie séquence démocratique sur l’avenir de nos institutions.

Il est temps de reconnaître que la Cinquième République est arrivée en bout de course. Il est temps d’ouvrir la voie à une Sixième, fondée sur un parlementarisme renforcé, une démocratie sociale vivante, et une participation citoyenne réelle. La gauche, dans ce contexte, est au pied du mur. Elle ne peut pas simplement se réjouir de la chute des gouvernements. Elle doit proposer. Être une force de rupture mais aussi de refondation. Elle doit choisir son camp : celui des appareils prudents ou celui des mouvements vivants. Car c’est dans la rue que la prochaine séquence pourrait s’ouvrir. Et si la gauche ne s’y prépare pas, d’autres s’en empareront.

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Parti pris et Politique

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