Sébastien Lecornu : les souvenirs amers des Outre-mer
Entre 2020 et 2022, le nouveau premier ministre était chargé du portefeuille des territoires ultramarins. Son passage rue Oudinot a nourri griefs et amertumes, notamment en Kanaky-Nouvelle-Calédonie.

© Christophe Archambault / AFP
« Je veux dire sincèrement à nos compatriotes que je mesure leurs attentes et que je connais les difficultés », écrivait Sébastien Lecornu sur son compte X le 10 septembre, au lendemain de sa nomination à Matignon, après la chute du gouvernement de François Bayrou. Une formule qui résonne comme une promesse de proximité de la part de l’homme qui a survécu à tous les remaniements depuis 2017. Les « difficultés » évoquées, le nouveau premier ministre a pu les observer lorsqu’il était ministre des Outre-mer entre 2020 et 2022.
Comme le montre le rapport 2025 de l’Observatoire des inégalités, les taux de pauvreté dans les territoires ultramarins sont très élevés : 77,3 % à Mayotte, 53 % en Guyane, 34,5 % en Guadeloupe, 36,1 % à La Réunion, ou encore 26,8 % en Martinique. À titre de comparaison, la moyenne de la population qui vit sous le seuil de pauvreté s’élève à 14,5 % à l’échelle nationale. Ces écarts traduisent une fracture sociale héritée de l’histoire coloniale.
Aujourd’hui encore, la France est accusée de traiter ses territoires d’outre-mer comme de simples « confettis de l’empire », selon la formule du journaliste Jean-Claude Guillebaud. Le poids du chômage, de la pauvreté, de la vie chère et les innombrables retards structurels qui marquent le quotidien nourrissent cette critique.
Désormais, le nouveau premier ministre devra désigner un ministre des Outre-mer capable de restaurer un climat de confiance. « Pour nous, Bougival, c’est fini. À partir du moment où le gouvernement tombe, le projet d’accord qu’il portait tombe avec lui », juge Mickaël Forrest. Le projet d’accord avait déjà été rejeté en août dernier par le FLNKS, qui appelle à « continuer à mettre en œuvre l’accord de Nouméa, c’est-à-dire à dialoguer ». Une méthode privilégiant le dialogue également prônée par l’Assemblée générale des Nations unies, qui exhorte les différentes parties à poursuivre les discussions en vue d’un véritable acte d’autodétermination.
Au-delà de cette urgence sociale, la question statutaire resurgit régulièrement. Conscient de l’inadaptation du cadre réglementaire hexagonal aux réalités locales et des besoins d’émancipation, le ministre démissionnaire des Outre-mer, Manuel Valls, avait lui-même plaidé pour « démétropoliser les Outre-mer ». Entre 2020 et 2022, Sébastien Lecornu avait incarné l’approche inverse dans sa gestion de l’autodétermination de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie.
Calendrier tenu, confiance brisée
Arrivé rue Oudinot en juillet 2020, Sébastien Lecornu hérite du brûlant dossier calédonien. Après deux référendums d’autodétermination en novembre 2018 et en octobre 2020 où le « non » l’emporte – à 56 % puis 53 % –, une troisième consultation à la demande d’un tiers du Congrès doit se tenir, selon le calendrier prévu par l’accord de Nouméa de 1998. Dans un premier temps, Sébastien Lecornu parvient à renouer le dialogue entre les loyalistes et les indépendantistes, dans un format de négociations resserré sur l’îlot Leprédour. L’effort fourni pour avoir remis des acteurs autour de la table après le vote d’octobre est salué. Mais il se heurte très vite à la crise de l’usine du Sud, qui ravive les tensions entre les deux camps.
Au printemps 2021, la demande d’un troisième référendum pour l’indépendance émane officiellement du Congrès. Le 30 juin, un décret fixe la date du scrutin au 12 décembre. Mais entretemps la pandémie de covid-19 frappe le territoire. Longtemps préservée du virus, la Kanaky-Nouvelle-Calédonie entre en confinement début septembre. Les premiers décès sont enregistrés quelques jours plus tard, et l’épidémie fait des ravages dans les communautés autochtones. Dans ce contexte de deuils et de longues cérémonies de recueillement, le FLNKS demande le report du troisième scrutin. Paris maintient pourtant la date du 12 décembre 2021, au nom du respect du calendrier et de la nécessité de clore la séquence ouverte en 1998.
« Ce maintien, malgré nos demandes incessantes de prendre en compte la situation sanitaire, est un passage en force », rappelle Mickael Forrest, responsable des Relations extérieures du FLNKS, contacté par Politis. « La situation n’était pas propice à la campagne électorale », poursuit le vice-président de l’Union calédonienne. Dans une tribune publiée dans Le Monde en novembre 2022, un collectif d’historiens et de spécialistes appelle à « respecter le deuil kanak » et fustige « l’intransigeance » de Sébastien Lecornu vis-à-vis du calendrier fixé.
La non-participation du FLNKS conduit à une victoire écrasante du « non » à l’indépendance (96,5 %). Mais avec une participation limitée à 43,87 %, la légitimité du scrutin est immédiatement contestée. Celui qui espérait refermer la séquence ouverte par l’accord de Nouméa se heurte à un constat d’échec : Sébastien Lecornu, qui répétait que « le statu quo n’est pas possible », n’a pas réussi à clore un processus devenu, au contraire, plus fracturé encore.
Sa nomination est un très mauvais signal. Son dernier acte politique ici dans le pays a conduit à des difficultés qui perdurent encore.
Mickaël Forrest
« Un très mauvais signal »
Aujourd’hui, la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon laisse un goût amer parmi les indépendantistes : « C’est un très mauvais signal pour nous. Son dernier acte politique ici dans le pays a conduit aux difficultés qui perdurent depuis cette troisième consultation. La situation actuelle est née du dernier passage de Sébastien Lecornu rue Oudinot », glisse Mickaël Forrest.
Dans les autres territoires, le souvenir de Sébastien Lecornu n’est pas plus flatteur. En Martinique comme en Guadeloupe, son nom reste associé aux mobilisations de l’automne 2021, quand l’opposition à l’obligation vaccinale avait dégénéré en affrontements. En Guyane aussi, les griefs persistent : « La Guyane a été maltraitée pendant la crise sanitaire, bien plus que d’autres territoires. On n’a pas du tout un bon souvenir de Sébastien Lecornu », affirme à Politis Davy Rimane, député et président de la délégation aux Outre-mer de l’Assemblée nationale.
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