« J’ai été sauvagement agressé par trois policiers »

Pour Politis, plusieurs blessé·es et mutilé·es par les forces de l’ordre racontent leur histoire et s’interrogent : comment survivre après les coups de la police ?

Hugo Boursier  et  Pierre Jequier-Zalc  et  Ludovic Simbille  • 27 septembre 2023
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« J’ai été sauvagement agressé par trois policiers »
Un homme blessé à la poitrine par un tir de LBD, lors de l'acte 3 des manifestations des Gilets jaunes, le 1er décembre 2018.
© Maxime Sirvins

Certaines blessures ne s’effacent pas. Ce sont les mutilations, les visages éborgnés, les mains arrachées. D’autres disparaissent avec le temps et deviennent invisibles à l’œil nu. Pourtant, le choc reste. Il passe les saisons, perdure des années. Les témoignages qui suivent sont ceux de personnes qui ont été tantôt pourchassées par la police, tantôt brutalisées par les forces de l’ordre en manifestation ou aux abords de leur lieu de travail. Elles racontent, avec leurs mots, la manière dont elles tentent de se reconstruire. Tout en interpellant Emmanuel Macron : « Les policiers sont-ils encore des citoyens comme les autres ? »

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Amanda Chachoua, mère d’Ilan, blessé avec Safyatou et Salif, le 13 avril 2023

« Cher État, le 13 avril dernier, tu tentais d’assassiner trois enfants à Paris. Tes armes : une voiture de police trop agressive, ta milice déshumanisée au point de ne pas secourir les corps frêles qu’elle venait de percuter volontairement. Leur délit : avoir enfourché un scooter en libre service pour rentrer. Ça ne devait durer que cinq minutes. Safyatou, 17 ans, tombera dans le coma, de multiples organes déchirés… Son frère, Salif, 13 ans, et Ilan sont aussi gravement blessés. Seules, leurs familles tentent de soigner et de réparer les dégâts irréversibles que tu as causés, chez ces enfants à qui tu dois l’exemplarité.

Toi, tu t’occupes de manipuler, nier, intimider, justifier des actes ignobles… malgré les vidéos, les témoins, et même des aveux, en cinq mois, tu restes silencieux !

Toi, tu t’occupes de manipuler, nier, intimider, justifier des actes ignobles… malgré les vidéos, les témoins, et même des aveux, en cinq mois, tu restes silencieux ! Absent des rendez-vous chirurgicaux, absent des accompagnements psychologiques et scolaires, absent du soutien financier qui nous fait tant défaut… Pire, tu ne reconnais pas tes victimes, tu minimises, tu protèges ton système raciste et patriarcal. Tu assieds ta domination. Les enfants de la République, tu les prends pour cible, portant atteinte à leurs droits et leur dignité. Tu les tabasses, les terrorises, les harcèles, les asphyxies…

Combien de jeunes as-tu déjà étranglé, mutilé, humilié, pas respecté ? Combien de vies vas-tu encore voler ? Nous ne nous arrêterons pas de lutter contre toutes les injustices et les violences que tu infliges à ton peuple. »

Genevrière Doris, mutilée le 23 mars 2023

« J’ai été mutilée par les forces de l’ordre au cours d’une manifestation pacifique, à Rouen. Écoutez mon témoignage. »

Sébastien N., cheminot SUD-Rail, éborgné à Paris le 23 mars 2023

« Je suis un cheminot de 47 ans, militant à SUD-Rail depuis une vingtaine d’années à Villeneuve Saint-Georges. Le 23 mars, je suis à la première journée de mobilisation interprofessionnelle contre le 49.3 sur la réforme des retraites avec mon fils. Je suis pacifiste, je porte une chasuble très visible et j’ai les mains dans les poches. Sans m’en apercevoir, je reçois une grande de désencerclement à mes pieds. En éclatant, elle me fait perdre mon œil gauche et me cause plusieurs fractures au visage.

Quand arrêterez-vous d’utiliser des armes de guerre contre des manifestants ?

Suite à cette agression, aucun policier n’a cru bon de venir me porter secours… C’est mon fils, seul, qui m’a sorti de la manifestation et m’a aidé avec les camarades de mon syndicat. Depuis maintenant six mois, le policier auteur des faits, rapidement identifié, n’a toujours pas été entendu. Moi, j’ai dû me rendre deux fois à l’IGPN et j’ai été entendu deux heures par des juges.

J’ai quatre questions à poser à ce gouvernement : pourquoi les victimes de violences policières sont toujours considérées comme des présumés coupables ? Quand arrêterez-vous d’utiliser des armes de guerre contre des manifestants ? Pensez-vous que la violence soit la meilleure réponse aux désaccords de la population sur un sujet ? Ne pensez-vous pas que la violence policière appellera en réponse une violence manifestante voire populaire (Gilets jaunes, quartiers populaires, manifestation…) ? » 

Ivan S., mutilé le 19 janvier 2023

« Je suis Ivan S., un ingénieur franco-espagnol de 26 ans, et mon combat a commencé depuis mon lit d’hôpital, suite à l’effroyable agression lors de la manifestation contre la réforme des retraites le 19 janvier. Ce jour-là, j’ai subi une blessure physique irréparable, ayant perdu un testicule, mais c’était aussi le point de départ d’une longue et douloureuse bataille.

