Retraites : pas de revendication offensive sans une réforme systémique

TRIBUNE. Michel Lepesant et Thierry Brulavoine, fondateur et président de la Maison commune de la décroissance, défendent le droit inconditionnel à bénéficier, à partir d’un âge démocratiquement, socialement et écologiquement débattu, d’une pension de retraite et l’abandon du principe d’annuités.

Collectif  • 2 février 2023
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Retraites : pas de revendication offensive sans une réforme systémique
Manifestation contre la réforme des retraites à Paris, le 19 janvier 2023.
© Lily Chavance

Faut-il vraiment réformer le système des retraites ? Quitte, pour Macron, à changer de braquet et à proposer une réforme « paramétrique » après avoir échoué il y a 3 ans à imposer une réforme « systémique » ? L’étonnement tourne à la cruelle plaisanterie quand on se rappelle qui, en 2017, affirmait que « décaler l’âge de départ à la retraite, ce n’est pas juste. Et les sacrifiés, ce sont ceux qui ont aujourd’hui autour de 60 ans ».

Aujourd’hui, l’argument du financement est contradictoire. Pour justifier la nécessité de la réforme, ses défenseurs s’appuient sur les rapports du COR dont le président, Pierre-Louis Bras, affirme pourtant que « les dépenses ne dérapent pas ». Et « en même temps », quand le président explique que la réforme doit servir à financer les écoles, les hôpitaux, sa première ministre assène que « pas 1 euro des cotisations retraites ne servira à financer autre chose que les retraites ». Les mêmes zigzags touchent quasiment tout l’éventail de la classe politique : de Marine Le Pen à Marisol Touraine, des LR jusqu’à la CFDT.

Il y a quand même une incontestable union quand il s’agit de s’opposer. Mais tout aussi incontestable est l’assourdissant silence en faveur de ce que serait une revendication offensive. Laquelle ?

Un premier axe concerne le financement. Là, la fracture entre droite et gauche est franche. Car le dogme néolibéral interdit de toucher aux recettes, ce qui conduit à défendre une réforme dont les effets sont déjà connus, comme le montrent les autres pays européens que recopie le gouvernement français : en Suède, où l’âge pivot est de 65 ans depuis 2001, l’âge de départ moyen est aujourd’hui de 62 ans, soit 3 ans avant l’âge pour partir à taux plein. Cela se traduit par une baisse du montant moyen des pensions. Tel est l’objectif économique réel.

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À gauche, dans un esprit de justice sociale, les sources de financement ne manquent pas : (a) consacrer une part du PIB plus importante que les 14,4 % actuels ; (b) dans un « pays riche » comme la France, les « riches » doivent contribuer davantage (plafonner les pensions, imposer fortement les profits, les revenus, les patrimoines, lutter contre la fraude, les niches et les paradis fiscaux : partout où il y a « un pognon de dingues »).

Le second axe serait une revitalisation radicale du système par répartition. Car le gouvernement tout à sa stratégie de « pédagogie » se pose aussi en défenseur de ce système. Il sait, cyniquement, que l’autre système – par capitalisation – ne concerne que ceux qui ont suffisamment d’épargne.
Mais quand il s’agit de défendre le système par répartition, règne malheureusement une confusion qui empêche aujourd’hui d’alimenter ce qui seul pourrait rendre offensive  la contestation : revendiquer une réforme systémique.

Du côté de la répartition, le financement par le prélèvement obligatoire, la cotisation ; du côté de la capitalisation, par l’épargne. D’un côté, un financement solidaire où les pensions sont financées par la répartition immédiate des cotisations des actifs ; de l’autre, un financement individuel où la pension est le retour différé d’un investissement.

Les justifications des inégalités de revenus pendant le « travail » se prolongeraient pendant la retraite alors qu’elle est un « non-travail ».

Mais des deux côtés, le montant de la pension est directement fonction de la durée et du montant prélevé pendant l’activité sur les revenus. Autrement dit, des deux côtés, la retraite apparaît comme le prolongement de l’activité rémunérée.

C’est pourquoi, des deux côtés, le montant de la retraite reproduit les inégalités de revenus. Autrement dit, les justifications des inégalités de revenus pendant le « travail » se prolongeraient pendant la retraite alors qu’elle est un « non-travail » : mais quand je ne travaille plus, où sont les « responsabilités », les « charges », les « diplômes » ?

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C’est cela qui se concrétise dans une terrible tenaille dont les deux branches sont l’âge légal de départ et le nombre d’annuités. D’où ce calcul tout simple : 64 ans, 43 annuités, 64-43= 21 ans. Mais est-ce mieux quand c’est 60-40=20 ans comme le propose LFI ?

Une réforme systémique doit commencer par refuser cette tenaille. La retraite par répartition, c’est juste le principe de solidarité du financement des pensions par les actifs, ce n’est pas la durée de cotisation.

Et voilà la conséquence logique qui devrait alimenter une réforme juste : l’abandon du principe des annuités, c’est-à-dire le droit inconditionnel à bénéficier, à partir d’un âge démocratiquement, socialement et écologiquement débattu, d’une pension de retraite. Et comme ce montant ne dépend plus du temps de « travail », alors il doit être le même pour toutes et tous.

Comment, sans une telle déconnexion entre « travail » et « retraite », prétendre réellement reconnaître à l’activité ni économique ni marchande toute son utilité sociale !

D’où la différence avec la révolution de la retraite par le CNR en 1945 qui avait trop rapproché l’âge légal de départ à la retraite de l’espérance de vie. Ce n’est pas parce que celle-ci avance – quoique inégalement –, que l’âge légal de la retraite doit l’accompagner. Bien au contraire.


Michel Lepesant et Thierry Brulavoine, fondateur et président de la Maison commune de la décroissance (MCD), co-auteurs de La décroissance et ses déclinaisons (Utopia, 2022).


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