Cohabitation : le pari risqué des socialistes avec la Macronie

Olivier Faure et les siens sont persuadés qu’une expérience au pouvoir pourrait leur permettre de prendre le leadership de la gauche pour la prochaine présidentielle. Mais la manœuvre politique est très risquée.

Lucas Sarafian  • 9 octobre 2025 abonné·es
Cohabitation : le pari risqué des socialistes avec la Macronie
Olivier Faure, le 7 juillet 2024, à la Bellevilloise, à Paris, au soir du second tour des législatives anticipées.
© Maxime Sirvins

En colère. En regardant l’interview de Sébastien Lecornu au JT de France 2 ce 8 octobre, un membre de la direction du Parti socialiste (PS), lâche : « Il fait ce qu’il peut mais, au bout d’un moment, le “C’est pas moi qui vais dire ou faire parce que j’ai démissionné”, c’est un peu pénible. Que Macron parle et décide vite. Et le seul choix pour ne pas se jeter dans la falaise, c’est un premier ministre de gauche. » Depuis des semaines, les socialistes revendiquent Matignon. Et jamais ils n’ont été aussi proches d’accéder au pouvoir. Mais depuis des semaines, la même histoire se répète. Inlassablement. Emmanuel Macron et la Macronie font tout pour empêcher une cohabitation.

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Pour le président, il n’est pas question de nommer un premier ministre qui remettrait en cause sa politique de l’offre et sa réforme des retraites. Ce serait se renier. Après la chute de Michel Barnier et de François Bayrou, le chef de l’État a choisi l’un de ses derniers fidèles. Pendant des jours, les socialistes, unis derrière le premier des siens, Olivier Faure, avaient fait campagne pour prendre le gouvernement. Avec un plan et des chiffres : 26,9 milliards de recettes nouvelles, 14 milliards d’économies, 19,2 milliards d’investissements.

On affiche notre disponibilité pour endosser la responsabilité.

J. Guedj

Dans la classe politique, le nom du premier secrétaire du parti au poing et à la rose s’installe alors. « Ça se resserre autour d’Olivier Faure. Il apparaît comme fédérateur, il est en train de passer un cap, estimait début septembre Luc Broussy, président du conseil national du PS. Ça se joue entre lui ou un macroniste. » Raté. Après l’échec du conclave sur les retraites, les socialistes se sont encore fait avoir. 

Fenêtre de tir

Car le 9 septembre, Emmanuel Macron se rabat sur Sébastien Lecornu. Pendant 26 jours, le premier ministre consulte, discute, réfléchit. Les socialistes retournent à Matignon pour tenter de faire respecter la promesse de « ruptures » de ce nouveau chef de gouvernement. Pas question de faire la politique de la chaise vide. Devant Lecornu, ils ne se satisfont pas de l’abandon du 49.3. Ils demandent que le débat sur la réforme des retraites ait lieu au Parlement et qu’une taxe sur les ultra-riches soit intégré au prochain budget. Le premier ministre écoute mais campe sur sa position.

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Le 6 octobre, 13 heures après la nomination de son gouvernement, il démissionne. Les socialistes voient une nouvelle fenêtre de tir. Leur rêve d’accéder à Matignon pourrait bien se réaliser. « Il y en a qui sont obsédés par la dissolution voire par la destitution. Nous on va essayer de trouver une solution pour le pays pour répondre aux attentes des Français, annonce alors le député Jérôme Guedj. On affiche notre disponibilité pour endosser la responsabilité. N’allons pas plus vite que la musique, ce que fait souvent Jean-Luc Mélenchon. »

Pierre Jouvet, secrétaire général du PS, l’assure : « Priorité doit être donnée à la gauche et aux écologistes pour gouverner ce pays et proposer une alternative politique forte. »

Responsabilités

Mais la Macronie ne veut pas donner la main à la gauche. Hors de question. Sébastien Lecornu est renommé négociateur pour 48 heures. Le cirque continue. Les socialistes retournent le 8 octobre rue de Varenne pour un énième round de négociations. Mais quelque chose a changé : Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale démissionnaire, admet que la réforme des retraites, celle qu’elle a elle-même portée, pourrait être suspendue.

Il faut arrêter maintenant. Il faut retourner aux urnes.

