Ce que « Bloquons tout » peut construire en vue du 18 septembre

Plus de 200 000 personnes se sont mobilisées ce 10 septembre. Des chiffres qui dépassent largement les estimations du gouvernement, même si cela reste peu en comparaison de la lutte contre les retraites. Un tremplin vers la mobilisation intersyndicale du 18 septembre ?

Pierre Jequier-Zalc  • 11 septembre 2025 abonné·es
Ce que « Bloquons tout » peut construire en vue du 18 septembre
Place des Fêtes, à Paris, le 10 septembre 2025.
© Maxime Sirvins

Draveil (Essonne), mercredi matin. Sur les boucles Telegram « Bloquons-tout », le rendez-vous a été annoncé. À 7 h, blocage d’une station-service Total. Puis, à 8 heures, ça devait être au tour du Super U d’être bloqué. Pourtant, ce mercredi matin, elles ne sont que trois au rendez-vous. Trois militantes du Parti communiste, jeunes retraitées. La station Total est entourée de rubalises – celle-ci ne tiendront pas plus de quelques minutes. Devant le Super U, quelques militants insoumis les rejoignent. Mais, à si peu, impossible de bloquer la grande surface. Une banderole « Macron dégage » est quand même posée au-dessus des cadis et quelques mots sont échangés avec les personnes venues faire leurs courses. L’ambiance est joyeuse, les discussions, cordiales.

À quelques kilomètres, sur un rond-point à la sortie d’Orsay, c’est plusieurs dizaines de personnes – essentiellement des étudiants – qui ont répondu présent. Mais, au vu du dispositif policier, le blocage de ce nœud autoroutier est vite impossible. Il se transforme en tractage géant, ralentissant fortement la circulation. Là aussi, les discussions avec les automobilistes sont très bonnes. « Que pensez-vous du gouvernement ? », demande un jeune participant. « Pas beaucoup de bien », cingle un conducteur, avant de partir en prenant avec plaisir le tract tendu.

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« Ce sont plutôt des militants, politiques, syndicaux qui étaient en action hier et cela tranche vraiment avec les gilets jaunes », observe François Buton, directeur de recherche au CNRS et récent co-auteur d’un article intitulé « ‘Bloquons tout » est-il vraiment la saison 2 des gilets jaunes ? ». Sur le terrain, les profils rencontrés, syndicalistes, militants politiques, étudiants viennent asseoir ce constat.

Plusieurs indicateurs montrent que ce mouvement présente peu de similitudes avec les gilets jaunes.

« On ne veut pas rater le coche comme lors de la mobilisation des gilets jaunes », confiait Denis Gravouil, de la CGT, il y a quelques jours. Pourtant, au lendemain de la mobilisation, plusieurs indicateurs montrent que le mouvement « Bloquons tout » ne présente que peu de similitudes avec l’épisode fluorescent de l’automne 2018.

Super U Draveil Bloquons tout 10 septembre
(Photo : Pierre Jequier-Zalc.)

Partout sur le territoire, ce type d’actions se sont multipliées. Témoignant d’une mobilisation suivie, malgré une organisation venue des réseaux sociaux, sans institution politique et syndicale à l’origine. « On peut affirmer que plus de 300 000 personnes ont participé à cette journée, d’une manière ou d’une autre », assure Thomas Vacheron, secrétaire confédéral à la CGT. La deuxième centrale syndicale du pays avait décidé de suivre ce mouvement, comme l’union syndicale Solidaires et plusieurs partis politiques de gauche – notamment La France Insoumise.

Séance de rattrapage ?

Surtout, comme le note le sociologue, cela ne veut pas dire que le mouvement du 10 septembre n’a pas été investi par certains anciens gilets jaunes. « Mais, depuis 2018, beaucoup d’entre eux sont devenus des militants. Donc on ne peut plus les considérer comme des primo-contestataires », observe-t-il. Est-ce pour autant que cette journée d’actions n’a pas été un succès ? « Absolument pas », assure Julien Troccaz, secrétaire fédéral Sud-Rail. « Il ne faut pas comparer avec les gilets jaunes. Évidemment, ce n’est pas les gilets jaunes. On a un problème, c’est qu’on aimerait rattraper ce qu’on a raté à cette époque en retrouvant les citoyens et citoyennes isolés qui y avaient participé. Mais « Bloquons tout » reste un mouvement inédit, horizontal, qui met la pression sur les organisations syndicales, nous la première. »

Une pression notamment en vue du 18 septembre, où l’ensemble des syndicats a appelé à une grande journée de mobilisation – et surtout de grève – interprofessionnelle. « C’est une première salve, il faut aller beaucoup plus loin. Chaque jour qui vient va déterminer ce qui se passera le 18 », espère Thomas Vacheron.

Sur le même sujet : Soutien, accompagnement, hésitation… La gauche et les syndicats face au 10 septembre

La question de la grève est dans toutes les têtes. En effet, si les chiffres du 10 ont été largement supérieurs à ceux prédits par le gouvernement, les taux de grévistes sont restés modérés. « Même si dans le ferroviaire, par exemple, on est sur des chiffres meilleurs que lors des journées de rentrée sociale classiques », confie Julien Troccaz.

Déjà, des assemblées générales pour poursuivre la lancée du 10 se préparent dans les prochains jours. « Ce qu’il faut observer dans ces mouvements, ce n’est pas le début, mais plutôt la dynamique qui se met en place ensuite, explique François Buton, cela va-t-il créer une forme d’engrenage qui débordera sur le 18 ? »

Au fil des échecs des grands mouvements sociaux, la grève a perdu en force de persuasion.

Au niveau de la grève, rien n’est moins sûr. Au fil des échecs des grands mouvements sociaux – celui contre la réforme des retraites notamment –, ce mode d’action a perdu en force de persuasion. Encore plus dans un contexte de précarité importante. Et où les revendications restent larges.

« De plus en plus, les grèves sont suivies quand il y a un important travail syndical en amont et que les revendications sont claires, et bien souvent sectorielles – voire interne à l’entreprise. Hier [le 10/09], il n’y avait rien de ça », souligne Rémy Ponge, sociologue du syndicalisme.

« Nous devons faire ce travail dans les prochains jours, pour faire le lien entre l’austérité budgétaire et les conditions de travail sectorielles des travailleurs et travailleuses », assume également Julien Troccaz. « Tous les progressistes de ce pays doivent tout faire pour que le 18 soit une réussite », abonde Thomas Vacheron. À la CGT, à Solidaires comme parmi les nombreux participants à « Bloquons tout », on espère que, loin d’être une mauvaise imitation des gilets jaunes, ce 10 septembre devienne la base d’une mobilisation populaire puissante.

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