Les droits des enfants, éternels oubliés de l’agenda politique
Malgré des scandales à répétition et des rapports parlementaires accablants, la protection de l’enfance reste marginalisée dans le programme des partis, même à gauche. Le monde associatif s’agace de cette absence.

© Politis
Rentrée politique oblige, les principaux partis organisent leurs universités d’été et définissent leurs priorités pour les prochains mois. Au rythme des discours, des conférences et des tables rondes, les sujets s’enchaînent : logement, écologie, sécurité, préparation des municipales… Mais une question reste reléguée aux marges : la protection de l’enfance.
« En dehors de certains temps forts, la question de l’enfance est souvent dans l’angle mort politique et médiatique », constate Lyes Louffok, militant des droits de l’enfant et auteur de Dans l’enfer des foyers : Moi, Lyes, enfant de personne (Flammarion, 2014). Candidat aux législatives de 2024 dans le Val-de-Marne et aux législatives partielles de 2025 dans l’Isère sous l’étiquette de la France insoumise, il suit avec attention l’agenda des partis.
À gauche, seul·es les écologistes et le NPA ont prévu un temps consacré à l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou aux droits de l’enfant lors de leurs universités d’été. Rien ou presque, en revanche, du côté du Parti socialiste, des communistes ou même de La France insoumise, qui a bien organisé une table ronde, mais en se concentrant sur les violences scolaires et la commission d’enquête dite de Bétharram.
Lorsque l’on discute avec des responsables politiques, beaucoup nous disent de l’enfance que ce n’est pas leur sujet.
L. Louffok
« Pour les partis politiques, tout ceci rentre dans des logiques de communication. Et cela crée même des confusions : pour Bétharram, par exemple, le rôle de la France insoumise n’était pas clair, et l’espace accordé aux associations a été minime. Or, je considère que c’est aux partis politiques de donner de l’écho à la société civile, pas l’inverse », détaille Lyes Louffok.
À l’intérieur des partis, peu d’élu·es investissent ces questions. « Lorsque l’on discute avec des responsables politiques, beaucoup nous disent que l’enfance “ce n’est pas leur sujet”, regrette Arnaud Gallais, cofondateur et président de l’association Mouv’Enfants. Cette réponse serait inimaginable si on parle d’écologie par exemple. »
« L’impensé des politiques publiques »
Cette absence résonne d’autant plus que ces dernières années ont été marquées par une série d’affaires médiatisées. En plus des scandales de Bétharram et du procès Le Scouarnec, plusieurs rapports parlementaires ont été rendus publics et les données s’accumulent.
Côté chiffres, en 2018, en France, un·e enfant sur cinq vit en-dessous du seuil de pauvreté, d’après les données de l’INSEE, reprises par l’Unicef. Ce chiffre est en hausse, avec 600 000 enfants supplémentaires concerné·es, entre 2008 et 2018. Sans parler des grosses disparités sur le territoire : la pauvreté touche huit enfants sur dix à Mayotte et six enfants sur dix en Guyane.
Par ailleurs, en avril dernier, le rapport de la commission d’enquête sur « les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance » avait marqué une étape importante. La rapporteure et députée socialiste, Isabelle Santiago, avait notamment déclaré que « l’enfance est un impensé des politiques publiques. »
Aussi, pour la première fois, ce rapport qualifie de « systémiques » les violences institutionnelles dans le cadre des placements, et pose la question de la réparation. « C’est un pas, car jusque-là, on était confrontés à une forme de négation des dysfonctionnements », souligne Lyes Louffok.
Une séquence de plus
« On aurait pu s’attendre, après la multitude de décès d’enfants dans le cadre de leur prise en charge par l’ASE, à ce que le sujet figure en bonne place. Or, rien, regrette-t-il. Pourtant, ces enfants sont confiés à la puissance publique, donc ce sont nos enfants. La société toute entière en est responsable. »
La déception des associations et des victimes n’est pas nouvelle. Les militant·es réclament l’application des 82 recommandations de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) depuis la publication du rapport final, fin 2023. « On vient nous chercher quand ça les arrange et puis on nous remet dans le tiroir jusqu’à la prochaine actualité », dénonce Lyes Louffok.
Les partis vivent les affaires de violences envers les enfants comme des séquences.
L. Louffok
L’affaire Bétharram, révélant des abus sexuels commis dans une institution religieuse, illustre cette logique. « Les partis vivent ces moments-là comme des séquences. Et tant qu’on les pense ainsi et non comme des phénomènes sociétaux qui nécessitent une mobilisation beaucoup plus massive, on reste dans la communication », observe-t-il.
C’est un sentiment partagé par Claire Bourdille, fondatrice du Collectif enfantiste : « L’enfance est toujours pensée en silos distincts : on traite les violences sexuelles d’un côté, les violences physiques d’un autre, les violences scolaires ou l’ASE à part… Alors que tout fonctionne ensemble et fait partie du même système de domination. »
« Les enfants ne sont pas en dehors de la société »
La situation politique des droits des enfants en France ne fait pas que stagner, elle se dégrade. Le gouvernement a essayé de réformer la justice des mineurs en 2024, en supprimant par exemple l’atténuation de responsabilité pénale des enfants, pour être « jugés comme des adultes », selon Lyes Louffok, avant de se faire retoquer par le Conseil Constitutionnel.
Plus récemment, la loi immigration a exclu les jeunes étranger·es sous OQTF de la prolongation de l’ASE à leur majorité. « Des attaques extrêmement violentes contre les droits des enfants, passées comme une lettre à la poste. Et la gauche reste beaucoup trop timide sur le sujet », relève-t-il. Et Claire Bourdille d’ajouter : « Aujourd’hui, les sujets politiques autour de l’enfance en France, c’est la délinquance et l’insécurité. »
Pour Lyes Louffok, le problème est structurel : la politique n’est pas pensée « à hauteur d’enfant ». Or, rappelle-t-il : « Toutes les politiques publiques ont un impact sur les enfants. Justice, santé, écologie, transports, culture… Les enfants ne sont pas en dehors de la société. » Cette transversalité devrait, selon lui, pousser les partis à traiter la question de l’enfance comme on le fait désormais du féminisme. « Il serait inconcevable, aujourd’hui, de ne pas parler de féminisme lors des grands rendez-vous de la gauche. Pour l’enfance, on est encore une fois les grand·es oublié·es. »
« Faire front commun »
La raison de cet « oubli » d’après Claire Bourdille : « Il y a peu d’enjeu électoral pour les droits de l’enfant, vu que ces derniers ne votent pas. Donc tant que la société civile ne bouge pas, ne manifeste pas, les politiques n’ont aucun intérêt à agir. »
Le Collectif enfantiste appelle justement à une mobilisation nationale pour les droits de l’enfants le 15 novembre 2025. Concernant la sphère publique, Arnaud Gallais se veut rassurant : « À mon avis, il y a une véritable prise de conscience publique ces dernières années. Je pense que la société civile est prête à accepter des changements profonds, mais que les politiques ne prennent pas leur responsabilité. »
D’après les militant·es interrogé·es par Politis, les associations de protection de l’enfance sont, elles aussi, encore trop segmentées : sur les violences scolaires d’une part, les violences au sein de l’Église catholique d’autre part, etc. Arnaud Gallais met en garde sur ce point : « Pour continuer de lutter, il faut que le monde associatif soit uni. On doit faire front commun pour la défense des enfants. »
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