Le Pen en rêvait, Macron l’a fait

Imaginer endiguer le vote lepéniste en reprenant une partie de ses idées sur les questions sécuritaires et sur l’immigration est illusoire, et crée les conditions permettant au RN d’appliquer son projet.

Michel Soudais  • 29 mai 2024 libéré
Le Pen en rêvait, Macron l’a fait
Manifestation contre la loi « sécurité globale » en novembre 2020, à Paris.
© Lily Chavance

Au lendemain de son débat médiatique avec Jordan Bardella, Gabriel Attal dévoilait quelques mesures destinées à encadrer la jeunesse. Depuis le début de l’année, Emmanuel Macron veut la « réarmer civiquement » et promet de « rétablir l’autorité partout où elle manque face aux incivilités et à la délinquance ». À l’AFP, ce matin-là, le Premier ministre souhaite donc qu’un projet de loi soit voté « avant la fin de l’année » permettant, entre autres mesures, la mise en place d’une forme de comparution immédiate des mineurs dès 16 ans, et un placement en foyer des jeunes délinquants « dès les premiers faits pour des courts séjours ».

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Le vice-président du RN, Sébastien Chenu, invité à réagir sur BFMTV, fait aussitôt savoir que son groupe votera ce projet de loi, même s’il ne s’agit, à ses yeux, que d’une « petite réponse ». Car c’est bel et bien un pas vers ce que réclame Marine Le Pen – revoir les modalités de l’excuse de minorité et abaisser la majorité pénale à 16 ans – puisque la comparution immédiate est actuellement interdite pour les mineurs délinquants. Le 6 mai sur BFMTV, elle proposait aussi, en cas de récidive, de « condamner un jeune à une semaine dans un centre éducatif fermé plutôt que d’attendre qu’il ait 18 ans et commis un meurtre ». Pour les jeunes délinquants qu’il envisage de placer en foyer, entre 7 et 14 jours, le Premier ministre préconise la visite d’une « figure d’autorité » (policier, gendarme, militaire) afin de leur inculquer des valeurs civiques.

Emmanuel Macron s’est engagé dès son arrivée au pouvoir dans un cercle vicieux et mortifère.

Ce grossier clin d’œil à l’électorat d’extrême droite, de la part d’un Premier ministre désireux d’incarner le « sursaut d’autorité » du gouvernement, n’est que le énième épisode d’une stratégie électorale dramatique. Celle-ci voudrait endiguer le vote lepéniste en reprenant une partie de ses idées, tant sur les questions sécuritaires que sur l’immigration. Ce faisant, elle n’aboutit qu’à légitimer à chaque fois un peu plus le discours du RN. C’est ainsi qu’en matière sécuritaire, Emmanuel Macron s’est engagé dès son arrivée au pouvoir dans un cercle vicieux et mortifère qui rétrécit toujours plus les garanties et protections en multipliant les lois régressives en matière de droits et libertés fondamentales.

Arsenal répressif renforcé

Présentée en conseil des ministres le 28 juin 2017 et promulguée à l’automne, la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (loi SILT) a mis un terme à l’état d’urgence, qui arrivait au terme de sa sixième prorogation, non sans transposer « en même temps » ses plus importantes dispositions dans le droit commun : perquisitions administratives, assignations à résidence transformées en « mesures individuelles de contrôle administratif », possibilité pour les préfets d’instaurer des périmètres de protection des lieux ou des événements soumis à un risque d’actes de terrorisme.

Cette dernière disposition a été utilisée l’an dernier pour imposer un périmètre de sécurité autour d’une visite du président de la République et y interdire de fait toute protestation contre la réforme des retraites. Quant aux interdictions administratives de territoire, elles constituent une nouvelle arme contre les militants de gauche ou écologistes. Car les dispositions de la loi SILT qui ne devaient être que temporaires ont finalement été définitivement inscrites dans notre droit par la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.

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En un septennat, plusieurs lois ont considérablement renforcé l’arsenal répressif, malgré les multiples alertes de toutes les instances nationales et internationales de défense des libertés publiques. Extension des moyens de vidéosurveillance avec loi sur la sécurité globale (25 mai 2021), légalisation dans la loi JO 2024 (19 mai 2023) de la vidéosurveillance algorithmique – certes à titre expérimental, mais des précédents font craindre à des associations comme Amnesty qu’elle ouvre la voie à la reconnaissance faciale. Avec les amendes forfaitaires délictuelles (AFD), la police devient juge. Depuis 2020 et leur extension à l’usage de stupéfiants, elles concernaient 11 délits. La loi Lopmi (24 janvier 2023) élargit leur champ à des modes d’action militante (intrusion dans un établissement scolaire, atteintes à la circulation des trains, etc.).

Avec le contrat d’engagement républicain pour les associations recevant des subventions publiques ou bénéficiant d’un agrément, instauré par la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021, l’État considère que la société civile n’a pas à dire autre chose que ce qu’il dit. En offrant un cadre juridique à une pratique aujourd’hui arbitraire, ce nouvel outil répressif n’a pas tardé à cibler des activistes écologiques et à entraver la liberté des citoyens musulmans, premiers visés par cette loi qui créait aussi un délit de séparatisme.

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Recul des droits des personnes exilées

Toutes ces dispositions, combinées à l’appui inconditionnel de la Macronie aux forces de l’ordre dans la répression des mouvements sociaux, aboutissent à conforter la possibilité pour un exécutif minoritaire d’imposer ses vues. Cet étouffement progressif de la démocratie, que favorise déjà la constitution de la Ve République, jette les bases d’un mode de gouvernement illibéral sur lequel une Marine Le Pen pourrait s’appuyer pour l’accentuer. Avec d’autant plus de facilité que le cœur de son programme s’est trouvé légitimé par le choix d’Emmanuel Macron et de ses gouvernements successifs de mener, dès 2017, une politique répressive et inhumaine en matière d’asile et d’immigration.

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La dernière loi sur ce sujet, votée par la majorité macroniste avec le Rassemblement national, comprenait plusieurs mesures réclamées par ce dernier – la restauration du délit de séjour irrégulier, l’accès réduit aux aides sociales et à l’hébergement d’urgence, ainsi qu’à la réunification et au regroupement familial –, finalement invalidées pour des raisons de forme par le Conseil constitutionnel. Ce dernier a ensuite porté un coup d’arrêt à l’instauration de la préférence nationale lors de l’examen du référendum d’initiative populaire porté par Les Républicains. « La préférence nationale, appliquée de façon systématique, est contraire à la Constitution », a fort justement rappelé son président, Laurent Fabius.

Néanmoins, par les mesures non censurées qu’elle contient, cette énième loi sur l’asile et l’immigration a marqué un nouveau recul des droits des personnes exilées et une détérioration de leurs conditions d’accueil. Notamment en permettant l’expulsion des étrangers réguliers, même présents depuis longtemps en France ou y ayant des liens personnels et familiaux.

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