« Schéma national des violences urbaines » : R.I.P la liberté d’informer
Le 31 juillet dernier, en catimini, le ministère de l’Intérieur a publié un document qui contient des mesures visant directement la presse et les journalistes. Faut-il rappeler que les journalistes ont le droit et le devoir d’informer, y compris et surtout en cas de « violences urbaines » ?

Cet été, pendant que vous profitiez du soleil, le ministère de l’Intérieur ne chômait pas. Nulle bouée gonflable dans la piscine ou apéro sur la plage : non, à Beauvau, on planchait sur le nouveau « schéma national des violences urbaines ». Le document a été publié le 31 juillet dernier, en catimini. Et il contient des mesures qui visent directement la presse et les journalistes.
Ce « guide pratique pour la gestion des violences urbaines », mis à disposition de la police en plein été, « a vocation à répondre à toutes les situations de violences urbaines, jusqu’aux émeutes insurrectionnelles, caractérisées par une très haute intensité », explique le texte. Mais il y a une phrase que l’on remarque particulièrement, en page 4. Une petite phrase qui ne concerne pas le métier de policier, non : elle concerne celui des journalistes. « La prise en compte du statut des journalistes telle que consacrée par le schéma national du maintien de l’ordre, ne trouve pas à s’appliquer dans un contexte de violences urbaines », apprend-on grâce à ce « schéma national ».
Une insulte, une provocation envers toute la profession
SNJ
Très concrètement, cela signifie que les forces de l’ordre n’ont pas à assurer la protection des journalistes, ni même à garantir leur présence, dans quelque lieu que ce soit si celui-ci devient le théâtre de « violences urbaines », sans plus de précisions. Les journalistes ne pourront tout simplement plus travailler dès lors que le « contexte de violences urbaines » sera décrété, et ne pourront donc pas couvrir lesdits événements.
Si ce « schéma national des violences urbaines » est passé inaperçu au mois d’août, c’est parce que Beauvau s’est bien gardé d’en parler à la presse, selon le Syndicat national des journalistes (SNJ), qui dénonce, dans un communiqué, « une attaque en règle contre la liberté d’informer et d’être informé ». La phrase sur le « statut des journalistes » qui ne s’appliquerait pas dans certaines situations est « une insulte, une provocation envers toute la profession », estime le SNJ.
Timing
Il faut dire que le timing d’une telle annonce ne paraît pas avoir été choisi par hasard. À seulement quelques semaines d’un mouvement de blocage et de révolte (prévu le 10 septembre) dont tout indiquait – déjà fin juillet – qu’il serait d’ampleur, voilà que le ministère de l’Intérieur explique à la police que celle-ci n’aura pas à « appliquer » le « statut des journalistes » si des « violences urbaines » venaient à se produire. Pratique !
« Il est indiqué noir sur blanc [dans le document, N.D.L.R.] qu’il est inutile de faire des sommations au préalable, partant du principe que la police intervient dans le cadre de la légitime défense, l’état de nécessité, la dissipation de l’attroupement et le code de la sécurité intérieure relatif à l’usage des armes par les policiers et les gendarmes. La mission de protection des citoyens et des territoires exclut pourtant la presse », note L’Humanité, le premier titre de presse à avoir alerté sur ce « schéma national ».
Déjà à l’époque du mouvement des gilets jaunes – et alors même que les manifestant·es subissaient une répression policière féroce – la majorité gouvernementale avait déposé une proposition de loi nommée « loi sécurité globale », qui souhaitait criminaliser l’acte de filmer et/ou diffuser l’image d’un·e policier·e « dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Des organisations avaient alors saisi le Conseil d’État, qui leur avait donné raison, rappelle le SNJ. Désormais, le ministère de l’Intérieur ne se cache même plus derrière le prétexte de protection de l’image des agent·es de police. Il souhaite purement et simplement bannir la presse des manifestations.
Le mouvement « Bloquons tout » du 10 septembre, relayé par de nombreux syndicats et partis, risque d’être largement suivi, d’autant plus qu’il interviendra deux jours après une possible chute du gouvernement Bayrou. Mais si les médias ne peuvent accéder aux blocages pour les couvrir, comment s’informer sur l’ampleur des mobilisations ? Comment s’assurer de la sécurité physique des personnes mobilisées sur un événement si celui-ci est considéré comme des « violences urbaines » par la police – la même police qui, chaque année depuis le premier mandat d’Emmanuel Macron, traite la manifestation du 1er-Mai comme un rendez-vous de casseurs ?
Il n’existe aucune « zone d’ombre » où la presse n’aurait pas le droit d’entrer. En démocratie, en tout cas.
Le SNJ vient de charger ses avocats de déposer en urgence une requête contre le Conseil d’État, et « appelle toutes les organisations attachées aux libertés fondamentales à le rejoindre dans cette procédure contre cette disposition du schéma national des violences urbaines ». Les SDJ de nombreux médias, choquées par ce qui n’est rien de moins qu’une attaque en règle contre la liberté de la presse, s’organisent actuellement pour riposter. Les journalistes ont le droit et le devoir d’informer, y compris et surtout en cas de « violences urbaines ». Il n’existe aucune « zone d’ombre » où la presse n’aurait pas le droit d’entrer. En démocratie, en tout cas.
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