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Les séquelles psychologiques de cette agression ont laissé des cicatrices tout aussi profondes que celles physiques. La médiatisation de mon affaire a été essentielle. Choqué de découvrir des vidéos et des photos de mon agression circulant sur les réseaux sociaux et à la télévision, grâce à des manifestants qui filmaient la scène, j’ai compris que mon combat allait au-delà de mon expérience personnelle. Elle était devenue une quête pour la justice et la reconnaissance des droits des victimes de telles violences.

Marche des mutilé·es, le 3 avril 2022 à Paris.
La Marche des mutilé·es, le 3 avril 2022 à Paris. (Photo : Maxime Sirvins.)

Depuis, avec mon avocate, Lucie Simon, nous avons entrepris cette bataille. En tant que citoyen, je m’inquiète profondément de l’exemple que la France donne au reste du monde. Ce pays a une longue histoire de défense des droits de l’homme et de démocratie, de tels actes de violence d’État mettent en péril ces valeurs fondamentales et envoient un message très alarmant au reste des pays. J’espère sincèrement que mon témoignage contribuera à susciter une prise de conscience et encouragera des réformes positives pour empêcher de futurs actes de violence d’État, garantissant ainsi un avenir plus sûr et plus juste pour toutes et tous. »

Michel Zecler, blessé le 21 novembre 2020

« Trois ans après, le meurtre de Nahel à Nanterre ou la mise au supplice du jeune Tedi à Marseille nous rappellent que la surenchère sécuritaire depuis les années Sarkozy ne fait qu’empirer. Le Beauvau de la sécurité, qui devait remettre à plat les pratiques policières, a accouché d’une souris… Pire encore, les syndicats de police, toujours plus droitiers, obtiennent après chaque bavure plus de dérogations aux lois qui encadrent leurs interventions. Et la triste loi Cazeneuve sur le refus d’obtempérer n’est toujours pas abrogée.

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Le mal-être policier est-il pour autant résolu ? Suppression de la police de proximité. Politique du chiffre. La défiance venant de la population ne fait pourtant que grandir depuis. Après le drame de Nanterre, les jeunes des quartiers ont écopé de peines assez lourdes en comparution immédiate. Mes trois agresseurs, eux, attendent confortablement leur procès depuis trois ans. Le rythme de la justice est une chose assez curieuse, me direz-vous. Les policiers sont pourtant des citoyens comme les autres. À Marseille ou ailleurs, si on renonce à les juger en tant que tels, alors nous n’en sommes qu’au début d’une lente déliquescence de l’État de droit. »

Mélanie N’goye Gaham, blessée le 20 avril 2019

« Je suis Mélanie N’goye Gaham, je suis issue des quartiers populaires de la ville d’Amiens. Le 1er décembre 2018, je me suis engagée avec des milliers de personnes dans le mouvement des Gilets Jaunes, dont le seul but était de réduire les injustices sociales, fiscales et climatiques pour tous·tes. Voici mon témoignage. »

(Pour soutenir Mélanie dans son combat, une cagnotte de solidarité a été mise en place. Elle est à retrouver ici.)

David G., mutilé le 16 mars 2019

« Je suis David, je suis Gilet jaune. Le 16 mars 2019, ma vie a pris un tournant en me laissant sur le bas-côté. J’ai perdu mon œil, mon travail, ma joie de vivre. Mais pourquoi ai-je reçu cette ogive en plein visage alors que c’est interdit ? C’est encore une question que je me pose. J’étais là, statique. Comment ont-ils pu me cibler et prendre une partie de nos vies ? Parce qu’en me prenant mon œil, c’est toute ma famille qu’ils ont impactée.

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Vous, Monsieur le Président, vous ne nous avez jamais écoutés quand nous étions dans vos rues. Quelles ont été vos réponses ? Toujours plus de violences, de LBD, de grenades, de matraquages… Vous n’écoutez pas plus vos députés. Et quelles ont été vos réponses ? Le 49.3. Vous paradez tel un monarque avec sa cour, prêt à tout pour garder ses privilèges. Alors à mon tour de ne plus vous entendre. Car vous êtes la honte de la France. »

David S., blessé le 5 janvier 2019

« Vers 18 heures, sur la place Pey-Berland, à Bordeaux, je suis violemment heurté au visage par un projectile venant de ma droite. J’entends tout mon visage craquer et mon nez s’écraser contre ma joue gauche. Heureusement, nous trouvons rapidement des street medics (soignants dans les manifestations, N.D.L.R.) à quelques mètres. Je suis finalement évacué par les pompiers au bout de trente minutes. Les forces de l’ordre ne m’ont pas interpellé, n’ont pas appelé les secours. Ils ont limite failli nous fracasser alors que j’étais à terre. J’ai fait toutes les procédures : le pénal (classé sans suite, sans me prévenir), signalement à l’IGPN (jamais rappelé)…

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Bon, Manu, j’ai bien compris que tu trouvais que notre système n’était pas assez absolutiste. Moi, je le trouvais pas assez démocratique. Cinq ans plus tard, dire qu’on ne t’aime pas est devenu interdit (macronavirus, à quand la fin) et tous les courtisans applaudissent, donc je vois que tu n’as pas chômé. Et pourtant, on dirait que tout le pays se prépare à t’oublier et je le comprends. »

Vanessa, blessée le 15 décembre 2018

Ce visage, mon visage, n’existe plus.

