« Les Braises » et « L’Inconnu de la Grande Arche » : de bas en haut
Deux films et deux façons de représenter l’action politique, à propos des gilets jaunes et des grands travaux.
dans l’hebdo N° 1887 Acheter ce numéro

© Wildbunch
Les Braises / Thomas Kruithof / 1 h 42.
L’Inconnu de la Grande Arche / Stéphane Demoustier / 1 h 46.
Deux films sortent simultanément offrant chacun une représentation de l’action politique en France à des niveaux très différents. L’une se situe en bas de l’échelle, à hauteur de population, dans Les Braises de Thomas Kruithof. En l’occurrence, il s’agit d’un retour sur les gilets jaunes. Tandis que nous sommes en haut lieu dans L’Inconnu de la Grande Arche, de Stéphane Demoustier, puisque l’architecte à l’origine de ce monument conçu au début des années 1980 a pour interlocuteur privilégié François Mitterrand.
Les Braises a un grand atout : le film est dénué de regard rance sur les gilets jaunes. Thomas Kruithof et son coscénariste, Jean-Baptiste Delafon, ont retenu du mouvement ses principales caractéristiques : sa forme inédite, ses aspirations démocratiques et ses revendications contre la vie chère.
C’est ainsi que Karine (Virginie Efira), ouvrière jusque-là dans le rang, découvre la chaleur et la solidarité des ronds-points. Ce qui soulève en elle un espoir d’existence meilleure non égoïste : elle pense à sa propre existence et à ses proches, mais aussi à toutes celles et tous ceux qui partagent sa condition. Son implication de plus en plus forte lui vaut des problèmes avec la police – sans reconstitution de grands mouvements de foule, le film évoque les violences et les entraves policières. Surtout, l’engagement de Karine crée un hiatus avec son mari, Jimmy (Arieh Worthalter), chauffeur routier et petit entrepreneur, insensible et même opposé aux gilets jaunes.
Alors qu’on nous a fait comprendre dès les premières images que le couple était uni, le voilà qui bat de l’aile. Dès lors, de la question politique, Les Braises glisse vers la chronique familiale et amoureuse. Sans doute était-ce nécessaire aux yeux du cinéaste quand on a une star – Virginie Efira – au casting.
Ayant les mêmes qualités sur le plan de la pertinence politique – une maire en vue est pressentie pour devenir ministre –, le film précédent de Kruithof, Les Promesses, avec Isabelle Huppert, donnait, quant à lui, trop d’importance à un suspense artificiel dans sa seconde partie. Les Braises s’achève même sur un happy end émollient (avec une scène frisant l’invraisemblance), témoignant d’un manque de radicalité (esthétique) qui aurait pourtant été cohérente.
Fait du prince et poids du réel
L’Inconnu de la Grande Arche s’ouvre sur une scène éloquente. D’une part, François Mitterrand (Michel Fau) est placé devant la maquette du bâtiment ayant remporté le concours d’architecture. Stéphane Demoustier n’en fait pas trop dans la mise en scène « en majesté » du président, mais suffisamment, et avec ironie, pour que l’on sente le parfum monarchique. D’autre part, le nom du gagnant, Johan Otto von Spreckelsen (Claes Bang), étant inconnu de tous, il est recherché dans son pays, le Danemark, où l’on découvre un architecte atypique, sans cabinet, ayant avant tout construit des églises.
Spreckelsen est un Persan dans le système des commandes publiques en France. Il n’en a ni les codes ni le désir de s’y conformer. On lui adjoint un architecte français chargé de la construction, Paul Andreu (Swann Arlaud). Un autre personnage est aussi de la partie : Jean-Louis Subilon (Xavier Dolan, particulièrement bon dans ce rôle), référent architecture travaillant pour l’Élysée. Mais, au mépris de ce que pensent ces deux hommes, Spreckelsen fait avaliser toutes ses demandes par le président.
Le film met parfaitement en scène les différents pôles ici en jeu : le créateur et son exigence artistique, en soi justifiée mais éloignée parfois de l’intérêt général, le fait du prince et le poids du « réel », incarné par Andreu et Subilon. Il montre aussi les limites d’une telle organisation, où le pouvoir du politique est prépondérant, la destinée d’un tel bâtiment étant à la merci d’un changement de majorité (la cohabitation de 1986). Ce que Spreckelsen ne pourra supporter et qui déterminera sa fin tragique.
Très documenté et servi par des acteurs au diapason, L’Inconnu de la Grande Arche revisite utilement cette histoire d’architecture et de Grands Travaux, et rend justice à un « inconnu » qui le sera désormais un peu moins.
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