Entassés dans des containers, 50 détenus de Kanaky gagnent au tribunal

Une semaine après l’entrée à la prison de la Santé de Nicolas Sarkozy, une autre réalité carcérale a surgi, ce mardi 28 octobre. Saisi en urgence par 50 détenus du principal centre pénitentiaire en Kanaky/Nouvelle-Calédonie, le tribunal administratif a reconnu des conditions de détention indignes.

Hugo Boursier  • 28 octobre 2025 abonné·es
Entassés dans des containers, 50 détenus de Kanaky gagnent au tribunal
Une cellule de la prison de Nouméa

Contrairement aux incessantes éditions spéciales durant lesquelles les soutiens de Nicolas Sarkozy se succèdent pour pleurer ses conditions de détention, celles des détenus de Camp-Est, le principal centre pénitentiaire en Kanaky/Nouvelle-Calédonie ne font que trop rarement l’ouverture des journaux. Et ce, malgré deux rapports extrêmement alarmants du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en 2011 et 2019, un passage par la Cour européenne des droits de l’homme en 2020, et une condamnation de l’État par le Conseil d’État en 2023 pour des travaux urgents et non réalisés.

Cette situation honteuse, et connue depuis plusieurs décennies par l’administration pénitentiaire et la justice, a été à nouveau dénoncée, cette fois-ci par les détenus eux-mêmes. Dans un référé liberté examiné mercredi 22 octobre et dont l’ordonnance du juge a été rendue ce 28 octobre, pas moins de 50 détenus attaquaient l’État pour leurs déplorables conditions de détention. Dans l’ordonnance, que Politis a pu consulter, le tribunal administratif reconnaît bien « l’indignité » du quotidien carcéral des personnes vivant au Camp-Est.

Camp-Est ne parvient pas à se détacher de son histoire coloniale, à savoir la privation de liberté de détenus, très majoritairement kanaks.

Dans le détail, le juge enjoint l’administration pénitentiaire « à prendre toutes les mesures » qui pourraient « améliorer les conditions matérielles d’installation des détenus dormant sur des matelas posés à même le sol », à lutter contre l’invasion incessante des nuisibles et des rats et à installer des rideaux pour séparer le « bloc sanitaire », la douche et les toilettes, du reste de la cellule.

« Les témoignages précis et concordants des détenus ont convaincu le président du tribunal administratif. L’union des détenus a fait la force. C’était l’objectif de cette procédure hors-norme », s’enthousiasme l’avocat des requérants, Me Charly Salkazanov. Toutefois, en prenant en compte certains travaux engagés par la direction de Camp-Est, ou en estimant que certaines demandes n’étaient pas de son ressort, le juge n’a pas retenu toutes les requêtes des détenus. C’est le cas, par exemple, de la lutte contre la surpopulation – de 139 % à Nouméa, soit 550 personnes pour 397 places – dont « les mises sous écrou relèvent exclusivement de l’autorité judiciaire ».

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En dépit de toutes ces alertes administratives, judiciaires et civiles, Camp-Est ne parvient pas à se détacher de son histoire coloniale : à savoir la privation de liberté de détenus, très majoritairement kanaks, dans des conditions que la métropole, à 17 000 km de là, préfère ignorer. Politis a pu accéder aux résultats des questionnaires transmis aux prisonniers. Ce sont ceux qui ont permis au juge de forger son ordonnance. La réalité des cellules, du manque d’hygiène, de l’accès au soin et de l’absence de contacts avec l’extérieur y est décrite, page après page.

« Cette détention est indigne »

Si Camp-Est n’est pas le seul centre pénitentiaire français à infliger un quotidien désastreux à ses détenus, il présente toutefois cette particularité : une très grande partie des cellules sont des containers maritimes, à l’image de ceux utilisés pour transporter des marchandises. Les fenêtres sont toutes striées par des barreaux et des grillages sous forme de caillebotis qui restreignent considérablement le passage de la lumière naturelle. Mis à part la présence d’un ou de deux lits superposés, les containers ne sont ni aménagés ni isolés. « C’est du métal partout », décrit Charles, un ancien détenu de 59 ans qui porte la voix des résidents de Camp-Est.

« Cette détention est indigne », avec « des conditions atroces sur l’hygiène et de salubrité dans les cellules », déplore une personne écrouée dans son questionnaire. Elle n’a rien connu d’autre que le container depuis octobre 2024. La totalité des témoignages consultés décrivent une surpopulation critique, obligeant des détenus à dormir sur des matelas à même le sol. Quand on enlève l’emprise des lits, de la table et des toilettes, les personnes incarcérées ont chacune maximum 1 mètre carré de disponible, parfois moins.