« C’était ma première manifestation. J’ai pu y participer pendant vingt minutes avant de recevoir une ogive de LBD en plein dans la boîte crânienne. Depuis cette date, mon quotidien est rythmé par les douleurs, les soins, les opérations. Ils ont dû me reconstruire le visage. Ce visage, mon visage, n’existe plus. J’ai de la chance car, en France, nous avons encore des services hospitaliers de pointe mais ils ne peuvent rien faire pour les douleurs, rien non plus pour mon goût et mon odorat qui m’enlève le plaisir de manger.

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Il est temps, Monsieur le dit Président, que vous reconnaissiez que votre police, blesse, mutile, et tue… Il est temps, Monsieur le dit Président, que vous nous reconnaissiez en tant que victimes, vos victimes, et arrêtez de nous culpabiliser ! Il est temps, Monsieur ledit Président, que votre bras armé reçoive les peines encourues dans le code pénal ! Il est temps, Monsieur le dit Président, de reconnaître qu’il y a bien des violences policières dans un « État de droit », pour reprendre votre expression ! Il est temps, Monsieur le dit Président, que vous répondiez à vos fonctions et que vous protégiez votre peuple ! Quelle est votre définition des Droits de l’Homme ? Et vous, politiques, nous ne sommes pas des faire-valoir à sortir au moment où cela vous arrange pour mieux nous oublier une fois la manifestation ou l’élection passée ! »

Antoine Boudinet, mutilé le 8 décembre 2018

« Je m’adresse à toi, État français, toi qui m’as arraché la main le 8 décembre 2018 lors de l’acte 4 des Gilets jaunes, toi qui m’as lancé une GLI-F4 dessus grâce à ton bras armé, ta police. Es-tu fier, État ? Toi qui envoies des bombes sur tes manifestants. Tu peux les appeler comme tu veux, grenade assourdissante, défensive ou à effet de souffle, cela reste une arme de guerre que tu envoies sur tes civils, prétendument pour « maintenir l’ordre ». Ta police, que tu présentes comme notre protectrice, est en fait ton meilleur outil de contrôle social, dont tu as besoin pour étouffer toute contestation face à tes politiques toujours plus liberticides et précarisantes. Elle est raciste, sexiste et homophobe au niveau structurel.

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Ce ne sont pas seulement ses individus mais bel et bien tout son système qui est vicié par ces discriminations. Elle tue, mutile, blesse, agresse sans se préoccuper de la loi ou de l’éthique. Elle s’en fiche car elle sait qu’elle ne sera jamais punie pour ses actes. Elle ment pour protéger les apparences, elle érige le faux en écriture en sport national et toi tu la couvres, tu vas devant les médias pour t’en faire l’avocat. La parole des victimes ne vaut rien pour toi, le policier aura toujours raison même lorsqu’il est prouvé qu’il ment. Tu trembles face aux syndicats de police qui sont en mesure de t’imposer leur agenda politique d’extrême droite car tu crains trop ton peuple pour risquer de te retrouver sans leur protection. Alors, dis-moi État français, es-tu fier d’être un État policier ? »

Le policier aura toujours raison même lorsqu’il est prouvé qu’il ment.

Par Myriam Eckert, blessée le 19 mars 2009

« J’ai fini par m’en sortir mais je sais la fragilité de nos corps face à cette police surarmée et impunie. » (Photo : DR.)

« Je suis une ‘artiviste’ qui milite au sein de divers collectifs et associations depuis trente-cinq ans à Bordeaux et ailleurs. Le 19 mars 2009, alors que je participais à un rassemblement de soutien à un squat, j’ai été passée à tabac par la police. Alors que je fuyais une charge, j’ai reçu un violent coup de tonfa sur le sommet du crâne qui m’a fait tomber au sol, raide. Pendant que j’étais évanouie, quatre policiers ont continué à me tabasser, à coups de pieds et de poings sur mon visage, seulement sur mon visage. J’aurais pu mourir.

Cet événement a changé ma vie à jamais. Le trauma est profond. J’ai fini par m’en sortir mais je sais la fragilité de nos corps face à cette police surarmée et impunie. Quand on subit cette violence, on voudrait être le dernier à l’affronter, on voudrait que les coups reçus suffisent à ce que tout le monde prenne conscience. Mais vous n’êtes qu’un de plus dans la longue liste. Il faut que ça se sache ! Il faut que ça cesse ! »

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