À Paris, un conducteur percute deux personnes lors d’une manifestation de sans-papiers
Vendredi 10 octobre, un homme en voiture a percuté des manifestants lors d’une mobilisation organisée par un collectif de sans-papiers à Paris. Deux hommes ont été blessés et ont porté plainte. Malgré leurs témoignages, la police a retenu l’infraction de « blessures involontaires ».

© Lily Chavance
Vendredi 10 octobre, les « tapeurs » battent les tambours au rythme des slogans. Derrière eux, une petite centaine de personnes. Comme tous les vendredis, la Coordination de sans-papiers 75 (CSP 75) revendique la régularisation de tous les travailleurs sans-papiers, la liberté de circulation et d’installation, la dignité pour les personnes migrantes.
En fin de cortège, Yoro, un délégué de la CSP, assure, en plus de la police, la sécurité de la manifestation qui a lieu sur la demi-chaussée. Il est 17 heures passées, rue des filles du Calvaire, dans le IIIe arrondissement, quand il comprend qu’une Fiat noire se dirige vers le cortège.
Quand il est sorti, il a fait plusieurs tours de sa Fiat pour vérifier qu’il n’y avait rien sur la carrosserie.
La voiture a dépassé la file de véhicules qui avancent au ralenti derrière la manifestation. La voiture double également le camion de police et ne freine pas. « Je lui ai fait signe de s’arrêter en disant que c’était dangereux », nous explique Yoro. « Il m’a regardé dans les yeux, il a pas parlé et il a foncé sur moi », poursuit-il. « C’est là que j’ai sauté, et que j’ai frappé sur la vitre pour l’arrêter. »
L’homme percute un autre manifestant, Adama, lui écrasant le pied. « Il m’a dépassé et je suis tombé au sol suite à la douleur », déclare le lendemain Adama à la police, dans une plainte consultée par Politis. Pour que la Fiat s’arrête, il a fallu que la police arrive en courant et pointe son arme sur le conducteur en lui intimant de s’arrêter. « J’ai dit aux camarades “éloignez-vous” » se souvient Yoro. « Dans ma tête il n’allait pas s’arrêter et ils allaient tirer. »
Les deux hommes sont blessés. Les doigts de Yoro sont tordus et Adama, lui, a une vive douleur au pied. « Si mon pied est cassé, comment je vais travailler ? », interroge-t-il. Quand les pompiers débarquent, les deux hommes sont pris en charge et emmenés à l’hôpital Saint-Antoine. Les comptes rendus du passage aux urgences, consultés par Politis, indiquent qu’Adama boîte légèrement. Conclusion : « traumatisme du pied/écrasement ». Yoro lui, a une entorse au doigt, et 3 jours d’ITT (incapacité temporaire totale de travail).
« À aucun moment il n’a daigné nous regarder »
« Jusqu’à ce que les pompiers arrivent, le mec est resté dans sa voiture » se souvient une manifestante restée sur place. « Quand il est sorti, il a fait plusieurs tours de sa Fiat pour vérifier qu’il n’y avait rien sur la carrosserie », poursuit-elle, encore estomaquée. « Il touchait sa voiture mais à aucun moment il n’a daigné nous regarder. » Sur des photos que nous avons pu consulter, on voit l’homme, la soixantaine, échanger avec la police.
« On nous a rien expliqué », explique Mariama, une déléguée de la CSP 75. « La police n’a eu aucun mot pour nous rassurer, pour dire ce qu’ils allaient faire. C’est pas normal. » Après l’arrivée d’un renfort de police, la manifestation repart. En se retournant, plusieurs manifestants auraient vu l’homme remonter dans sa voiture pour faire demi-tour et repartir. A-t-il été convoqué au commissariat ? Sollicitée par Politis, la préfecture de police ne nous a pas répondu.
Si c’était un Noir ou un Arabe, il aurait été immédiatement menotté et aurait fini au commissariat ou au centre de rétention.
Yoro
C’est ce qui a le plus choqué Yoro. « Laisser partir le mec sans le menotter… Si c’était un Noir ou un Arabe, il aurait été immédiatement menotté et aurait fini au commissariat ou au centre de rétention. » Sylvie Dumanoir, une des avocates de la CSP partage cet étonnement : « La police aurait pu et dû immédiatement interpeller le conducteur pour flagrant délit. » « Et si les flics sont arrivés en courant et ont sorti une arme c’est bien que la situation n’était pas normale… », souffle une autre manifestante.
Le lendemain, Adama et Yoro vont porter plainte au commissariat du XIe arrondissement. « On manifeste pour exprimer nos droits, et un raciste qui n’est pas d’accord avec nous nous fonce dedans. Il doit assumer ce qu’il a fait, on ne va pas le laisser comme ça », assure Adama. Yoro affirme qu’en relisant la plainte avant d’en signer le PV, « il y avait bien écrit blessures volontaires. »
Ce n’est qu’en rentrant chez eux qu’ils se sont aperçus que leur plainte, dont ils avaient reçu une copie par courriel et que Politis a pu consulter, avait été enregistrée en tant que « blessures involontaires ». À 19 heures passées, il est trop tard pour revenir vers Paris et retourner au commissariat. « Leurs témoignages auraient dû suffire à retenir l’infraction de blessures volontaires », estime Sylvie Dumanoir, une des avocates de la CSP. « La police était présente et a bien vu que ce n’était pas une personne qui a perdu le contrôle de son véhicule. »
« La prochaine fois, ce sera un mort »
Au choc et à l’incompréhension provoquée par l’événement s’ajoutent les craintes liées au contexte politique. « Pour nous, c’est un raciste », réagit Mariama. « Il a foncé sur nous. Tu ne peux pas foncer sur des êtres humains, c’est pas possible. Nous ne voulons plus que ce genre d’actes arrivent », affirme Mariama. Ces derniers temps « ça arrive que des fachos nous jettent de l’eau ou des objets depuis les bâtiments », raconte Yoro. « Ou que la police laisse passer les motards. Un jour, une moto a renversé quelqu’un, mais jusque-là, il n’y avait pas eu de blessé », poursuit-il.
« Y a des incidents qui se succèdent, qu’on ne voyait pas avant. C’est de temps en temps mais on ne peut pas dire que ça n’arrive pas », ajoute une manifestante. Mariama se souvient d’un « vieux qui avait eu les pieds écrasés » il y a quelques années mais dont « la parole n’avait pu aller nulle part comme il n’avait pas ses papiers ».
Depuis quelque temps, la déléguée avait échangé à plusieurs reprises avec la police encadrant les manifestations, pour leur demander d’être plus vigilants quand des vélos ou des motards passaient à côté du cortège. « Et voilà, c’est arrivé », ajoute-t-elle. « Là c’était une petite voiture, et un jour ce sera un camion. » « Ça met la peur au ventre », confie Yoro. « Même quand on déclare nos manifestations, on n’est pas sûrs d’être protégés par la police. » « Les gens ont eu peur, franchement », ajoute Yoro. « La prochaine fois, ce sera un mort. »
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