Retraites : la suspension de la réforme, un moindre mal pour les macronistes

D’un passage en force en 2023 à un gage de survie politique en 2025 : pour ne pas disparaître, les macronistes sont bien obligés d’envisager la suspension de la réforme des retraites. Un moindre mal pour éviter l’abrogation.

Pierre Jequier-Zalc  • 9 octobre 2025 abonné·es
Retraites : la suspension de la réforme, un moindre mal pour les macronistes
Manifestation contre la réforme des retraites, le 19 janvier 2023, à Paris.
© Lily Chavance

Boomerang. Deux ans et six mois se sont passés depuis qu’Élisabeth Borne a activé le 49.3 pour passer sa réforme des retraites, contestée dans tout le pays. Et celle-ci est en train de revenir à la tête de toute la Macronie. Invité au JT de France 2, ce mercredi soir, le premier ministre démissionnaire a même reconnu une « blessure démocratique ». Sébastien Lecornu ajoutant même : « On aura du mal à dire qu’il ne faut pas qu’il y ait de débat. »

Des mots qui interviennent 24 heures après ceux d’une autre ancienne première ministre. Et pas n’importe laquelle. Celle, justement, qui a porté cette réforme hautement injuste et impopulaire : Élisabeth Borne. « Je pense qu’on ne doit pas faire de cette réforme des retraites un totem. […] Si c’est la condition de la stabilité du pays, on doit examiner les modalités et les conséquences concrètes d’une suspension jusqu’au débat qui devra se tenir lors de la prochaine élection présidentielle. »

L’interview publiée dans les colonnes du Parisien fait l’effet d’une bombe. Pour la première fois depuis plus de deux ans, l’actuelle ministre démissionnaire de l’Éducation nationale se dit prête à envisager une suspension de celle-ci.

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Le séisme est d’envergure. Depuis son adoption par 49.3 en mars 2023, la Macronie a, justement, fait de cette réforme un totem ultime. Et cela, alors que la surdité à l’égard du plus important mouvement social français du XXIᵉ siècle est l’une des causes majeures de la situation politique du moment.

C’est d’ailleurs l’incapacité des précédents premiers ministres à bouger sur ce sujet qui leur a valu une censure de la part du Parti socialiste. « Le réveil est tardif, mais Élisabeth Borne a enfin compris que la réforme de 2023 est une cause majeure de l’impopularité dans leur camp », remarque Denis Gravouil, syndicaliste à la CGT, en charge du sujet des retraites pour la confédération.

Pour lui, si le sujet continue d’être aussi brûlant, c’est notamment grâce aux organisations syndicales qui n’ont pas lâché le combat depuis deux ans. Dans les derniers communiqués communs, « l’abandon du recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans » figure encore dans les six revendications partagées par les huit organisations syndicales réunies. « Le travail de l’intersyndicale et les fortes mobilisations de ces dernières semaines ont joué sur cette situation », abonde Murielle Guilbert, codéléguée générale de Solidaires.

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« Cette situation », c’est un premier ministre démissionnaire qui, pour espérer trouver une porte de sortie, n’a plus qu’une dernière option : remettre le sujet de la réforme des retraites sur la table. C’est du moins ce qu’a clairement signifié le Parti socialiste lors des dernières négociations, ce mercredi matin, avec Sébastien Lecornu. D’où, ensuite, sa prise de parole au 20 heures, mercredi soir.

Une forme d’ouverture nouvelle, qui reste tout de même très floue. Car remettre le sujet des retraites sur la table peut vouloir dire tout et son contraire. Ainsi, si la CGT demande l’abrogation pure et simple de la réforme de 2023, Élisabeth Borne, elle, a ouvert la porte à une « suspension ».

Si la réforme est « suspendue », cela implique qu’on ne reviendrait pas sur le report progressif déjà réalisé.

Or, cela ne recoupe pas du tout la même réalité. L’abrogation serait supprimer purement et simplement l’intégralité de la réforme de 2023. La suspension, elle, serait la mettre en pause. Et la différence est de taille. En effet, les modifications induites – notamment par le recul de l’âge légal de départ –, ont déjà commencé à entrer progressivement en application depuis deux ans.