J. Kienzlen

À la sortie de ce rendez-vous ayant duré une heure et demi, Olivier Faure lance : « Nous n’avons aucune assurance sur la réalité de cette suspension. Elle a été évoquée par la seule ministre de l’Éducation, Elisabeth Borne. Mais personne à ce stade ne garantit le fait que ce sera le cas. » Sébastien Lecornu n’a rien dit. Une nouvelle fois. Et devant le mur, les socialistes gardent leur ligne. « Nous avons dit notre disponibilité pour exercer les responsabilités et pour engager un changement de cap politique », affirme le patron des députés socialistes Boris Vallaud.

Les roses en sont convaincues : leur moment est peut-être venu. « Il faut arrêter maintenant. Il faut retourner aux urnes. Est-ce qu’il démissionne ? Est-ce qu’il dissout ? Ou est-ce qu’il appelle enfin la gauche ? Ce serait le sens des institutions. Mais avec lui, il n’y a plus de règle, il désorganise tout », considère Jonathan Kienzlen, membre de la direction du PS.

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Dans l’idéal, les socialistes voudraient gouverner avec les écologistes, les communistes, les ex-insoumis et Place publique. Certains imaginent une équipe resserrée avec une méthode : ne pas utiliser le 49.3 et tenter de trouver des majorités au Parlement texte par texte.

« Personne ne sait ce qui va se passer »

Mais si Olivier Faure atterrit à Matignon, plusieurs problèmes se poseraient devant lui. Est-il possible de gouverner en refusant de parler au bloc central ? Sur Franceinfo, Olivier Faure a laissé entendre que, dans un gouvernement de gauche, Jean-Noël Barrot et Sébastien Lecornu pourraient être ministres des Affaires étrangères et des Armées, les domaines réservés du président. Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise (LFI) s’étranglent. « Quand le charabia du PS à la sortie de Matignon s’approprie la gauche. De quel droit ?, raille Jean-Luc Mélenchon dans une note de blog. LFI N’a rien à voir avec cette mauvaise comédie. »

Rétropédalage quelques heures plus tard à la sortie de Matignon. Devant la presse, Olivier Faure tient à « couper court à toutes les élucubrations d’un gouvernement commun avec la Macronie : c’est inimaginable. » Les socialistes se montrent clairs sur leur méthode : au gouvernement, ils présenteront leurs orientations et laisseront faire le débat au Parlement. Non, ils ne veulent pas multiplier les compromis avec les macronistes. Au centre et à droite, cette ligne de conduite semble risible : pourquoi laisser un parti qui représente moins de 70 députés à l’Assemblée revendiquer tout le pouvoir ?

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Autre problème : comment gérer les insoumis ? Les socialistes voudraient que les mélenchonistes soutiennent leur gouvernement sans y participer. « Ils ne veulent pas gouverner, évacue Jonathan Kienzlen. On part du principe qu’ils ne vont pas censurer un gouvernement qui défend des orientations de gauche sur le pouvoir d’achat, la fiscalité… Mais personne ne sait ce qui va se passer. »

« Reprendre de la crédibilité »

Les roses veulent donc se mouiller. Mais pourquoi s’obstiner à vouloir gouverner face à une Assemblée découpée en trois blocs et une Macronie qui préférera toujours tendre la main à l’extrême droite ? La stratégie semble risquée. À moins de tomber dans une politique libérale, un gouvernement socialiste pourrait ne durer que quelques jours au regard de la difficulté du bloc central à céder sur ses totems.

Le pays a besoin de la gauche aujourd’hui. Et un beau bilan peut-être atteint en quelques mois.

P. Kanner

« On sait gouverner. Le pays a besoin de la gauche aujourd’hui. Et un beau bilan peut-être atteint en quelques mois, promettait Patrick Kanner, le chef de file des sénateurs socialistes à la fin du mois d’août. On est peut-être en train de reprendre de la crédibilité aujourd’hui. » Si les socialistes ne veulent pas s’embarquer dans une nouvelle dissolution qui pourrait bien leur être défavorable, ils pensent aussi qu’une expérience au pouvoir pourrait leur permettre de prendre le leadership de la gauche en vue de la prochaine présidentielle.

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Mais attention à ne pas s’isoler. Car cette stratégie de responsabilisation n’est pas partagée par tous. Peu à peu, les Écologistes se rapprochent des insoumis. Quelques minutes avant la prise de parole de Sébastien Lecornu au JT de France 2, Marine Tondelier et les Verts diffusent un court communiqué. « Si, une nouvelle fois, le président venait à refuser le résultat des urnes, il devra partir », écrivent les écolos. Devant le blocage politique, Marine Tondelier et les siens expriment des envies de destitution. Et dans leur couloir de nage, les socialistes pourraient bien se retrouver esseulés. Gare à ne pas se couper du reste de la gauche.

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