Dissolution d’Urgence Palestine : face aux rapporteurs spéciaux de l’ONU, la France botte en touche
Fin septembre, le gouvernement français a été interpellé par quatre rapporteurs spéciaux de l’ONU sur les atteintes aux droits humains qu’entraînerait la dissolution d’Urgence Palestine. Politis a pu consulter la réponse du gouvernement, qui évacue les questions, arguant que la procédure est toujours en cours.

© Maxime Sirvins
Questions claires, réponse faible. Le 22 septembre, quatre rapporteurs spéciaux de l’ONU et un expert indépendant, dans une communication conjointe, ont interpellé le gouvernement français sur le projet de dissolution d’Urgence Palestine. Ils exprimaient plusieurs craintes. Tout d’abord que cette « dissolution ne constitue une restriction ni nécessaire ni proportionnée des droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique, d’association ».
Le gouvernement français est sommé de rendre des comptes sur la répression qui s’abat.
O. Alsouni
Ils s’inquiétaient également du « risque de violation du droit à la réputation que poserait la stigmatisation injustifiée d’individus qualifiés de terroristes ». Enfin, les rapporteurs de l’ONU pointaient le risque que cette dissolution ne crée « un précédent dangereux en matière de restriction des libertés civiles, en l’absence d’une menace légitime pour la sécurité publique et en l’absence d’enquête officielle ou de conviction ». Ces droits et libertés sont notamment protégés par le Pacte international sur les droits civiques et politiques, ratifié par la France.
« En tant que Palestiniens luttant pour notre peuple, on est obligés d’aller au-delà des frontières, dans les institutions internationales pour que soit dit le droit », regrette auprès de Politis Omar Alsoumi, porte-parole d’Urgence Palestine. En juin, le collectif, soutenu par le Cetim, ONG basée à Genève servant d’interface entre les mouvements sociaux et les mécanismes onusiens de protection des droits humains, avait saisi les rapporteurs. Aujourd’hui, Omar Alsoumi se « félicite de voir que le gouvernement français est sommé de rendre des comptes sur la répression qui s’abat ».
Préoccupés par la restriction des droits sous prétexte de lutte contre le terrorisme.
Rapporteurs
Le collectif, formé en octobre 2023, dénonce régulièrement le colonialisme israélien, le génocide à Gaza, et la complicité de la France avec Israël. Il est constitué de « citoyens, associations, syndicats et organisations et mouvements politiques mobilisés pour l’autodétermination du peuple palestinien ». Lorsque la procédure de dissolution avait été annoncée par Bruno Retailleau en avril, le ministre de l’Intérieur avait affirmé sur CNews qu’il fallait « taper sur les islamistes ».
Dans sa lettre d’intention pour dissoudre Urgence Palestine, il argumentait : « Votre organisation tient un discours apologétique concernant les attentats terroristes perpétrés par l’organisation terroriste Hamas le 7 octobre 2023, incitant ainsi directement à la commission d’actes terroristes. »
Les rapporteurs se disaient « particulièrement préoccupés par la restriction de ces droits sous prétexte de sécurité nationale ou de lutte contre le terrorisme, et notamment en l’absence d’enquête officielle ». Ils craignaient que « les accusations vagues d’appels à la violence ne soient pas étayées par des preuves claires d’actes visant à causer la mort, des blessures graves ou la prise d’otages ». D’où leur demande au gouvernement de « préciser les fondements factuels et juridiques sur la base desquels le gouvernement s’est fondé pour proposer la dissolution d’Urgence Palestine ».
Dans sa réponse, datée du 24 novembre, que Politis a consultée, le gouvernement ignore les inquiétudes en éludant les questions. Il cite la loi de 2021 « confortant le respect des principes de la République », dite loi séparatisme, autorisant la dissolution par décret en conseil des ministres.
Questions balayées
Mais sur les faits précisément reprochés à Urgence Palestine, le gouvernement botte en touche. Il se contente d’évoquer, sans en préciser le contenu, le courrier du 28 avril 2025 adressé à Omar Alsoumi, représentant d’Urgence Palestine. Les rapporteurs n’en sauront pas plus : « La procédure de dissolution à l’encontre de ce groupement étant toujours en cours, les éléments factuels sur lesquels le gouvernement se fonde n’appellent pas plus de développements », poursuit le gouvernement.
De ce fait, les autres questions des rapporteurs sont elles aussi balayées. Les rapporteurs demandaient à l’exécutif d’indiquer « si des mesures seront prises pour garantir que les conséquences pénales et financières de l’association avec une organisation dissoute ne s’appliquent pas aux activités de soutien pacifiques ou non violentes ».
Ils exigeaient aussi de la France de « faire parvenir des informations sur les mesures qui ont été prises pour veiller à ce que les défenseurs et défenseuses de droits humains souhaitant exercer leur droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique » puissent le faire « sans crainte de harcèlement, de stigmatisation, de répression ou de criminalisation de quelque nature que ce soit ».
La proposition de dissolution (…) semble s’inscrire dans un contexte plus large de criminalisation (…) d’individus et d’organisations qui expriment quelconque critique envers l’État d’Israël.
Rapporteurs
Les rapporteurs se disaient en effet préoccupés par le fait « que la proposition de dissolution d’Urgence Palestine semble s’inscrire dans un contexte plus large de criminalisation par les autorités françaises d’individus et d’organisations qui expriment quelconque critique envers l’État d’Israël ou leur soutien au peuple palestinien ».
Des questions « à ce stade sans objet » pour le gouvernement, lequel précise que « la procédure de dissolution du Collectif Urgence Palestine est toujours en cours ». Il ajoute par ailleurs ne pas être « en mesure d’indiquer si ce groupement fera ou non l’objet d’un décret de dissolution du président de la République ».
« On utilisera tous les moyens que nous offre le droit »
Pour Omar Alsoumi, la réponse du gouvernement reflète « une forme de gêne assez terrible, face aux agissements d’un ministre de l’Intérieur qui, de façon manifeste, instrumentalise la justice et le droit pour des intérêts qui ne sont pas ceux d’une démocratie ». Si la procédure de dissolution semble pour l’instant gelée, la répression se poursuit. Début novembre, Omar Alsoumi, porte-parole d’Urgence Palestine, a été à nouveau perquisitionné, puis placé en garde à vue. La procédure de gel des avoirs visant ses comptes a également été renouvelée, dans un arrêté du 20 novembre.
Pour Raffaele Morgantini, représentant du Cetim auprès de l’ONU, la communication des rapporteurs est une « victoire ». « Les interpellations des rapporteurs n’emportent aucune obligation juridique. Mais le fait que la plus haute autorité internationale sur la question de la liberté d’association et d’expression affirme que la criminalisation de mouvements pacifiques solidaires avec la Palestine constitue une violation des engagements internationaux de la France en matière de droits humains, constitue une forme de jurisprudence. »
C’est maintenant au peuple français de s’en saisir et d’interpeller le gouvernement pour stopper toute future entreprise de criminalisation
O. Alsoumi
Il poursuit : « C’est maintenant au peuple français de s’en saisir et d’interpeller le gouvernement pour stopper toute future entreprise de criminalisation. C’est aussi une référence qui pourra être utilisée pour argumenter ou interpréter le droit français. »
Selon Omar Alsoumi, Urgence Palestine n’exclut pas de « compléter la saisine des rapporteurs spéciaux et de l’élargir aux autres personnes et organisations qui subissent cette criminalisation de la solidarité avec la Palestine ». « On utilisera tous les moyens que nous offre le droit pour continuer notre bataille pour la justice et la dignité », conclut-il.
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