À Madagascar, après la destitution du président, les nouveaux défis de la Gen Z
La destitution du président Andry Rajoelina a été célébrée comme une victoire par le mouvement Gen Z Madagascar ce mardi. Mais un nouveau combat se présente à la jeunesse après la prise de pouvoir par des militaires et le risque de phagocytage de la lutte.

© Luis TATO / AFP
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Gen Z : l’internationale contestataire GenZ 212 : la jeunesse marocaine en révolte« Tout reste à faire », reconnaît Elliot Randriamandrato, l’un des porte-parole du mouvement Génération Z Madagascar (Gen Z) (1). Les scènes de liesse populaire ont laissé place aux interrogations sur la place du 13 Mai, symbole de la démocratie à Antananarivo, la capitale.
La « génération Z » désigne les personnes nées entre la fin des années 1990 et le début des années 2010.
Mardi 14 octobre, la jeunesse malagasy s’est réjouie de la destitution du président Andry Rajoelina après un vote de l’Assemblée nationale. Mais l’annonce de la prise de pouvoir quasi simultanée par des militaires, devant le palais présidentiel du centre-ville de la capitale, a plongé le pays dans l’incertitude.
Nous utilisons dans cet article le mot « malagasy » pour désigner les habitants et habitantes de Madagascar, le terme « malgache » étant la version francisée de celui-ci, et considéré à ce titre par les concerné.es comme ressortant d’un lexique de colonisation.
Investi président de la République vendredi par la Haute Cour Constitutionnelle (HCC), le colonel Michael Randrianirina, figure du ralliement de l’unité militaire du Capsat (Corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques) aux manifestant·es, s’impose comme un acteur clé du nouveau jeu politique qui a débuté avec la chute d’Andry Rajoelina.
Cet ex-président désormais en exil aurait bénéficié de l’aide de la France pour être exfiltré à bord d’un avion militaire de l’armée française à la Réunion, avant de se réfugier à Dubaï, selon RFI. Cette aide n’a pas été infirmée ni confirmée par Emmanuel Macron, qui a demandé un respect de la « continuité constitutionnelle ».
Le nouveau chef de l’État a annoncé la constitution d’un gouvernement civil dans les prochains jours.
Ce soutien passe mal auprès du porte-parole de la Gen Z : « Il n’y a eu que la France qui s’est permis d’entrer dans les affaires du pays en exfiltrant Rajoelina, mais aussi en prenant position en sa faveur comme l’a fait le président Emmanuel Macron. »
« Ce n’est pas un coup d’État »
Le nouveau chef de l’État a annoncé la constitution d’un gouvernement civil dans les prochains jours, sous la direction d’un Conseil de défense nationale de transition, avant la tenue d’élections d’ici à deux ans. Dans un communiqué, le président destitué a dénoncé des « violations constitutionnelles », semblant oublier le putsch de 2009, grâce auquel il avait pris le pouvoir avec le soutien de ce même Capsat.
« Le Capsat reste un organisme qui, par le passé, a défendu un système qui a mis à mal le peuple », rappelle Audrey Randriamandrato, militante de la Gen Z au sein de la diaspora. Le nouveau président Michael Randrianirina a réfuté le terme de « coup d’État » qui pourrait exposer la Grande Île à des sanctions internationales et priver le pays d’une aide vitale.
Ce basculement politique n’est pas du goût de l’Union africaine qui a suspendu Madagascar de ses institutions « avec effet immédiat » mercredi. La Grande Île rejoint ainsi le Burkina Faso, la Guinée et le Mali, tous suspendus à la suite d’un coup d’État militaire.
Certains craignent que les politiques et les militaires profitent de la situation pour récupérer des postes.
« Ce n’est pas un coup d’État dans la mesure où le président a été destitué par l’Assemblée nationale. Ensuite, la vacance a été validée par la HCC, donc la constitutionnalité est respectée », estime le porte-parole de la Gen Z, espérant que la jeunesse malagasy aura son mot à dire lors de cette période de transition.
Un risque de récupération politique
Certains craignent que les politiques et les militaires profitent de la situation pour récupérer des postes et « pérenniser un système qui existe déjà », poursuit l’une des voix du collectif. « Dans une société patriarcale et gérontocratique comme à Madagascar, vous avez un certain nombre de groupes d’aînés à l’affût. Il y a un risque très grand que la normalisation se fasse aux dépens de la jeunesse, comme elle s’est faite plusieurs fois dans l’histoire, à l’image de la révolte étudiante de 1972 », prévient Solofo Randrianja, historien à l’université de Toamasina.
Ce schéma, récurrent lors des crises politiques que Madagascar a traversées (en 1972, 1991, 2002 et 2009), a permis à des élites politiques et économiques de s’approprier le pouvoir, tandis que la population malagasy s’est appauvrie – 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale.
Depuis le 25 septembre, le mouvement Gen Z, né sur les réseaux sociaux, manifeste dans les rues des grandes villes pour dénoncer les coupures d’eau et d’électricité. Il a ensuite étendu ses revendications à la corruption et aux dérives autoritaires d’Andry Rajoelina, de retour au pouvoir depuis 2018.
La génération Z constate, année après année, un accaparement des richesses et une corruption généralisée.
« Les villes sont les seuls lieux où on peut construire une sociabilité avec des solidarités horizontales, comme la Gen Z, à travers l’anonymat de l’écran. Là, vous pouvez défier les parents, exprimer votre homosexualité, des choses qui ne sont pas permises dans la vie courante », analyse l’historien.
Ce mouvement, inspiré des soulèvements populaires en Asie, s’est produit dans un contexte socio-économique délétère. Dans ce pays où près de deux tiers de la population a moins de 25 ans, la génération Z constate, année après année, un accaparement des richesses et une corruption généralisée. Elle a peu de perspectives d’avenir – Madagascar se classe 140e sur 180 à l’indice de la perception de la corruption de Transparency International.
Face à cette crise, la jeunesse a demandé des solutions aux dirigeants, mais elle s’est heurtée à une violente répression de la gendarmerie – plus d’une vingtaine de morts, d’après l’ONU. « On a vu dans certaines manifestations qu’ils utilisaient des balles réelles, explique Audrey Randriamandrato. Il y a aussi des gendarmes qui ont jeté des lacrymogènes sur des hôpitaux. »
Des revendications communes
Pour assurer leur sécurité, les manifestant·es se sont organisés clandestinement. « Au début, nous faisions des réunions secrètes, sur des plateformes, avec des pseudos », confie Marc, 31 ans, qui a quitté sa « faction » quelques jours après le début de la contestation. « J’ai pris mes distances quand certaines personnes se sont mises à jeter des pierres sur les forces de l’ordre, parce que je voulais manifester pacifiquement, et ne pas répondre à la violence par la violence », poursuit le trentenaire, soulagé du départ d’Andry Rajoelina.
Mais la période qui s’ouvre rebat les cartes et les fantômes de 2009 refont surface. À ce moment-là, l’ancien maire de la capitale avait été nommé chef de la transition. Il avait assuré que des élections seraient organisées « dans un délai de deux ans ». Une promesse non tenue, puisqu’il est resté en poste jusqu’en 2013 avant de céder sa place.
La GenZ veut éviter un scénario similaire. Ce jeudi, le mouvement a partagé les neuf principes de sa feuille de route et a annoncé, dans un communiqué, reprendre « son autonomie complète ». Elle entame une mutation avec un nouveau défi de taille : transformer un mouvement social horizontal en une organisation sociale capable d’imposer des revendications communes à ses aînés.
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