« Si on est arrêtés, on fera une grève de la faim »

À bord de l’un des 52 bateaux de la Global Sumud Flotilla qui veut rallier Gaza, le médecin français Khaled Benboutrif exhorte la communauté internationale à soutenir cette initiative qui entend briser le blocus humanitaire imposé par Israël.

Pauline Migevant  • 25 septembre 2025
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« Si on est arrêtés, on fera une grève de la faim »
Manifestation de soutien à une flottille tentant de briser le siège de Gaza, à Ajaccio, le 12 septembre 2025.
© Pascal POCHARD-CASABIANCA / AFP

Khaled Benboutrif témoigne depuis l’une des flottilles de la Global Sumud Flotilla, dont l’avancée peut être suivie en direct sur ce tracker. Pour le médecin français, qui s’était rendu à Gaza avec l’ONG Palmed, tenter de briser le blocus imposé par Israël pour apporter de l’aide humanitaire relève d’un «  devoir » alors que le génocide se poursuit.

Avez-vous été attaqués ou intimidés par la marine israélienne comme cela a été le cas pour d’autres flottilles la nuit dernière ?

Khaled Benboutrif : Quand ils ont attaqué les autres bateaux de la Global Sumud Flotilla, l’avant dernière nuit, on était encore dans les eaux grecques, dans le sud-est de la Crête. Ils n’ont pas encore osé nous attaquer. Mais tout est possible avec l’État d’Israël. On est restés éveillés toute la nuit parce qu’on avait des nouvelles : les autres bateaux ont été attaqués par des bombes incendiaires, des bombes assourdissantes, des flashs de lumière. On arrive dans les eaux internationales ce jeudi 25 septembre. Si on navigue bien on est censés arriver dans trois ou quatre jours à Gaza, on espère que le vent sera favorable.

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Avez-vous l’espoir d’arriver à Gaza ou êtes vous certains de vous faire arrêter ?

Objectivement, je pense qu’on va être empêchés. Si la pression internationale est suffisamment haute, les Israéliens pourraient ne pas oser, de craintes de sanctions diplomatiques. Mais on a peu d’espoir. On est préparés à être arrêtés par des actes de piraterie de l’armée israélienne, actes qui jusque-là n’ont malheureusement pas été sanctionnés.

On est préparés à être arrêtés par des actes de piraterie de l’armée israélienne.

Si on est arrêtés, on fera pour la plupart une grève de la faim. À l’arrivée, ils nous mettront la pression pour signer un papier disant qu’on a violé les frontières d’Israël et un autre expliquant qu’on reconnaît Israël. Si on le signe, on est lâchés en 24 heures. Si on ne signe pas, on risque un enfermement de quatre jours. La majeure partie d’entre nous ne va pas le signer. Mais c’est une décision qui appartient à chacun car certains sont malades. De toutes façons, ces documents ne servent à rien : ils sont signés sous la contrainte.

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On espère que nos gouvernements nous accordent la protection diplomatique. L’Espagne, la Belgique, le Brésil l’ont fait. Cela permet d’être traité comme si l’on avait un passeport diplomatique. On ne peut pas être emprisonnés, et interrogés.

Vous êtes parti à Gaza en tant que médecin avec l’ONG PalMed. Pourquoi avoir cette fois-ci décidé d’embarquer sur une flottille ?

Le nombre de médecins autorisés à rentrer par Israël diminue et ils restreignent ce qu’on peut emmener comme matériel et comme médicaments. Quand j’ai voulu aller à Gaza pour la troisième fois, on a été refoulés à la frontière. Donc il y a de moins en moins de chances de pouvoir y aller.

Les deux fois où j’ai pu me rendre à Gaza, j’ai vu un génocide en cours, le déplacement, la famine, les enfants tués et ciblés, les médecins exterminés, les journalistes assassinés, les habitations totalement détruites… On ne peut pas revenir sans penser constamment à ce qui se passe là-bas et aux Palestiniens, meurtris, déportés, abandonnés.

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Depuis qu’on est revenus avec mes collègues, on n’a multiplié les rassemblements, les témoignages. On a sollicité des responsables politiques qui ne nous ont pas tout le temps reçus. On a fait une grève de la faim qui s’appelait « faim de justice pour la Palestine » et qui a duré 24 jours. On a fait le tour des villes de France en essayant de parler de ce qui se passe. Pourtant, rien ne change.

Israël continue de détruire ce qui reste de Gaza. Des gens que j’ai connus sont à leur 20e ou 30e déplacement dans la bande de Gaza depuis le début du génocide. Tout ça ne peut pas nous laisser indifférents. Ce n’est pas une générosité ou un cadeau que l’on fait. Pour moi, c’est un devoir, un minimum que je dois à ces gens-là et que l’humanité leur doit aussi.

Il faut qu’on reste unis et qu’on continue le combat pour arrêter ce génocide.

Comment a été choisi le nom de votre bateau ?

Je suis sur un bateau de la délégation suisse de la Global Sumud Flotilla. On navigue avec un groupe de six bateaux. On est neuf sur mon navire, un voilier de 15 mètres. Le nom du bateau, « Asser et Ayssel », est un hommage aux deux jumeaux tués par Israël en août 2024, trois jours après leur naissance. Leur papa les enregistrait à l’état civil. Leur maison a été visée par un missile. Leur maman médecin est morte aussi.

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Que pensez-vous de la reconnaissance par Macron de la Palestine ?

Ça arrive très tardivement. Reconnaître un peuple, c’est refuser son génocide. Il faut qu’il ait son droit à exister, son droit à vivre. Si on reconnaît un État qui n’a plus de peuple, et c’est ce qui se passe, ça ne veut rien dire.

Que souhaitez-vous ajouter ?

Les gouvernements européens nous doivent le soutien, la protection et doivent dénoncer les actes de piraterie en eaux internationales. Le ministre de la défense israélienne nous a traités de terroristes alors que le seul pays terroriste qui a été condamné, c’est Israël. C’est ce pays qui se permet de bombarder des bateaux dans d’autres pays souverains et en eaux internationales. des bateaux qui portent de l’aide humanitaire. Je demande aux militants, à la population civile et au gouvernement de se mettre du côté de la justice, du côté du droit international et du côté de l’humanité.

Il y a des gens qui se demandent ce qu’ils peuvent faire. S’ils font 100 pas dans une manifestation ça a beaucoup d’importance. Rien n’est insignifiant. Il faut qu’on reste unis et qu’on continue le combat pour arrêter ce génocide.

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