La méthode Lecornu : une certaine idée du néant

Mutique depuis sa prise de fonction, le premier ministre a finalement parlé dans Le Parisien pour ne rien dire. Et le locataire de Matignon a usé de toutes les contorsions langagières pour affirmer qu’il ne fera aucune « rupture » politique.

Lucas Sarafian  • 29 septembre 2025
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La méthode Lecornu : une certaine idée du néant
Sébastien Lecornu, arrive pour une réunion au Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) à l'Hôtel de Beauvau à Paris, le 10 septembre 2025.
© Thibaud MORITZ / AFP

Inspirez, expirez, inspirez, expirez… Face à l’épidémie de migraine qui sévit dans le pays, Sébastien Lecornu a trouvé la solution la plus efficace qui existe. Le vide, le néant. Car l’interview que le premier ministre a accordée au Parisien le 26 septembre fonctionne bien mieux qu’une séance de méditation. En 38 questions et autant de réponses, le locataire de Matignon réussit la prouesse de ne rien dire. Un désert mental bien plus performant qu’une boîte d’aspirine. « Les bavardages intempestifs sont inutiles », dit-il. Mais quand même !

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Car le premier ministre, de son propre aveu « le plus faible de la Ve République », n’a absolument aucune idée nouvelle. Un projet de loi contre les fraudes sociales et fiscales, une coupe dans le train de vie de l’État, la suppression de certaines agences, une réforme de l’aide médicale d’État (AME)… Quelle originalité ! Sébastien Lecornu a promis des « ruptures ». Elles se sont visiblement volatilisées. « Ce qui déçoit les Français, c’est l’immobilisme ou les grandes promesses non tenues. Soyons pragmatiques », affirme-t-il. Définition du pragmatisme version Lecornu : le retour de l’impôt sur la fortune, c’est non. La taxe Zucman, c’est encore non. Revenir sur la réforme des retraites, c’est toujours non.

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Quelle surprise ! Sébastien Lecornu défend publiquement le macronisme. C’est d’ailleurs la loyauté envers Emmanuel Macron qui le « rend libre ». Énième phrase bullshit de ce chef de gouvernement qui promet qu’avec lui la politique va changer. Près des deux tiers des conseillers nommés dans son cabinet étaient d’ailleurs déjà en poste sous François Bayrou. Mais qu’importe. Ne croyez pas que le premier ministre défend le statu quo.

Pour preuve, il lâche : « Certains impôts augmenteront, mais d’autres diminueront. » Quelle annonce ! Son budget sera-t-il un plan d’économies de 44 milliards comme celui de son prédécesseur François Bayrou ? « Je présenterai un budget transparent, avec l’évolution des dépenses, l’évolution des recettes et la réduction du déficit. » Un budget « transparent » ? Mais à quoi donc ressemblerait un budget opaque ?

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Dans son camp, on estime que Sébastien Lecornu ouvre la voie à un changement de méthode. Le nouveau chef de gouvernement sera un premier ministre respectueux du Parlement, plus ouvert à la discussion. « Le budget qui sera voté ne sera pas le budget initial du gouvernement », concède-t-il. Mais Lecornu n’exclut pas de recourir au 49.3 : « Je souhaite ne pas être contraint de le faire. » Il ne faut pas trop rêver. Sa promesse : participer lui-même à « certaines discussions ». Un premier ministre qui travaille au sein du Parlement ? Bon prince ! Ce qui devrait être la norme en vient presque à être salué.

Un discours pétrifié par les contorsions argumentaires qui finissent par n’avoir aucun sens.

Mais il ne faut pas oublier la séquence dans laquelle s’inscrit sa prise de parole. Lors des consultations devant les oppositions et les syndicats, Sébastien Lecornu était mutique, se contentant de recueillir les desiderata des uns et des autres, sans dévoiler son jeu. Il n’a rien dit non plus après les journées de mobilisation des 10 et 18 septembre.

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Sa parole était attendue. Et le voilà qui, dans le quotidien de Bernard Arnault, parle pour ne rien dire. Un discours pétrifié par les éléments de langage, les contorsions argumentaires qui finissent par n’avoir aucun sens. « Mon tempérament, c’est la sobriété, avoue-t-il. En tant que ministre des Armées, je sais combien il faut peser ses paroles. »

Comment veut-il rester en poste s’il ne respecte même pas ses propres engagements de « ruptures » ? Il le promet : il présentera son budget « en temps et en heure », une annonce qui consiste simplement à respecter la procédure budgétaire prévue dans la Constitution. Du vent. Encore. Sébastien Lecornu tombera donc logiquement. En temps et en heure. Comme les autres avant lui.

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