Pousser les murs de la Sécu

Créé pour sécuriser les travailleurs, notre modèle de protection sociale n’a cessé de s’élargir à de nouveaux besoins. Trois pistes pour poursuivre le mouvement à l’aune des enjeux d’aujourd’hui.

Caroline Baude  et  Pierre Jequier-Zalc  • 1 octobre 2025 abonné·es
Pousser les murs de la Sécu
© Kelly Sikkema / Unsplash

Ce sont deux visions du monde qui s’opposent. Celle de l’individualisme, qui fait peser les risques sociaux sur la responsabilité de chacun. Et celle de la solidarité collective, qui cherche à socialiser les risques. D’un côté, la loi du marché et du plus fort. De l’autre, la Sécurité sociale. En 1945, le Parti communiste français, les organisations syndicales et les parlementaires du pays ont décidé de prendre la seconde option. Celle de la société, du collectif, du commun.

Quatre-vingts ans plus tard, la bataille entre ces deux visions du monde demeure particulièrement virulente, alors que le néolibéralisme a largement entamé « la Sociale », pour reprendre les termes de l’économiste Nicolas Da Silva. Malgré tout, alors que le modèle néolibéral est en crise, de plus en plus de voix prônent un renforcement et un élargissement de la protection sociale française. Pour mieux prendre en compte les nouveaux risques sociaux et environnementaux du XXIe siècle.

1- Mieux sécuriser les jeunes et les femmes

À l’origine, la Sécurité sociale a été créée pour sécuriser les travailleurs, avant de s’élargir pour couvrir de nouveaux risques. Mais l’un d’entre eux est resté à l’écart, celui de l’enfance. « On observe un phénomène marquant dans notre pays : la hausse de la pauvreté parmi les enfants, notamment du fait de la croissance du nombre de familles mono­parentales », explique Bruno Palier, directeur de recherche au CNRS et coauteur avec Clément Carbonnier de Les femmes, les jeunes et les enfants d’abord (PUF, 2022).

L’auteur explique que le secteur de la petite enfance a largement été abandonné au privé, avec des microcrèches chères et souvent de piètre qualité. « Il y a un besoin fort de places en crèches publiques », souligne-t-il. Un besoin pour un double effet : « permettre aux enfants de grandir dans un contexte collectif et de qualité » et « que les parents seuls – essentiellement des femmes – puissent accéder à l’emploi ». Une manière de mieux sécuriser les parcours de vie contemporains.

2- La Sécurité sociale du logement

C’est peut-être la crise sociale contemporaine la plus importante : la crise du logement. Les chiffres s’empilent et s’aggravent d’année en année. Jamais il n’y a eu autant de demandes en attente pour un logement social. Près de 3 millions en 2024. Plus de 300 000 personnes vivent à la rue. Les expulsions locatives n’ont jamais été aussi élevées au XXIe siècle qu’en 2024. Trois Français sur quatre restreignent leur consommation de chauffage pour ne pas avoir à payer une facture trop élevée. Et on ne compte plus les galères des étudiants et des jeunes travailleurs pour se loger dans les métropoles où les loyers explosent.

Sur le même sujet : À la Bourse du Travail à Paris, une journée pour dessiner une « sécurité sociale du logement »

Face à ce constat, plusieurs acteurs du secteur – avec, en tête, la Confédération nationale du logement (CNL) – appellent à créer une « Sécurité sociale du logement » (SSL). Celle-ci serait non pas « une rustine de plus », mais un « changement de paradigme », écrit Eddie Jacquemart, président de la CNL, dans le récent Manifeste pour la Sécurité sociale du logement (Arcane 17, 2025).

Cette proposition s’inscrit dans une « ambition de prendre la main sur le marché et de garantir le droit fondamental au logement », poursuit le président de la CNL, en s’inspirant du modèle de la Sécu créé en 1945 : « universalité, solidarité, gestion démocratique, système de cotisation et financement mutualisé ». Pour que le logement ne devienne pas un actif financier parmi d’autres, mais un droit pour toutes et tous.

3- La Sécurité sociale de l’alimentation

Et si l’alimentation devenait un droit plutôt qu’un bien marchand ? Inspirée du modèle de la Sécurité sociale, une proposition émerge depuis quelques années : la Sécurité sociale de l’alimentation (SSA). Le principe ? Financer collectivement une alimentation de qualité, définie démocratiquement, accessible à tous selon les besoins, et non selon les moyens. Portée par un collectif d’organisations depuis 2019, cette idée se concrétise par des expérimentations dans plusieurs territoires, comme à Toulouse ou Montpellier. Des comités citoyens y définissent les critères d’une alimentation souhaitable (bio, locale, juste…).

Sur le même sujet : Et si on faisait entrer l’alimentation dans la Sécurité sociale ?

Une caisse commune est créée, à laquelle chacun cotise selon ses revenus. Des producteurs sont conventionnés, et chaque adhérent reçoit un budget universel utilisable dans les circuits agréés. En revalorisant les métiers agricoles et en soutenant des pratiques durables, la Sécurité sociale de l’alimentation peut contribuer à transformer notre système agroalimentaire en un un modèle plus écologique et équitable.

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