« Ça se relit », épisode 9 : Sophie Binet et Ambroise Croizat

Cet été, Politis demande à de nombreuses femmes de gauche un discours à découvrir… ou redécouvrir. Pour ce huitième épisode, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet lit Ambroise Croizat.

Sophie Binet  • 18 août 2025
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« Ça se relit », épisode 9 : Sophie Binet et Ambroise Croizat
Sophie Binet et Ambroise Croizat
© Politis / DR / Domaine public

Il est des discours qui marquent par leur art rhétorique, d’autres par l’impact qu’ils ont eu sur le réel et sur la vie des gens. Ceux d’Ambroise Croizat sont de ceux là. Ministre communiste du travail et de la sécurité sociale de 1945 à 1947, Ambroise Croizat a mis en œuvre la sécurité sociale, ce grand projet émancipateur qui a changé la vie de millions de travailleurs et de travailleuses, et continue à sécuriser nos vies, 80 ans après.

Retraite, remboursement des soins et des médicaments, allocations familiales, indemnités journalières, accidents de travail, congé maternité et parental, nous avons chacune et chacun déjà directement profité d’un des droits créés par la sécurité sociale.

Seul ministre du travail ouvrier, Ambroise Croizat était aussi et peut être d’abord syndicaliste. Ouvrier dès l’âge de 13 ans, puis secrétaire général de la fédération de la métallurgie CGT de 1928 à 1951, Ambroise Croizat s’est toujours juré de se souvenir d’où il venait et a d’ailleurs vécu toute sa vie avec les revenus d’un ouvrier. Très sensible à la santé, à la culture, et aux loisirs, « des mots que les ouvriers n’osaient prononcer », il utilisa les ressources issues de l’afflux de syndiqué.e.s de 1936, pour créer une maternité, les Bluets, pionnière de l’accouchement dit sans douleur, des centres de vacances, un centre de formation professionnelle toujours gérés aujourd’hui par la CGT.

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« Nous, combattants de l’ombre, exigeons un plan complet de Sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État. » Annoncée par le programme du conseil national de la résistance, la sécurité sociale a été mise en œuvre dans un pays ruiné par la guerre.

Son objectif : mettre fin à la peur, à l’insécurité permanente qui caractérise la vie des travailleuses et des travailleurs. Révolutionnaire, comme la qualifie Ambroise Croizat mais aussi Pierre Laroque, haut fonctionnaire chargé de sa conception, la sécurité sociale a été immédiatement l’objet de multiples bras de fers.

Ce combat s’enracine au fond des siècles dans les volontés populaires d’en finir avec la charité pour aller vers la solidarité

Il aura fallu la détermination et l’intelligence de Croizat, appuyé sur la puissance de la CGT forte de ses 4 millions de syndiqué.e.s et de son rôle déterminant dans la Résistance, pour les dépasser. La sécurité sociale est le fruit d’un long combat pour la dignité. Il s’enracine au fond des siècles dans les volontés populaires d’en finir avec la charité pour aller vers la solidarité.

Le point central : elle est financée par la cotisation. Il s’agit donc d’un droit acquis à la sueur de leur front par les travailleurs, pas d’une aumône ou d’un privilège dont ils seraient redevables. À ce titre, et c’est ce qui fait la particularité de la sécurité sociale, elle est gérée directement par les salarié.e.s et sera mise en œuvre grâce à une incroyable mobilisation des militantes et militants de la CGT qui en quelques mois réussissent à créer 138 caisses de sécu et 111 caisses d’allocations familiales.

Enfin, alors que les quelques régimes de retraites existant avant guerre fonctionnaient par capitalisation, 1946 marque la naissance de la retraite par répartition, principe extraordinaire qui permet que l’argent aille directement des actifs aux retraités sans passer par aucun actionnaire ni aucune banque.

Nous fêterons probablement les 80 ans de la sécurité sociale dans la rue, pour empêcher, encore une fois la casse de nos conquis sociaux.

On comprend pourquoi dès l’origine, le patronat a combattu frontalement la sécurité sociale qui permet encore aujourd’hui de socialiser, et donc de faire échapper à la spéculation capitaliste, un quart des richesses produites chaque année en France. Le bras de fer continue, et sera au cœur de l’actualité de cette rentrée. Nous fêterons probablement les 80 ans de la sécurité sociale dans la rue, pour empêcher, encore une fois la casse de nos conquis sociaux.

« Jamais nous ne tolérerons que soit rogné un seul des avantages de la Sécurité sociale, nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie cette loi humaine et de progrès » : c’est ainsi qu’Ambroise Croizat acheva son dernier discours à l’Assemblée nationale, le 24 octobre 1950. Le 17 février 1951, 1 millions de personnes défilent à l’occasion des obsèques d’Ambroise Croizat, signe du soutien populaire dont bénéficiait le ministre des travailleurs – qui mis également en place les comités d’entreprise, supprima l’abattement de 10% sur les salaires féminins… – , mais aussi de l’attachement à la sécurité sociale, confirmé lors de tous les mouvements sociaux, de 1995 à 2023.

Que gouvernement et patronat en prennent de la graine, nous serons, en cette rentrée encore, au rendez-vous pour défendre nos conquis !


Le discours d’Ambroise Croizat, le 8 août 1946.
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