« Madones et Médées » : mères de tous les pays…

S’inspirant de l’expérience d’une pédopsychiatre, la bande dessinée dissèque les contraintes sociales de la maternité et les souffrances qui peuvent en résulter.

Marius Jouanny  • 14 novembre 2025 abonné·es
« Madones et Médées » : mères de tous les pays…
La BD s’inscrit dans un mouvement de réflexion féministe récent explorant la condition maternelle.
© Futuropollis

Madones et Médées. Figures impoosées de la maternité / Maurane Mazars, Mathilde Ramadier et Laure Woestelandt / Futuropolis, 128 p., 21 euros.

Un soir, Mme Drouot se penche sur le berceau de ses deux filles jumelles, âgées de huit mois. Terrifiée par ses pensées obsédantes, elle s’empare d’un coussin et l’approche dangereusement du visage des deux bébés, « pour me prouver que je ne pouvais pas vraiment leur faire de mal ». Alors qu’elle retient son geste, le père entre dans la pièce et découvre la scène, entraînant une prise en charge à l’hôpital et l’attente d’une décision judiciaire sur le statut de la mère, soupçonnée de tentative d’infanticide.

La docteure constate à quel point la maternité est une suite d’injonctions contradictoires.

De telles situations ne sont pas courantes dans le cabinet de pédopsychiatrie d’Elsa. Mais celle-ci comprend aisément la détresse de Mme Drouot, son épuisement qui contrarie son désir d’être une mère parfaite. Des ­rendez-vous pour une IVG à ceux permettant de diagnostiquer une dépression post-partum, cette docteure constate sans arrêt à quel point la maternité est une suite d’injonctions contradictoires. Entre deux journées surchargées, elle jette ses pensées sur un fichier intitulé « Madones et Médées », deux représentations féminines bien connues.

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La première est une figure chrétienne de la mère chaste et dévouée qu’on retrouve dans de nombreuses peintures et sculptures, renvoyant à la Vierge Marie. La seconde se réfère au personnage de la mythologie grecque qui, dans un élan de folie vengeresse, a poignardé ses deux enfants, Merméros et Phérès, qu’elle a eus avec le héros infidèle Jason. L’une et l’autre symbolisent encore aujourd’hui un modèle et un repoussoir imposés aux mères, en déniant les conditions souvent difficiles dans lesquelles elles élèvent leurs enfants.

En opposant les deux archétypes, ce récit de bande dessinée ne s’aventure pas à débiter des généralités sur la maternité au cours des âges. Il laisse plus subtilement Madone et Médée hanter une fiction qui décrit le quotidien d’une pédopsychiatre. Différentes situations sont évoquées, comme celle d’une lycéenne qui voudrait avorter à l’insu de son père mais ne trouve aucun médecin dans l’Oise pour la prendre en charge dans les délais légaux.

Ou le cas d’une jeune femme démolie par son accouchement prématuré, qui n’a pas eu le temps d’inscrire son enfant à l’état civil et de lui donner un prénom. Ou encore celui d’une mère au foyer sacrificielle, prise au dépourvu par sa quatrième grossesse, arrivée par surprise. Chacune de ces femmes trouve une grande expressivité grâce au style coloré de la dessinatrice Maurane Mazars.

Drame intimiste

Tout en certifiant le caractère fictif de ces personnages, la coscénariste Laure Woestelandt s’est inspirée de sa propre expérience de praticienne, tandis que l’autrice habituée des éditions Futuropolis Mathilde Ramadier l’a épaulée dans l’écriture. Le duo se hisse au niveau des ambitions de l’œuvre : un drame intimiste se distinguant d’une approche purement documentaire, tout en instillant des éléments didactiques à destination d’éventuelles mères en difficulté.

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Sur certains détails, le mélange des genres peut s’avérer laborieux, comme lorsque le vocabulaire médical utilisé dans les dialogues nécessite des notes de bas de page pour être bien compris. Mais la narration ne se contente pas d’une suite de séances médicales mises en scène : elle confronte Elsa à sa propre grossesse inattendue, alors même qu’elle soutient dans leurs multiples souffrances les mères qu’elle reçoit dans son cabinet.

En consultation, certaines mères peuvent même déclarer leur amour sincère pour leur enfant tout en regrettant leur vie d’avant.

À travers ce dilemme, la parentalité apparaît comme un nœud gordien où s’entremêlent le désir de fonder une famille, le dévouement professionnel et des conditions matérielles peu propices à concilier les deux. En consultation, certaines mères peuvent même déclarer leur amour sincère pour leur enfant tout en regrettant leur vie d’avant. En pointant ces contradictions sociales, Madones et Médées s’inscrit dans un mouvement de réflexion féministe récent explorant la condition maternelle, à l’instar de l’essai La Puissance des mères de Fatima Ouassak ou encore du film Saint Omer d’Alice Diop.

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Littérature
Temps de lecture : 4 minutes