Réunions secrètes, opération cohabitation : comment la gauche cherche l’union
En coulisses, socialistes, écologistes, communistes et insoumis se divisent sur la stratégie à adopter face à Emmanuel Macron. Mais l’union des gauches bouge encore.

© Maxime Sirvins
En mission. Depuis des heures, Marine Tondelier semble tenir les murs de la vieille maison de l’union de la gauche. La patronne des Écologistes discute avec les socialistes, les insoumis, les communistes… Un canal est même ouvert avec Place publique, la formation de Raphaël Glucksmann. Entre deux réunions stratégiques de son parti, Marine Tondelier multiplie les échanges informels et les visios entre tous les cadres de gauche.
L’écolo parle à tout le monde et rêve de réunir toutes les chapelles autour d’une même table pour écrire, ensemble, la suite de l’histoire. « Marine a une légitimité pour réaliser cet objectif, estime François Thiollet, secrétaire national adjoint du parti. On a réussi à faire la Nupes en 2022 puis le NFP en 2024. Le seul moyen de gagner une élection, c’est d’unir la gauche et les écologistes. »
À la mi-journée du 6 octobre, une brèche s’ouvre. Quelques heures après la démission de Sébastien Lecornu, Jean-Luc Mélenchon envoie un message à ses partenaires sur X : « Nous proposons une rencontre cet après-midi aux organisations fondatrices de la Nupes et du Nouveau Front populaire afin d’envisager toutes les hypothèses ouvertes par cette situation. »
Étonnante mue unioniste. « Il n’y a pas très longtemps, quand il a fallu discuter du bureau et des commissions, nous avons été en capacité de nous mettre d’accord », plaide Manuel Bompard, le coordinateur du mouvement insoumis.
Destitution insoumise
En cas de dissolution, les insoumis ouvrent la porte à un accord législatif à gauche sur le programme du NFP. Mais ils ne veulent pas vraiment lâcher du lest sur leur objectif initial : le départ d’Emmanuel Macron. Constatant que David Lisnard, maire de Cannes et vice-président des Républicains, et Marine Le Pen appellent à la démission du président, les insoumis voient une opportunité pour prendre la tête du front dégagiste. « Il faut prendre à bras-le-corps le cœur du problème, c’est-à-dire le président de la République et sa légitimité à continuer à décider dans de telles circonstances », considère Jean-Luc Mélenchon. Les insoumis poussent surtout leur motion de destitution déjà signée par 104 députés de gauche.
Mais cette réunion réclamée par les mélenchonistes n’aura jamais lieu. Tout s’accélère. En fin d’après-midi, dans le QG des écolos dans le 11e arrondissement, Marine Tondelier lance une nouvelle invitation. « Nous prenons nos responsabilités et chacun doit prendre les siennes », lance-t-elle. Quelques minutes plus tôt, le premier ministre démissionnaire Sébastien Lecornu venait d’être désigné par l’Élysée comme négociateur en chef. La gauche doit réagir.
En cas de dissolution, les insoumis ouvrent la porte à un accord législatif à gauche sur le programme du NFP.
Rendez-vous à 9 heures ce 7 octobre. À l’hôtel Ibis de Bastille, à Paris, des représentants écolos, insoumis, le député communiste Nicolas Sans et les unitaires, dont Lucie Castets et Clémentine Autain. Au bout d’une heure et demie d’échange, la petite bande s’accorde sur deux principes : censurer automatiquement un premier ministre macroniste si le Président s’entête à réitérer ce qu’il a déjà fait trois fois, et présenter des candidatures communes porteuses du programme du NFP dans les 577 circonscriptions de France en cas de dissolution.
« On ne veut pas être sur un accord purement défensif, affirme l’insoumise Clémence Guetté. On pense que les gens ont besoin d’avoir envie de ce qu’on propose. Il faut faire une proposition en positif pour la bifurcation écologique, pour un renouveau démocratique dans le pays et, surtout, pour faire face à l’urgence sociale. » Ils se donnent rendez-vous pour une deuxième rencontre demain, le 8 octobre, pour continuer le travail.
Opération cohabitation
Tout comme les communistes, les socialistes ne font pas partie de la photo de famille. Pour les roses, il n’est pas question d’appeler à la destitution. « Nous n’appelons ni à la dissolution, ni au départ du chef de l’État. Nous appelons à la nomination d’un premier ministre issu de la gauche, ouvert au compromis. Nous ferons tout pour empêcher l’accession de l’extrême droite au pouvoir », clarifie Pierre Jouvet, secrétaire général du Parti socialiste (PS), après un bureau national en début d’après-midi le 6 octobre.
Les socialistes appellent à la nomination d’un premier ministre issu de la gauche qui s’engage, comme Sébastien Lecornu, à renoncer au 49.3. Ce chef de gouvernement aurait deux objectifs : la taxation des ultra-riches et l’organisation d’un débat sur la réforme des retraites au Parlement. Il devrait également composer un gouvernement réunissant toute la gauche sans les insoumis.
