Frontière franco-espagnole : sept solidaires sur le banc des accusés
Mardi 7 octobre, un procès particulier s’est tenu au tribunal judiciaire de Bayonne. Sept personnes sont inculpées pour « aide à l’entrée et au séjour de personnes en situation irrégulière » en « bande organisée ». Mais ce procès revêt un caractère politique : les prévenus ne sont pas des passeurs, ce sont des solidaires.

© Gaizka IROZ / AFP
J’accuse. « J’accuse les politiques migratoires assassines. » Cette phrase est prononcée lors du procès de sept militants basques à Bayonne le 7 octobre dernier par l’un des inculpés : Eñaut Aramendi. Ils sont mis en examen pour avoir aidé 36 migrants au passage de la frontière franco-espagnole lors de la Korrika en 2024, célèbre course à pied locale. Le procès est doublement politique.
Pour Eñaut, c’est un pas de plus vers la criminalisation des solidaires. Et bien sûr des migrants, « qu’il ne faut pas oublier », rappelle-t-il. L’homme, d’une cinquantaine d’années, a vu la pression sur les aidants augmenter depuis 2018, une façon selon lui de les intimider. « Moi j’ai été arrêté trois fois en présence de migrants dans ma voiture. »
La première fois, les personnes exilées ont simplement dû descendre de la voiture. La deuxième fois, il affirme avoir été victime d’un piège. Les policiers auraient attendu que des personnes exilées montent dans sa voiture pour l’arrêter. Puis, la répression est montée d’un cran avec les premières gardes à vue.
« J’ai été arrêté en 2022 et ensuite il y a eu une enquête ouverte contre Fernand, un autre des inculpés, et d’autres militants, avec filature, écoutes téléphoniques, perquisitions, etc. » Cette enquête avait abouti à un non-lieu pour Fernand. En 2023, Amnesty International soulignait déjà dans un rapport les entraves à la solidarité au Pays basque, ainsi que l’augmentation des contrôles, notamment au faciès.
Renverser la charge accusatoire
Le procès s’inscrit dans cette « suite logique » de criminalisation. Mais rien ne peut entacher l’engagement des militants. Les sept prévenus – des employés, retraités ou encore syndicalistes – ont décidé de renverser la charge : ils accusent, eux, l’Europe forteresse et le racisme systémique. « On doit continuer à marteler que personne n’est illégal, qu’on a tous droit à des papiers et à une vie digne », s’insurge Eñaut Aramendi, la matinée de son procès, exaspéré par les politiques migratoires.
En 2023, Amnesty International soulignait déjà dans un rapport les entraves à la solidarité au Pays basque.
Durant l’audience, après avoir demandé à répondre aux questions en basque, aucun n’aborde le fond de l’affaire. Chacun leur tour, les six prévenus – l’un d’eux étant absent – ont profité de leur passage à la barre pour transformer leur défense en tribune politique. « Ce dont il s’agit ici, c’est la solidarité. Et la solidarité est un devoir », fustige Dominique Daguerre, prévenue âgée de 73 ans. « Le Pays basque est une terre de passage et d’accueil », lance Argitxu Dufau, 32 ans.
La défense de six des prévenus était assurée par trois mêmes avocates : Maritxu Paulus Basurko, Ilzaki Ortego et Laurence Hardouin. Avant d’aborder le fond, elles ont tenté de renvoyer l’affaire devant la Cour européenne de justice grâce à une question préliminaire : admettons qu’ils aient bien aidé au passage d’une frontière située au sein de l’espace Schengen, cela constitue-t-il un délit ? La cour de Bayonne a tranché : l’affaire sera bien jugée ce jour.
« Une façon d’obliger l’État à se positionner »
Dans la loi française, faciliter ou tenter de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en bande organisée est passible de 10 ans d’emprisonnement et 250 000 euros d’amendes. Pour autant, sont exemptées « toutes personnes physique ou morale lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte […] ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire ».
Sur le fond, le dossier est mince. En réalité, il n’y a qu’une seule pièce : une vidéo de revendication réalisée en langue basque par une vingtaine d’organisations. L’enquête – ouverte à la demande du préfet – décrit également les inculpés dans la vidéo comme ayant « discuté avec des personnes de type africain » et montrant des images Google Maps ou encore devant le local Pausa, un centre d’accueil à Bayonne. Mais ont-ils traversé la frontière ou ont-ils aidé à partir de celle-ci ?
C’est important symboliquement car de plus en plus d’aidants sont accusés à tort. On s’attaque aux personnes qui pallient les manques de l’État.
Elsa
Ce parcours depuis la frontière, ils le font quasi quotidiennement avec plusieurs bénévoles pour permettre aux arrivants de se rendre en toute sécurité à Pausa, située à près de 40 kilomètres de là. « C’est toute l’hypocrisie du système : il y a un centre d’accueil public, mais il est à Bayonne et non à la frontière. Donc il faut réussir à y aller ! », martèle Barthélémy Mottay, l’un des porte-parole du collectif J’accuse, créé en soutien aux 7 accusés. « Cette revendication était une façon aussi d’obliger l’État à se positionner. »
La procureure prononce ses réquisitions : entre 1 000 et 1 500 euros d’amende, assorties d’un sursis pour celles et ceux qui ne sont pas en récidive. Il est clair, selon elle, que les inculpés n’ont bénéficié d’aucune contrepartie financière. À la sortie du tribunal après plus de trois heures d’audience, les avocates se disent confiantes. Elles espèrent obtenir le 16 décembre, date du délibéré, la relaxe de leurs clients. Les prévenus, eux, sortent sous les applaudissements.
5 000 auto-incriminations
Il faut dire qu’ils ont obtenu du soutien. Dehors, sur le parvis du tribunal ce jour-là, ils sont près de 300 à soutenir les militant·es. Les langues se mélangent, on y entend du français, de l’espagnol et bien sûr du basque. Elsa, membre de l’association Etorkinekin Diakité, scotche des affiches J’accuse. Elle est venue de Bordeaux pour l’occasion. « C’est important symboliquement car de plus en plus d’aidants sont accusés à tort. On s’attaque aux personnes qui pallient les manques de l’État », s’indigne la jeune femme.
Une forte mobilisation qui se traduit aussi par le nombre d’organisations de soutien : elles sont plus de 80 au sein de J’accuse. Près de 5 000 auto-incriminations ont également été enregistrées. La semaine précédant le procès, 17 élus locaux avaient rédigé un manifeste. « C’est la frontière entre deux États de l’UE, entre le Royaume d’Espagne et la République française. Et c’est quand même extraordinaire qu’au XXIe siècle, il y ait des hommes, des femmes qui perdent leur vie en franchissant ces frontières-là », expliquait Antton Curutcharry, maire de Saint-Étienne-de-Baïgorry, commune frontalière. Depuis 2018, neuf personnes au moins sont mortes à la frontière franco-espagnole.
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