« On ne peut pas bien se déplacer avec les matelas par terre et il n’y a pas assez d’espace », explique l’une d’entre elles. Dans le container prévu pour deux, l’homme est entassé avec quatre autres détenus. « Je dormais juste à côté des toilettes et douche, je vous dis que les odeurs sont écœurantes », décrit-il. Bouchés ou dégradés, les W.-C sont presque tous dépourvus de cloisons. Un drap ou des vêtements sont parfois disposés pour espérer ne pas être vu dans son intimité.

Les parloirs avec les avocats sont dans une cellule. C’est comme une cage à poules !

En plus des murs tagués, la douche et les toilettes rouillées, et des matelas par terre, les détenus doivent faire face aux rongeurs et aux insectes nuisibles. Il est rejoint par un autre : « Tous les jours, il y a les fourmis, les rats et les cafards, ils rentrent par les évacuations la douche et du lavabo et des trous des containers maritimes. » « On avait même attrapé deux petites souris et montré au gardien », précise un détenu, ajoutant qu’il y a « beaucoup de cafards dans la nuit, ils sont même sur toi à plusieurs ».

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Camp-Est ronge les corps

De nombreux récits évoquent des infections et des maladies provoquées par les conditions de détention. Camp-Est ronge les corps. « J’ai attrapé des maladies pendant mon incarcération, et j’ai subi une opération au niveau des parties intimes. Maître, une cicatrice, ça reste à vie », déplore l’un d’entre eux à son avocat dans une correspondance consultée. Un autre, qui dort « à même le sol », décrit : « J’ai chopé plein de furoncles, des tâches, des éruptions cutanées, avec plein de petits boutons sur le corps. Maintenant, ma peau est complètement abîmée. »

Un autre détenu évoque « des problèmes de santé tout au long de [son] incarcération, problème de santé qui aurait pu causer une mort (pneumothorax) ». Sur plusieurs dizaines de lignes, un prisonnier raconte avoir attrapé la tuberculose. Il prend désormais des médicaments « deux fois par jour pendant 90 jours ». « Je suis abattu psychologiquement et mentalement. Je suis entré au centre pénitentiaire de Nouméa en pleine forme physique et mentale. Et pourquoi je dois subir et souffrir de toutes les carences médicales et judiciaires ? », interroge-t-il, avant d’évoquer sa « culpabilité », craignant d’avoir contaminé ses enfants et ses parents âgés lors des parloirs.

D’après les observations de l’ethnologue Chantal Deltenre (1), citée dans Mediapart en 2024, les tentatives de suicide rythment le quotidien du centre pénitentiaire. L’autrice évoque « trente suicides pendant les treize dernières années ». Dans les témoignages reçus, un détenu évoque « beaucoup de stress, avec de l’angoisse, même des pensées suicidaires » aggravées par la surpopulation.

Je suis entré au centre pénitentiaire en pleine forme physique et mentale. Pourquoi je dois subir et souffrir de toutes les carences médicales et judiciaires ?

Alors que plusieurs personnes interrogées se plaignent de l’attente, parfois longue de plusieurs semaines, avant de pouvoir voir un médecin, d’autres font part de leur surprise devant des ordonnances d’anxiolytique, comme du Seresta, qui s’étalent sur 300 jours. Une durée interdite, les autorités médicales limitant à 12 semaines la durée de validité maximale de ce type de médicament.

Rapport du CGLPL, 2019

« Ils en ont marre des détenus qui braillent du matin au soir pour se plaindre de leur quotidien. Donc la prison les calme comme ça », estime Charles. Dans son ordonnance, le juge précise que « les prescriptions médicales ne sauraient relever de la responsabilité de l’administration pénitentiaire ». Charles précise aussi que certains prisonniers prennent leur traitement en les écrasant pour pouvoir les fumer avec du tabac. « Ils sont dans les vapes, comme ça. »

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En cellule, 23 heures sur 24

En se basant sur les témoignages et les parloirs qu’il a pu obtenir, Me Salkazanov constate que les détenus de Camp-Est disposent d’une heure de promenade par jour, seulement. « Rien n’est fait pour la réinsertion. Il y a une carence d’accès aux formations, à l’éducation et au travail », déplore-t-il. « Sur les 50 personnes qui ont engagé une procédure, une a pu s’inscrire à l’activité guitare, et l’autre pour du travail. Tout le reste est sur liste d’attente et n’a jamais de nouvelles. » Une situation que qu’évoquait déjà le CGLPL en 2019.

Les parloirs sont rares et sont organisés dans d’autres containers, en la présence d’un gardien. « Il reste là et dit qu’il faut pas s’enlacer. Les parloirs avec les avocats sont, eux, dans une cellule. C’est comme une cage à poules », décrit Charles.

Dans la revue de l’Observatoire international des prisons (OIP), Dedans Dehors, d’avril 2025, Steve*, un homme incarcéré écrivait : « Ici, les conditions sont contraires à la dignité humaine car ce n’est pas un lieu propre et vivable. » Il terminait ainsi : « On nous entasse comme du bétail. »

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