En Italie, un accès à l’IVG toujours plus restreint

Avec de moins en moins de médecins pratiquant l’IVG, la droite italienne et Meloni au pouvoir peuvent s’appuyer sur une loi de 1978 dont la rédaction encourage toutes les restrictions possibles.

Olivier Doubre  • 25 septembre 2025 abonné·es
En Italie, un accès à l’IVG toujours plus restreint
Une banderole affiche « Objection rejetée » lors d'un rassemblement marquant la Journée internationale de l'avortement médicalisé, le 28 septembre 2022, à Rome.
© Alberto Pizzol / AFP

Comme en France, en 1975, les féministes italiennes sont parvenues, en 1978, à obtenir la légalisation de l’avortement après une longue lutte, et des décennies, pour ne pas dire des siècles, d’IVG (interruption volontaire de grossesse)clandestines, avec tous les décès, souffrances et invalidités qu’elles entraînaient.

Le Parlement italien, avec une majorité démocrate-chrétienne et ses alliés, soutenue par le PCI, en plein « compromis historique », adopte enfin la loi n°194, autorisant l’IVG. Non sans restrictions dans un pays où le Vatican est une enclave au cœur même de sa capitale et, surtout, une puissance morale de poids dans le débat public. Une victoire pour le mouvement féministe, certes. Mais en trompe-l’œil.

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Depuis plus de quatre décennies pourtant, après avoir atteint un chiffre relativement stable au bout de quelques années suivant l’adoption de la loi, le nombre d’avortements en Italie a eu tendance à diminuer, contrairement aux autres pays de l’Union européenne. À quoi donc est due cette spécificité italienne ?

Il y a d’autant plus lieu de s’étonner que Giorgia Meloni ne craint pas, au cours de la campagne électorale de 2022 – qui allait la porter au pouvoir –, d’affirmer haut et fort : « Nous ne toucherons pas à la loi 194 sur l’avortement, mais au contraire, nous l’appliquerons dans sa totalité. » L’affirmation peut surprendre, tant les difficultés pour les femmes italiennes de pouvoir faire une IVG sont grandes, sinon croissantes.

Disparités régionales

Il faut savoir que l’Italie a fini, au début des années 1970, par transférer d’importantes compétences aux régions, en particulier en matière de santé. Ce sont donc, depuis, les collectivités régionales qui s’occupent de cette matière, entraînant de fait de grandes disparités entre elles, variant évidemment selon la couleur politique de l’exécutif régional.

Outre l’accueil souvent déplorable, sinon stigmatisant et violent (comme le rapportent de nombreuses associations féministes) des femmes se présentant dans des hôpitaux pour une IVG, notamment dans les régions les plus méridionales et très catholiques, les structures et les personnels de santé acceptant de pratiquer des avortements se font de plus en plus rares.

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Dans des régions comme le Molise, les Marches, la Campanie ou la Sicile, 8 praticiens sur 10 font ainsi jouer leur « clause de conscience » – prévue par la loi 194 – pour refuser de pratiquer des IVG. En Sicile, région insulaire très peuplée, avec plus de 11 millions d’habitants, les médecins ne s’y refusant pas se comptent sur les doigts de la main.

Dans province de Messine, un seul gynécologue n’est pas « objecteur de conscience » et pratique les IVG.

Ainsi, dans la vaste et montagneuse province de Messine, un seul gynécologue n’est pas « objecteur de conscience » et parcourt ses nombreux villages isolés sur les pentes septentrionales de l’Etna. Sachant bien entendu que le délai légal pour une IVG demeure de 90 jours. Pas un jour de plus…

Mais ce n’est pas tout. Pourquoi, vu la situation déjà critique pour les femmes contraintes à recourir à l’IVG, Giorgia Meloni se dit-elle vouloir appliquer l’intégralité de la loi 194, « en particulier sa première partie » ? Dans nombre de régions du nord de l’Italie, la difficulté pour parvenir à subir une IVG est aussi due à la réduction des budgets alloués à la santé publique, et en particulier aux services supposés pratiquer des IVG, parmi les premiers à voir leurs crédits réduits.

Financement du mouvement « pro vie »

Pire, comme par exemple dans le Piémont, une bonne part de ceux-ci sont amputés tout à fait légalement car « fléchés » à des mouvements « pro vie », donc opposés par principe à l’IVG… au nom du « soutien » qu’ils apporteraient aux femmes se trouvant en situation de ne pouvoir mener à terme leur grossesse. Dans cette région, 2,4 millions d’euros de fonds publics leur sont alloués.

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Federica Di Martino, psychologue et co-animatrice du réseau, très présent sur les réseaux sociaux, « Ho abortito e sto benissimo » (« J’ai avorté et je vais très bien ») dénonce ainsi la rédaction de la loi 194, qui permet à certaines régions – avec un exécutif de droite en général – de financer ces mouvements anti-IVG. En toute légalité.

Les mouvements « pro vie » sont aussi autorisés à tenir des permanences à l’intérieur des hôpitaux publics ou d’autres structures sanitaires, abordant des femmes souvent en détresse, leur proposant de prendre en charge leurs difficultés financières et les convainquant de renoncer à avorter. Cette situation, qui nous paraîtrait aberrante, sinon illégale, en France, est due à l’esprit dans lequel a été rédigée la loi 194, après de longs débats aboutissant à un compromis avec nombre d’associations catholiques en 1978, la Démocratie chrétienne étant toujours alors au pouvoir à Rome (depuis 1945).

La plupart des médecins qui font jouer la clause de conscience le font pour pouvoir progresser dans leur carrière.

F. Di Martino

Comme le souligne Federica Di Martino, ce qui se joue ici n’est pas tellement une question de « conscience » pour beaucoup de praticiens. « Le nombre de médecins qui font jouer leur “objection de conscience” est certes très important dans certaines régions, ce qui y restreint évidemment beaucoup l’accès à l’IVG, mais la plupart le font surtout pour des raisons économiques et pour pouvoir progresser dans leur carrière. Les vrais “convaincus”, pour “vraies” raisons de conscience, sont finalement assez peu nombreux ! »

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Car, en fait, totalement contraire à celui de la loi Veil, votée en 1975 en France, c’est tout l’esprit de la loi italienne qui permet aux régions de financer ces mouvements « pro vie », ou plus précisément anti-IVG. Il suffit de lire son article premier : « L’État garantit le droit à la procréation consciente et responsable, reconnaît la valeur sociale de la maternité et protège la vie humaine depuis son début. L’interruption volontaire de la grossesse, sur laquelle porte la présente loi, n’est pas un moyen de contrôle des naissances. L’État, les régions et les collectivités locales, dans le cadre de leurs propres fonctions et compétences, promeuvent et développent les services socio-sanitaires, mais aussi d’autres initiatives nécessaires pour éviter que l’avortement soit utilisé à des fins de limitation des naissances. »

Tout est dit, en toutes lettres. Alors que depuis 2014, l’irruption d’associations anti-avortement dans des hôpitaux publics est passible, en France, de sanctions pénales, on comprend à cette lecture que l’esprit de la loi italienne sur l’IVG permette le financement et le soutien de ces mouvements nauséabonds.

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