« Emmanuel Macron aurait pu nommer Jordan Bardella à Matignon »

Le réalisateur de L’Inconnu du lac et de Miséricorde, Alain Guiraudie, livre son analyse sur les raisons de la mobilisation d’aujourd’hui et sur les rapprochements entre le pouvoir en place et l’extrême droite.

Christophe Kantcheff  • 10 septembre 2025 abonné·es
« Emmanuel Macron aurait pu nommer Jordan Bardella à Matignon »
Mobilisation à Paris, le 10 septembre 2025.
© Maxime Sirvins

Pourquoi soutenez-vous le mouvement du 10 septembre ?

Alain Guiraudie : Au début, quand j’ai vu les tout premiers mots d’ordre, « dissolution des syndicats et des partis politiques », j’ai trouvé ça baroque. Puis les mots d’ordre de partage des richesses et de rétablissement de l’impôt sur la fortune ont pris le dessus. On sent que c’est un mouvement de classe, qui n’a rien à voir avec le poujadisme. Le fait que des partis politiques de gauche se soient déclaré en soutien a joué également.

Depuis la dissolution décidée par Macron en juin 2024, on assiste à un incroyable déni de démocratie !

Je soutiens le mouvement parce que ça ne va pas du tout : les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent, nombre de gens appartenant aux classes sociales les plus défavorisées ont tout à redouter de l’ubérisation de la France, de la captation des richesses par les plus fortunés, et de la détérioration des services publics.

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S’ajoute à cela le risque inéluctable de la disparition des espèces et, à terme, de celle de l’espèce humaine. Nous sommes face à une crise écologique majeure. Depuis longtemps j’ai cette conscience écologique, mais je ne pensais pas que nous serions aussi vite dans cette crise majeure. Enfin, depuis la dissolution décidée par Macron en juin 2024, on assiste à un incroyable déni de démocratie !

La nomination de Sébastien Lecornu au poste de Premier ministre en est encore l’illustration…

Oui, on a depuis un an des premiers ministres issus de partis politiques très minoritaires : Barnier des LR, Bayrou du Modem et maintenant Lecornu, un ministre de la Défense – personnage généralement peu progressiste – proche de Macron et RN compatible. Cela dit, ce n’est pas pour moi une surprise. Quand le jeu démocratique ne suffit plus à conserver ses intérêts et ses privilèges, la classe dominante se tourne vers l’extrême droite. Historiquement, on a toujours vu ce rapprochement. Macron ne fait plus illusion en tant que garant de la République face au Rassemblement national. Il aurait pu nommer Jordan Bardella. Mais celui-ci n’y serait pas allé à cause de la perspective de la présidentielle. La fusion des droites (y compris extrême), que Bolloré et Stérin appellent de leurs vœux, fonctionne.

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Que pensez-vous de la responsabilité des médias dominants, audiovisuels en particulier, y compris publics, dans cette évolution ? On ne cessait d’y entendre que les partis politiques qui soutenaient le mouvement du 10 septembre étaient en faveur du désordre et du chaos…

Il y a toujours le côté « radio Matignon », comme on disait en Mai 68. Ils sont quand même globalement du côté du pouvoir. J’ai toujours entendu que la gauche, c’était le désordre, le laxisme, un trou dans les finances de l’État alors que la droite est responsable, elle regarde le réel en face, et assure une stabilité des finances. Parce que ce sont des gens raisonnables, de bons techniciens, etc. C’est hallucinant ! Le gros de la dette, c’est bien Macron qui l’a creusé ! Je ne pense pas qu’on présente le 20 heures de France 2 en ayant une carrière de gauchiste. Et j’ai cru comprendre que le Centre de formation des journalistes (l’une des grandes écoles de journalisme, N.D.L.R.) ne faisait plus beaucoup travailler l’esprit critique.

Trouvez-vous que du côté de la culture, le milieu réagit beaucoup aux mouvements sociaux ? On trouve dans les actions de la CGT-Spectacle des travailleurs et travailleuses de la culture. Mais les grands noms du cinéma, par exemple, sont pour la plupart aux abonnés absents…

Le spectacle vivant est davantage mobilisé que le cinéma, parce qu’il subit de plein fouet les coupes budgétaires. Et l’effet troupe doit jouer. Même dans le mouvement des intermittents de 2003, qui était fort, les gens du cinéma étaient moins présents que ceux du théâtre ou du théâtre de rue. Les organisations professionnelles, comme la Société des réalisateurs de films, sont moins combatives aujourd’hui. Quant aux grands noms, on ne peut pas dire qu’ils se distinguent par leurs prises de position, en effet.

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Que le cinéma reste un peu hors du monde, hors des combats sociaux, ça ne date pas d’aujourd’hui. Fassbinder, Pasolini ou Godard sont des exceptions. Dans les années 1970, qui étaient portées par de plus puissants élans populaires, je ne crois pas que des cinéastes centraux comme Pierre Granier-Deferre ou Claude Sautet aient été passionnés par la politique. Il faut dire aussi que la sociologie dans le cinéma est déterminante : ce sont des gens d’une certaine catégorie sociale qui arrivent à faire des films, ce n’est pas le lumpenproletariat !

Aujourd’hui, la dernière prise de position courageuse que j’ai entendue, c’est celle d’Adèle Haenel, qui part sur la flottille pour Gaza.

Aujourd’hui, la dernière prise de position courageuse que j’ai entendue, c’est celle d’Adèle Haenel, qui part sur la flottille pour Gaza. Je n’en fais moi-même pas autant. Mais il semblerait qu’elle ait renoncé à sa carrière de comédienne au cinéma.

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Les organisations syndicales appellent à la mobilisation le 18 septembre. Ce sera une journée plus classique…

Au moment des gilets jaunes, des militants que je connaissais de la CGT ou du PCF se sont remis à militer comme jamais parce qu’ils sentaient qu’il y avait quelque chose de nouveau. Bien sûr je soutiens l’appel des syndicats du 18 septembre. Mais ces appels ont leur limite : ils se réduisent à une journée de mobilisation, et le soir, tout est terminé. L’appel du 10 septembre, lui, peut déborder sur le 11, ça peut continuer, notamment chez les jeunes. Le problème qui peut se poser, comme cela a été le cas avec les gilets jaunes, c’est de trouver des débouchés politiques.

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