IGPN : la grande faillite du contrôle des policiers 

Un rapport explosif de l’ONG Flagrant déni, publié ce mardi 18 novembre, met en lumière l’effondrement de la police des polices. Chiffres inédits à l’appui, le document démontre que le taux d’élucidation des violences policières a chuté de 25 % en huit ans alors que le nombre d’affaires est en augmentation.

Maxime Sirvins  • 18 novembre 2025 abonné·es
IGPN : la grande faillite du contrôle des policiers 
Un manifestant, en sang suite à une charge policière, est pris en charge par des "streets médics" à Paris lors d'une manifestation contre la réforme des retraites, le 13 avril 2023.
© Maxime Sirvins

C’est un chiffre qui sonne comme un aveu d’échec. Ou comme la confirmation statistique d’un déni d’État. Alors que le nombre d’enquêtes pour violences par personne dépositaire de l’autorité publique (PDAP) a bondi de près de 60 % depuis 2016, la capacité de l’institution judiciaire à en identifier les auteurs s’est effondrée. « Chaque jour, trois affaires de violences policières sont ouvertes », résume l’ONG. Selon des données du ministère de la Justice obtenues par Flagrant Déni, le taux d’élucidation de ces affaires a baissé de 25 % entre 2016 et 2024.

« Concrètement, le b.a.-ba d’une enquête pénale, à savoir retrouver les auteurs, est de moins en moins assuré quand il s’agit de policiers », résumait Lionel Perrin, coordinateur juridique de l’ONG française d’investigation et de défense des victimes de violences policières, lors de la conférence de presse de présentation du rapport ce 18 novembre. En 2024, la justice n’a retrouvé les auteurs des affaires de violence par PDAP que dans la moitié des cas (51 %). Le taux d’affaires non élucidées est lui « deux fois plus élevé que dans le cas de violences exercées par des personnes “lambda” ».


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L’IGPN, l’arbre qui cache la forêt


Si l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) concentre l’attention médiatique, elle ne traite en réalité qu’une infime partie du contentieux : à peine 10 %. « L’IGPN joue un rôle de trompe-l’œil », analyse Flagrant déni. Pire, l’institution est « en crise ». Frappée par une crise des vocations, les policiers rechignant de plus en plus à enquêter sur leurs collègues, l’IGPN affiche 36 postes qui demeurent vacants en 2024. Sur cette année, la police des polices peut donc compter sur 99 policiers seulement.

L’immense majorité des dossiers (90 %) est alors sous-traitée à d’autres services, dans une opacité totale. Ces enquêtes atterrissent dans des « cellules de déontologie » départementales ou des services de police judiciaire locaux. C’est là que réside le cœur du problème pour Flagrant Déni. Ces unités sont directement placées sous l’autorité directe des directeurs départementaux de la police nationale (DDPN).


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« Le supérieur hiérarchique du policier qui fait l’enquête est aussi le supérieur du policier mis en cause », dénonce l’ONG. Une situation de conflit d’intérêts manifeste, aggravée par la réforme de la police nationale de 2024 qui a placé la police judiciaire sous la coupe des directeurs départementaux. « C’est un pur délire, et surtout une situation interdite par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. »

L’IGPN affiche 36 postes qui demeurent vacants en 2024. Sur cette année, la police des polices peut donc compter sur 99 policiers seulement.

Une justice sous influence


Le rapport ne s’arrête pas aux dysfonctionnements policiers. Il pointe aussi la lourde responsabilité de l’institution judiciaire. « Le problème de la police (des polices), c’est (aussi) la justice », assène Flagrant déni. Les magistrats du parquet, structurellement dépendants des policiers pour mener à bien leur politique pénale, hésitent à se fâcher avec eux.


Me Mohamed Jaite, avocat et président du bureau parisien du Syndicat des avocats de France (SAF), présent lors de la conférence de presse, confirme cette « machine à blanchir les policiers ». « Les juges ont tendance à valider ce qui a été fait par les policiers. On entend souvent cette phrase agaçante : « Pourquoi un policier mentirait ? » » Pourtant, les preuves s’accumulent. Les vidéos contredisent régulièrement les procès-verbaux, mais la parole policière reste prépondérante.


L’affaire de Sainte-Soline est citée comme l’exemple caricatural de ce fiasco, ici avec l’institution de la gendarmerie, IGGN. Deux ans et demi après les faits et quatre victimes gravement blessées, sur les quatre enquêtes ouvertes, aucun auteur n’a été identifié.


Le calvaire des victimes


Pour les victimes, ce système s’apparente à un parcours du combattant conçu pour décourager. Cela commence dès le dépôt de plainte, souvent refusé dans les commissariats, obligeant les citoyens à écrire directement au procureur, ce qui retarde les investigations et favorise la disparition des preuves.

Mélanie N’goye Gaham, militante de l’association Les Mutilés pour l’exemple, témoigne : « Recevoir un classement sans suite, c’est une deuxième violence. Nous, on a des séquelles, des opérations, des traumas. La réparation passe forcément par un accès à la justice. On a besoin de voir le visage de celui qui nous a mutilés. » Dans son cas, l’IGPN a classé l’affaire sans même l’auditionner.

Pour Vanessa Langard, mutilée en décembre 2018, l’affaire n’avance pas. « L’IGPN a fait son enquête qui n’a rien donné et avec les mêmes informations, la juge en a trouvé deux tireurs. » Dans son cas, le tireur responsable de la mutilation est ou un policier ou un gendarme. Problème, l’IGGN n’a jamais rendu son enquête. « Ça fait bientôt sept ans. C’est long… »


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Pour un corps d’enquête indépendant


« On est face à un exécutif qui assume la position de confrontation entre la police et la population. » Face à ce constat accablant, le rapport formule des propositions pour sortir de l’impasse, inspirées de modèles étrangers (Belgique, Royaume-Uni). On y retrouve la volonté d’indépendance en détachant l’IGPN et l’IGGN de la tutelle du ministère de l’Intérieur avec une augmentation du nombre d’enquêteurs.

Flagrant Déni préconise également la possibilité de déposer des préplaintes directement en ligne via les plateformes de l’IGPN et de l’IGGN (qui ne servent aujourd’hui qu’au signalement administratif) et la fin immédiate de la saisine des services placés sous la même direction d’emploi que les agents mis en cause.

Alors que les chiffres de la délinquance policière augmentent, la réforme de l’IGPN et de l’IGGN devient nécessaire pour l’ONG. « Ce qui manque aujourd’hui, ce ne sont pas les solutions techniques, c’est une volonté politique », conclut Lionel Perrin. Flagrant Déni appelle les législateurs à se saisir du sujet via une commission d’enquête parlementaire suivie d’une loi. Comme le résume Me Jaite : « À partir du moment où on n’a pas la garantie d’avoir une enquête indépendante, une enquête sérieuse, tout le reste va suivre : les non-lieux et les classements sans suite. » Ou comment l’État organise l’impunité.


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