Les effets possibles d’une suspension

Désormais, chaque génération voit son âge légal de départ être reculé de trois mois, jusqu’à atteindre la fameuse barre des 64 ans, en 2030. Ainsi, la génération 1963 – celle concernée cette année – peut partir à la retraite à 62 ans et 9 mois. Si rien ne change, au 1ᵉʳ janvier 2026, l’âge légal sera repoussé à 63 ans pour la génération 1964.

Ainsi, si la réforme est « suspendue », cela implique qu’on ne reviendrait pas sur le report progressif déjà réalisé. Par exemple, si la suspension prend effet demain, l’âge légal de départ sera bloqué à 62 ans et 9 mois. Si c’est le 1ᵉʳ janvier, à 63 ans. Mais il n’y aurait pas de retour aux 62 ans.

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Même remarque sur la durée de cotisation. La réforme Borne prévoit une accélération de la réforme Touraine. Cette dernière prévoyait d’allonger progressivement la durée de cotisation pour atteindre 43 annuités en 2033. Celle de 2023 a accéléré ce processus, pour faire atteindre les 43 annuités dès 2027. Aujourd’hui, le nombre de trimestres requis pour bénéficier d’une retraite à taux plein est de 170, soit 42 ans et demi. Au 1ᵉʳ janvier, on passera à 171. Il ne manquera alors qu’un seul trimestre pour atteindre les 43 annuités.

Autrement dit, cette suspension tardive est loin d’être une abrogation. « Ce serait un début de victoire, mais un début seulement », martèle Denis Gravouil, pour qui « l’abandon total de la réforme » reste l’objectif à atteindre. Aussi, suspendre jusqu’à la présidentielle de 2027 la réforme des retraites ne coûterait que peu d’argent aux finances publiques. « En 2026, à partir d’octobre plus précisément, le coût d’un gel à 62 ans et 9 mois devrait se chiffrer à moins d’un milliard », note, à nos confrères d’Alternatives Économiques, l’économiste Michaël Zemmour.

Manifestation retraites Paris 16 février 2023
Manifestation contre la réforme des retraites, à Paris, le 16 février 2023. (Photo : Maxime Sirvins.)

Rien d’insurmontable, en somme. Pourtant, les macronistes font planer le spectre d’un important déficit d’ici à 2035 en cas de suspension. Un jeu de dupes classique et habituel chez les défenseurs perpétuels de la baisse des dépenses publiques. Car, comme le répètent syndicats et partis de gauche, abroger la réforme de 2023 doit bien évidemment se financer, et il faudra donc trouver des recettes supplémentaires.

Un débat sans condition à l’Assemblée nationale aboutirait très certainement à l’abrogation de la réforme de 2023.

Débattre, la crainte ultime des macronistes

En revanche, ce qui effraie vraiment les macronistes, c’est le coût politique d’une telle suspension. « Est-ce à nous de dilapider notre propre héritage ? », s’est ainsi inquiétée la députée macroniste Maud Bregeon auprès de ses camarades députés dans des boucles Telegram, révélées par Mediapart. La même poursuit : « Rouvrir le débat dans l’hémicycle aboutira à l’abrogation. »

C’est d’ailleurs tout l’enjeu des discussions des prochains jours. Sébastien Lecornu a appelé à avoir un « débat » sur le sujet. Mais qu’est-ce que cela implique ? Une simple discussion en hémicycle ? Un projet de loi sans 49.3, que les parlementaires pourraient amender à leur guise ? Une énième discussion avec les partenaires sociaux ?

Un débat sans condition à l’Assemblée nationale aboutirait très certainement à l’abrogation de la réforme de 2023.

« On le dit clairement. Si la réforme est suspendue, cela ne doit pas être conditionné au fait qu’il n’y ait pas de débat à l’Assemblée », assène Denis Gravouil. Le cégétiste, comme les macronistes d’ailleurs, le sait pertinemment : un débat sans condition à l’Assemblée nationale aboutirait très certainement à l’abrogation de la réforme de 2023.

Au final, la suspension sans débat parlementaire pourrait être, pour les macronistes, un moyen de sauver les meubles. « Ils pourraient dire cela : on entérine à 63 ans et on verra en 2027. Mais soyons clairs, on ne lâchera pas jusqu’à l’abrogation », affirme le syndicaliste. Une sorte de moindre mal pour la Macronie, pour préserver une partie de la réforme qui a entériné leur chute. Parce qu’on voit mal, ces prochaines semaines, comment celle-ci pourrait être poursuivie comme si de rien n’était.

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Société
Temps de lecture : 7 minutes