Interpellations de sans-papiers : une « opération de communication » et « un racisme d’État »

Bruno Retailleau a annoncé une vaste opération de contrôle des personnes sans-papiers, jeudi 18 et vendredi 19 juin, pour « lutter contre l’immigration ». Entretien avec Denis Godard, cofondateur de la Marche des solidarités, qui appelle à la mobilisation.

Paul Hetté  • 18 juin 2025 abonné·es
Interpellations de sans-papiers : une « opération de communication » et « un racisme d’État »
Manifestation contre la loi Darmanin et pour la régularisation de travailleurs sans-papiers, à Paris, en mars 2023.
© Lily Chavance

La croisade anti-immigration de Retailleau continue. Il a lancé ce mercredi 18 juin une vaste opération de contrôle pendant deux jours, mobilisant 4 000 forces de l’ordre dans les gares et les bus pour contrôler les sans-papiers. « Les clandestins ne sont pas les bienvenus en France », a déclaré le ministre de l’Intérieur sur CNews. L’annonce est « une opération de communication », selon le cofondateur de la Marche des solidarités, Denis Godard, qui dénonce des « contrôles au faciès » et « un racisme d’État ».

Bruno Retailleau a annoncé la mobilisation de 4 000 forces de l’ordre pour une opération de contrôle de personnes sans papiers. Quel impact peut-elle avoir ?

Denis Godard : On n’a pas, à ce stade, de remontées particulières de collectifs de sans-papiers ou de jeunes mineurs. Cela peut vouloir dire qu’il n’y a pas plus d’interpellations que d’habitude. C’est surtout une opération de communication, l’objectif est de montrer que Bruno Retailleau est bien dans une logique d’attaque contre les migrant·es. Une logique, par ailleurs, raciste. Mais il ne cherche pas vraiment l’efficacité : sinon, il ne ferait pas d’annonces à coups de roulements de tambour dans les médias, notamment d’extrême droite comme CNews.

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Retailleau a annoncé qu’il ferait une synthèse de l’opération vendredi. Là où il peut y avoir des conséquences très concrètes – que l’on craint –, c’est que vont probablement avoir lieu des rafles policières dans des camps de migrant·es pour pouvoir afficher du chiffre – comme lors de la précédente opération, où 750 personnes avaient été interpellées.

Les opérations de contrôle et discours anti-immigration se sont multipliés ces derniers mois. Est-ce que vous ressentez une hausse de l’inquiétude chez les personnes sans papiers ?

L’inquiétude chez les personnes migrantes, régulières ou non, est montée au fil du durcissement du discours sur l’immigration. Il y a d’abord eu la loi Darmanin, qui a fait passer l’argumentaire anti-immigration de « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » à « les immigré·es sont dangereux·ses ». La circulaire Retailleau, de son côté, voulait faire passer le message qu’il ne fallait plus faire de régularisations, en fermant par exemple les guichets des préfectures. Retailleau s’est même félicité d’une baisse des régularisations.

Son discours qui dit que les migrant·es vivent au crochet de la société est complètement faux et raciste.

Son discours qui dit que les migrant·es vivent au crochet de la société est complètement faux et raciste. La réalité, c’est que l’énorme majorité des sans-papiers survivent parce qu’ils et elles travaillent dans des conditions d’exploitation très fortes, ce qui constitue un bénéfice net pour la société.

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Pourtant, ce sont ces discours-là qui inquiètent les sans-papiers, les migrant·es, les jeunes. Pour eux l’horizon est complètement bouché, et on constate une amplification des menaces d’arrestation et d’expulsion. L’opération est surtout faite en direction des Français·es qui ont des papiers, pour montrer que le gouvernement – et notamment Retailleau – est à l’action sur ce sujet.

Comment faire face à cette intensification de la répression des sans-papiers ?

Les premiers messages qui ont circulé dans les collectifs après l’annonce de cette opération, c’était « ne sortez pas ». C’est pourtant impossible pour la plupart des sans-papiers, dont l’énorme majorité travaille. Notre message, c’est donc d’abord d’informer et de conseiller les sans-papiers de ne pas voyager seul ou sans titre de transport, mais aussi de s’adresser à tous·tes celles et ceux qui ont des papiers, pour leur dire qu’il va falloir s’opposer aux contrôles abusifs et aux arrestations.

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Ce qui est le plus problématique, c’est que toutes ces arrestations deviennent normales.

On peut comparer notre volonté d’opposition à celle des Américain·es à Los Angeles, qui s’organisent pour aider les sans-papiers. Par exemple, des gens vont faire les courses et les apportent aux sans-papiers pour éviter qu’ils ne sortent. Idem pour les soins. Il faut porter cette organisation en France, à toutes les échelles, par des mobilisations. Car ce qui est le plus problématique, c’est que toutes ces arrestations deviennent normales. Ces opérations de masse sont en fait des opérations de contrôle au faciès légaux qui constituent un racisme d’État, car on sait très bien que l’on va arrêter les Noir·es et les Arabes plutôt que les Blancs.

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