Quitte à dealer avec certains macronistes pour tenter de ne pas être censuré immédiatement. En interne, seul Mathieu Monot, patron de la fédération socialiste de Seine-Saint-Denis et candidat à la mairie de Pantin, s’oppose à cette configuration.
Les communistes partagent la logique des socialistes. Les troupes de Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste (PCF), veulent d’abord imposer une cohabitation à Emmanuel Macron. Une position actée lors d’un comité exécutif du parti le 6 octobre. « Si on parle de destitution ou de dissolution, on ne reconnaît pas la légitimité du résultat des élections législatives. Donc on demande qu’un gouvernement de gauche soit constitué. Si Emmanuel Macron ne respecte pas notre demande, le peuple doit être consulté », explique Hélène Bidard, membre de la direction du parti.
Les communistes estiment que le chef de l’État devrait donc nommer un premier ministre de gauche portant plusieurs priorités. Parmi elles, une réforme fiscale, l’abrogation de la réforme des retraites et des mesures de pouvoir d’achat, comme une baisse de la CSG. « On n’a pas besoin d’un programme épais comme un dictionnaire », croit le sénateur communiste Ian Brossat.
Mais au fond, les communistes ne s’imaginent pas signer un nouvel accord électoral avec ces insoumis qui ne cessent de les mépriser et les menacent dans certaines villes en vue des municipales. Pas question non plus de réitérer, comme en 2024, un accord fait de parachutages qui aurait largement desservi les communistes.
Les communistes estiment que le chef de l’État devrait donc nommer un premier ministre de gauche portant plusieurs priorités.
Front populaire 2027
Alors que les écologistes et les insoumis se rapprochent, Olivier Faure et Fabien Roussel ne veulent pas être laissés sur le bord de la route. Dans la soirée du 6 octobre, les deux chefs de partis échangent en visio avec Marine Tondelier. Depuis des semaines, les trois ténors de la gauche discutent presque continuellement. « Ils ont des canaux de communication quasi immédiats », dit-on dans le camp Roussel. Ils posent l’idée d’une autre réunion de la gauche excluant La France insoumise (LFI). Rendez-vous le 7 octobre à 10 h 30. Une délégation socialiste, écologiste, communiste et des unitaires se réunissent en visioconférence.
Les organisations présentes esquissent les contours du « Front populaire 2027 », l’initiative lancée le 2 juillet à Bagneux (Hauts-de-Seine) par Lucie Castets. « Le cercle est élargi aux communistes », précise Sébastien Jumel. L’objectif de cette deuxième réunion est un peu différent de la première. Ici, les représentants de ces organisations souhaitent imposer la cohabitation à Emmanuel Macron. Alors que le conclave intégrant les insoumis se donne pour but de penser à l’après, c’est-à-dire la dissolution ou l’éventualité d’une présidentielle anticipée.
La conseillère régionale francilienne et coordinatrice de Génération.s Hella Kribi-Romdhane se montre ambitieuse : « Il faut qu’on conjugue nos efforts, qu’on crée les conditions d’une plus grande convergence à gauche pour préparer notre arrivée au pouvoir, les législatives et la prochaine présidentielle. »
Selon elle, une grande tectonique des plaques s’annonce : « Quelque chose est en train de s’ouvrir : LFI ne rejette pas la participation du PS. » « Nous sommes dans une période historique. Et nous, qui avons été élus sur le programme du NFP, avons la possibilité de réitérer notre succès », rappelle l’insoumis Antoine Léaument. « Il y a des discussions entre parlementaires, entre les directions… Ce ne sont pas les discussions qui manquent », constate, un brin ironique, le communiste Ian Brossat.
De son côté, Raphaël Glucksmann et Place publique semblent pour le moins isolés. Eux ne veulent pas bouger de leur couloir de nage et refusent de participer à ces petites manœuvres en coulisses. « Il n’y aura aucune alliance avec Jean-Luc Mélenchon. Et les partenaires de gauche ne peuvent pas oublier en 24 heures que les insoumis n’ont fait que les brutaliser », avance Saïd Benmouffok, candidat à la mairie de Paris pour Place publique.
Dans le camp de Raphaël Glucksmann, on ne ferme pas la porte à une alliance, avec les socialistes ou, pourquoi pas, les écologistes. « Mais la question doit avant tout se poser sur une base programmatique », évacue Benmouffok. À ce stade, beaucoup d’interrogations. Mais peu de réponses.
Pour aller plus loin…

Lecornu toujours là : la Macronie s’accroche au pouvoir

Démission de Sébastien Lecornu : la Macronie en pleine décomposition

Abandon du 49.3 : la gauche ne tombe pas dans le piège de Sébastien Lecornu
